Valence / Carthagène : deux fois Greenwich

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Nous quittons Valence dont nous avons beaucoup apprécié le centre et le côté futuriste. La décision apparemment prise en 1957 de détourner le fleuve, après une crue dantesque, fut une décision courageuse mais très porteuse en matière d’urbanisme. Cette voie verte réalisée sur le parcours de l’ancien fleuve, large d’environ 500 mètres, sur plusieurs km de long est extrêmement bien aménagée et elle a permis d’une certaine manière de redessiner la ville et la parer de ses plus belles réussites architecturales. Nous avons tous beaucoup aimé déambuler dans Valence, même si la vieille ville connaît actuellement des chantiers importants lié au renouvellement de toute la canalisation, apparemment fort ancienne et défectueuse.

Le vitrail que vous voyez appartient à la plus vieille église de Valence, dont la construction remonte au XIIIème siècle. Très bel endroit. Avec une tour, qui après 128 marches vaincues, nous conduit à dominer la vieille ville. Non sans malice, il me fut confié par la vendeuse de tickets permettant d’accéder à la tour, que les vitraux de cette belle église Santa Catharina avaient été conçus à Barcelone….

Une belle navigation nous conduit de Valence à Carthagène en une seule traite, comme prévu au moment de larguer les amarres.

Si la première partie fut difficile, c’est en raison du logiciel météo qui nous poussait à aller chercher le vent au large. Donc du moteur avec un cap de compromis entre la direction générale vers le Sud et le large plus à l’Est.

Mais la ténacité finit par payer, nous percevons les premières risées trois heures après avoir quitté le port et déroulons le génois quatre heures après avoir quitté la Marina de Valencia Mar, mal située, mais très propre et bien gérée. C’est aussi la moins chère visitée à ce jour par Crazy Flavour. Ce qui ne m’a pas empêché d’obtenir un léger discount pour le fait que nous appartenions au GLYWO, dont le nom commence à être connu en Espagne.

Et c’est ensuite une belle navigation comme on les aime. Notre catamaran bondit chaque fois que le vent accélère et reste très manœuvrant. La météo annonce des vents possiblement plus forts vers le cap Nao. Nous prenons un ris préventif qui ne diminue presque en rien la vitesse du bateau, mais qui le stabilise à la barre. Nous passons Calpe, rocher emblématique, devant lequel Blanche et Pascal évoquent des souvenirs vieux de treize ans, déjà communs, et tentons de nous écarter de la côte, suivant les recommandations de notre logiciel. Mais le vent de la nuit n’est pas vraiment au rendez vous. Et après une bataille de cap et une tentative infructueuse  de démêler la drisse du Gennaker, ce qui nous a privé de son apport substantiel en terme de surface vélique, nous nous résignons à des vitesses peu glorieuses, et au final au moteur.

Le jour retrouvé permet l’espace de quelques heures de mettre enfin le Gennaker, mais l’on ne résiste pas à l’appel de la performance « Volvo » lorsque l’on calcule ce qu’il reste à parcourir et que l’on souhaite arriver encore à une heure décente à Carthagène.

 

Chemin faisant, je remarque que mes points réguliers, en latitude et en longitude, me montrent que dans ce voyage nous avons franchi trois fois le fameux méridien de Greenwich, le point zéro de la longitude. 

Nous l’avions déjà passée en effectuant le trajet Barcelone/Valence. Petit moment d’émotion, et une annotation au livre de bord. Mais sur la route Valence Carthagène, nous repassons cette marque longitudinale, de l’Ouest à  l’Est en quittant Valence, pour, une fois le cap Nao franchi, repasser une dernière fois vers l’Ouest, ce célèbre méridien. Trois fois en quelques jours, pas banal. Je relève sur la côte, peu après Calpe, un Marina qui est sur le méridien et qui n’a d’ailleurs pas hésiter à adopter son nom : «  Greenwich Marina ». 
 

Bon, je m’allonge pas sur le sujet, car Fabienne pourrait m’objecter, dans un futur moment de ras-le-bol, que finalement ce tour nous l’avons déjà fait, en passant deux fois de l’Est à l’Ouest.

La baie de Carthagène nous accueille. On comprend, vu le refuge naturel, qu’elle ait été appréciée des romains, qui ont construit un théâtre et un cirque.
 

L’impression qui se dégage de cette ville, pour reprendre l’expression de ma douce moitié, c’est un peu « splendeurs et décadence ». À part, la rue centrale piétonne, beaucoup de ruines et de maisons délabrées. Et un sentiment de peu d’opulence.

 

Grâce à nos efficaces limiers connectés, nous trouvons un restaurant, dont les plats sont succulents, aménagé dans une ancienne caserne romaine. Les murs et les voûtes remontent au tout début de l’ère chrétienne.


C’est l’occasion d’évoquer la vie tumultueuse d‘Hannibal, qui arriva à Carthagène, colonie carthaginoise, à l’âge de neuf ans. Qui la quitta comme général d’une armée décidée à envahir d’abord la France méridionale, puis le cœur de l’Italie romaine. Apparemment, l’on ne sait toujours pas vraiment par quels cols alpins les éléphants de son armée sont passés. Mais les récits concordent, des éléphants ont bel et bien combattu en Italie. Après deux batailles décisives, l’une dans la plaine du Pô, et l’autre au bord du lac Trasimène, Hannibal, contourne Rome et va s’établir dans les Pouilles. Il  remporte ensuite la bataille de Cannes, considérée comme la plus grande bataille du monde antique, mais, à la surprise générale, décide de ne toujours pas envahir Rome.
 

Peur du pouvoir ? Crainte de ne pas être en mesure de dominer ce monde romain? Hannibal va rester près de 15 ans dans le Sud de l’Italie. Et il faudra que les romains le provoquent dans son pays d’origine à Carthage, pour qu’il s’y rende et doive concéder la terrible défaite de Zuma. Ayant perdu un œil, et comprenant que son salut consisterait dans la fuite, Hannibal se serait ensuite rendu en Arménie pour y accomplir des travaux urbanistiques, à la demande du despote local, puis en Asie mineure, dans la région turque. Il aurait fini, passé 60 ans, par se suicider pour échapper à la vindicte romaine, ayant appris qu’un commando dépêché par Rome, avait retrouvé sa trace.

Stratège fabuleux, qui l’emporta à Cannes, malgré un clair désavantage numérique, contre une légion romaine entraînée et réputée invincible, Hannibal reste, dans la mémoire collective, un prénom marquant. Qui rappellera à certains le silence des agneaux, film où Hannibal Lecter a inspiré des cauchemars à plusieurs d’entre nous. Ou, plus récemment, Hannibal Kadhafi, dont l’arrestation par un jeune procureur genevois, pendant quelques heures à Genève déclencha une guerre diplomatique entre la Suisse et la Libye. Qu’est-il devenu, après la chute du régime libyen de ce fameux Hannibal ? 
 

Voilà Carthagène, nous t’avons apprécié, même si ton passé glorieux ne se retrouve que partiellement aujourd’hui. Il est temps de quitter ta baie protégée pour aller affronter le goulet de Gibraltar, et ses vents réputés impétueux. Il nous faut nous rapprocher, dans une semaine nous devons impérativement nous trouver à Cadix. Et il reste encore des milles à parcourir, en espérant pouvoir nous arrêter encore en route, vers de très beaux endroits.