Suite de la Traversée du 23 novembre au 29 novembre, J4 à J10

Au moment où je vous écris, soit lundi 29 novembre en début d’après-midi, la croisière ne s’amuse plus. Finies les conditions de voile idylliques, genre club Med. Nous avons depuis la veille des conditions assez dantesques et imprévues par nos divers programmes météo et même notre cher routeur, Chris Tibbs. Le vent s’est levé et a atteint 32 nœuds cette nuit. La houle s’est méchamment formée et les vagues ont déferlé entre deux mètres 25 et deux mètres 75. Ces conditions se sont poursuivies ce matin et ont un peu diminué depuis midi. C’est de tout de même une prouesse de ma part d’arriver à taper sur mon clavier dans le quartier extérieur cet article pour le blog. De temps à autre, une vague vient même m’éclabousser. Cette nuit, alors que j’étais sur le siège du barreur avec Vincent, un poisson volant a sauté hors de l’eau et m’a cogné la tête. Dans quelle galère me suis-je fourrée ?   Pour en revenir à la fin de journée de mardi 23 novembre, lorsque j’ai arrêté mon texte, nous avons connu une série de pannes. Nous avons eu des soucis avec l’hydrogénérateur, dans lequel une corde s’était emmêlée. Ensuite ce fut le loch qui ne reflétait plus notre vraie vitesse et enchaînait des chiffres fantaisistes. Nos techniciens de bord l’ont changé pour un loch de substitution à roulettes, plus rudimentaire et ancien, mais qui avait aussi des problèmes de fiabilité, qui pouvaient avoir une incidence sur l’auto pilote. Nous avons gardé pendant 36 heures ce loch à roulettes, puis remis en place le loch électronique tout neuf changé juste avant notre départ de Port-Camargue ! Celui-ci a par miracle fonctionné à nouveau normalement.   Le mercredi 24 novembre, nous avons connu une belle journée de navigation avec un bateau très bien réglé, qui filait à une vitesse de 13, 14 nœuds en pointe. Le Crazy Flavour surfait sur les vagues. Tout le monde a barré à tour de rôle et avait un large sourire sur les lèvres. Claude-Aline est restée très longtemps à la barre. Des poissons volants ont commencé à sauter sur le bateau. Nous avons toujours essayé de les remettre à l’eau à temps, encore vivants, mais certains se blessent à l’atterrissage et nous éclaboussent de sang. Ils sont minces et fins et volent tout autour du bateau. Certains ont des teintes bleutées. Lorsque nous en retrouvons le matin, sur le pont, ils sont secs et durs. Je précise qu’ils ne sont pas comestibles. A midi, chef Robin et sa première assistante Bettina, nous concoctent un rôti aux pruneaux, servi avec d’énormes carottes des Canaries et de petites pommes de terre locales rondes à la peau très fine. Le soir, lorsque le plan des quarts est établi par le skipper, c’est la mutinerie à bord. Chacun pense qu’il a la pire heure à accomplir. Le mouvement de révolte est emmené par Bettina, suivie par Claude-Aline et Lionel. Vincent fait vérifier par Lionel par le biais de savantes statistiques l’absence de traitement de faveur à l’égard de certains membres de l’équipage. Et surprise : le traitement est rigoureusement identique pour tous ! Un peu vexé quand même de cette suspicion infondée, le capitaine délègue désormais cette tâche à Claude-Aline et Lionel. Sans médire, il me semble que Claude-Aline l’a elle-même confiée à Lionel. De toute façon, chaque soir, tout marin pense qu’il a hérité des pires heures de la nuit pour son quart, hormis Vincent et Robin qui ne se plaignent jamais. Lionel ne proteste plus, puisqu’il les conçoit. Les autres soupirent ou rigolent en découvrant la liste. Nous les effectuons toujours par deux, sur une période de trois heures. Nous commençons la première heure trente avec une personne qui était là précédemment et nous enchainons l’heure trente suivante avec une nouvelle personne qui débarque. Ainsi, l’information est continue. Il y a toujours un homme et une femme pour les manœuvres dont certaines requièrent pas mal de force physique, lorsqu’il s’agit d’aller prendre un ris au mât par exemple ou d’empanner. Les quarts avec Vincent ne sont pas de tout repos. Il a toujours des réglages à faire, une manœuvre à effectuer. Avec Robin, nous débattons de questions sociétales, religieuses et médicales. Avec Lionel, nous échangeons des souvenirs et nous remémorons sa jeune existence et les bons moments partagés aussi avec sa sœur Ambre. Cette dernière est bien courageuse et ne nous fait pas peser les soucis qu’elle éprouve d’avoir toute sa famille à bord et de gérer nos affaires. Elle nous informe que la pandémie reprend partout, qu’il y a un nouveau variant et qu’il y a des émeutes en Martinique, lieu dans lequel elle devrait nous rejoindre le 11 décembre avec son amie Coralie. Lorsque nous lui suggérons de changer son billet pour la Guadeloupe, elle nous informe que la situation est malheureusement identique. Glups, on se dit qu’il faut suivre la situation et faire au mieux. On va voir si cela se calme dans quelques jours.   Jeudi 25 novembre, Lionel se lève avec un fort mal de tête. Il a une insolation. Il n’a pas mis de casquette la veille pour barrer. Il faut dire que la température est de l’ordre de 31 degrés à l’intérieur et que l’humidité est de 70 %. Les conditions de navigation sont à nouveau très chouettes. A 10 heures, nous stoppons le bateau pour changer le loch. Nous en profitons pour nous baigner dans l’océan, à nouveau deux par deux. On scrute attentivement s’il n’y a pas d’ailerons qui trainent dans les parages. On ne s’attarde pas dans l’eau. C’est tout de même fabuleux et on en profite pour une petite douche d’eau douce de moins de trois litres par personne. C’est Byzance ! A midi, Vincent et moi concoctons un saumon en papillotte avec citrons, petites tomates et olives, servi avec un riz basmati. Notre stock de nourriture est toujours bien fourni. Nous avons tous les jours des fruits et des légumes frais qui se portent très bien dans nos filets suspendus dans le carré à l’extérieur et dont nous surveillons attentivement le contenu. Le poisson est désormais terminé. Il faudra le pêcher. Nous avons encore de la viande sous vide, des œufs (nous en avions acheté 60). Pour la confection des repas, nous nous inspirons très souvent du livre de recettes d’Ottolenghi « Simple » que Lionel et Claude-Aline nous ont offert en français. Du coup, nous mangeons divinement à bord. Nous prenons tous les repas en commun, sauf le petit-déjeuner que chacun prend à son aise et à son heure. Chaque après-midi, entre 16h30 et 17h, c’est l’heure du thé. Après de savants calculs effectués par Vincent et Robin à l’ancienne, au sextant, nous ajustons nos montres à l’unisson, en les reculant d’une heure, vu les nouveaux fuseaux horaires franchis, pour être en harmonie avec le soleil.  Le Crazy Flavour vogue à nouveau toute la journée entre neuf et treize nœuds et nous nous succédons à la barre. Dans la journée, nous croisons deux bateaux de plaisance, vus au loin. Nous échangeons avec eux à la radio VHF. Il s’agit d’Aries, puis de Kelly Ann. C’est émouvant de parler avec des personnes inconnues, croisées sur cette immense étendue d’eau, comme nous seuls au milieu de l’océan, que nous ne réentendrons probablement plus jamais. Nos deux interlocuteurs nous disent faire escale au Cap Vert, avant de poursuivre sur la Barbade, ce qu’un certain nombre de bateaux de la flotte se proposent également de faire, certains pour réparer la casse faite jusqu’ici, d’autres pour débarquer un co-équipier (erreur de casting) ou enfin pour s’avitailler en eau, marchandises ou fuel, pas mal utilisé les premiers jours. En ce qui nous concerne, nous ne manquons de rien, nous n’avons personne à débarquer, car l’ambiance est très positive et nous décidons de poursuivre.   Vendredi 26, mon record personnel de jours en mer sans voir la terre est largement battu. Je n’en reviens pas. J’ai l’air de m’en accommoder. Bettina m’épate. Elle s’est cousue un tablier de cuisine avec un sac à linge de l’hôtel dans lequel elle a précédemment logé avec Robin à Santa Cruz et elle a fière allure lorsqu’elle revêt celui-ci. A 5h ce matin, lorsqu’elle était de quart avec Lionel, un poisson volant lui a atterri sur les genoux. Panique à bord pour l’attraper et le remettre à l’eau. Vu le peu de houle, nous pouvons faire de la gym sur le trampoline. Lionel va mieux, mais part dans sa couchette pour dormir. Claude-Aline, toute grâcieuse, fait les exercices à la perfection. Même Robin se joint à nous. Tout le monde apprécie, surtout la méditation qui suit et permet à certains de s’endormir profondément. Nous faisons de l’eau avec notre déssalinisateur et en profitons pour une lessive de nos draps notamment. Comme ce sera agréable ce soir qu’ils fleurent bon la lavande ! Nous barrons à tour de rôle pour économiser le pilote. C’est le marin Claude-Aline principalement ce jour-là qui barre inlassablement et se joue des vagues. A midi, nous déjeunons d’un bœuf Stroganoff et le soir d’une omelette aux poivrons accompagnée de broccolis (légumes que je déteste, mais que j’ai quand même achetés, parce qu’ils se conservent bien.) En fin de journée, nous regardons la première partie du DVD « la panthère rose » et nous entamons la soirée le sourire aux lèvres et dans la bonne humeur.   Le samedi 27 novembre, c’est un peu la routine qui s’installe, aussi une certaine fatigue, un peu de lassitude. Le but à atteindre, la Barbade, semble encore bien lointain. Je ne trouve rien à vous raconter de significatif. J’ai un peu le spleen et je m’abandonne à la lecture.   Dimanche 28 novembre, je déborde d’énergie et les autres aussi. Nous avons chacun pris une douche, certains se sont rasés, nous sommes tous sur notre trente et un. En effet, c’est dimanche. Pour le petit-déjeuner, Vincent nous a concocté la veille une tresse qui embaume dans le carré. Nous la savourons, Lionel avec du Nutella. Nous déjeunons du traditionnel rôti de bœuf et à l’heure du thé, nous cassons une marmite d’Escalade que Vincent a achetée en partant de l’aéroport de Genève. C’est Robin et Lionel à qui reviennent le privilège de la briser. Nous entamons le « Ce que l’aino. » Claude-Aline a été dument briefée par Lionel et est quasiment incollable, bien que native du canton de Vaud, sur la mère Royaume, la mère Piaget, Isaac Mercier et ces sacrés Savoyards. Le soir, Claude-Aline et Lionel sont aux fourneaux et nous concoctent des courgettes à la feta et une polenta tessinoise. Vive la Suisse ! J’ai revêtu pour cette journée un tee-shirt aux couleurs nationales. Nous regardons la suite et fin de la panthère rose. » Le vent monte… A suivre....