Séville, 500 ans après Ferdinand Magellan

Place d'Espagne

Le 18 octobre à 21h45, le pont de Séville s’ouvre pour laisser passer notre flotille, composée de près de 20 bateaux. Nous venons de remonter au cours de cette journée le fleuve Guadalquivir après notre départ de Cadiz. La journée a été calme et sereine. Nous avons longé une magnifique réserve naturelle. Le fleuve est gris et boueux. Des troncs flottent souvent à la surface. Ils ressemblent à de gros caïmans qui guettent leur proie. La flore constituée de roseaux, de sable et de plantes de garrigue constitue un véritable paradis pour les oiseaux et les ornithologues. Mes connaissances ne sont pas celles de Cécile Girod, dans le domaine, (n’est-ce pas Ambre ?), mais je reconnais toutefois des cigognes, des hérons, des grives, des petits aigles et des pélicans. Leurs vols et leurs chants nous accompagnent.

Il y a parfois des rizières, une hacienda avec quelques chevaux et des taureaux ainsi que de paisibles vaches. Le temps est suspendu. Les heures sont propices à la rêverie, à l’observation aux jumelles et à la lecture. Enfin ! Les livres m’ont manqué. Pas question de papier bien entendu, de froisser des pages, d’humer leur odeur. Il ne faut pas charger et encombrer le bateau. J’ai donc ouvert mon Kindle, lovée sur un petit matelas sur le trampoline, à l’avant du Crazy Flavour. Il faisait 31 degrés, mais un petit vent et un léger courant nous emportaient.

Il est maintenant 22h. Les vingt bateaux ont passé il y a environ une heure une écluse. Nous devions fermer la marche et faire bouger et activer les retardataires. Echec de la mission. Nous ne sommes pas arrivés à faire pénétrer les quatre derniers bateaux à temps et l’écluse s’est refermée. Nous sommes passés au tour suivant.

Maintenant tous les bateaux se sont engouffrés sous le pont, car nous avions dix minutes en tout pour tous pénétrer dans le port.  Manolo se trouve sur le pont qui vient de se refermer. Il nous adresse de joyeux « holas » et nous fait de grands signes.  Quelle gentillesse d’être venu nous accueillir dans sa cité à cette heure tardive (pour des Suisses en tout cas) ! Ce n’est qu’à 23h45 finalement que nous serons amarrés et que nous pourrons enfin, fourbus, rejoindre notre cabine et nos couchettes. C’est la dernière nuit pour Olivier et Carlos qui vont nous quitter, l’un pour rejoindre Laurence qui arrive à Séville pour les vacances d’automne, bientôt suivie par leur fils Ulysse et l’autre, pour regagner Genève et rejoindre sa douce Pénélope, Nicoline.

Au petit matin et après avoir pris congé des derniers membres de notre premier équipage, nous filons à l’anglaise avec Vincent avec une petite valise. Nous allons nous imprégner totalement de cette magnifique cité en dormant à terre, à l’hôtel Las Casas de la Juderia pour deux nuits. La ville est trépidante. Les touristes du monde entier sont présents. On entend toutes les langues. Nous nous enfilons dans des petites rues moins fréquentées.

Nous visitons les incontournables musée naval et Torre del Oro, le phénoménal Palais de l’Alcazar et nous promenons dans ses jardins, nous parcourons dans tous les sens la stupéfiante place d’Espagne. Vincent m’emmène au moins quatre fois visiter la cathédrale. Je sens qu’une conversion est en train de se produire. La catholique que je suis en frémis de plaisir. Esprit, sors de ce corps emprunté à Vincent !
 

Il vient d’accepter, comble du romantisme pour moi, de monter dans une calèche et de faire un tour en vieille ville, dans ce mode de transport touristique décadent pour lui. Nous visitons au petit trot le jardin Maria Luisa. Toujours probablement possédé, Vincent m’invite à déjeuner dans le jardin de l’hôtel Alfonse XIII, comble du snobisme pour lui, mais au patio au charme fou et témoin des beautés et vestiges d’antan pour moi.

Ce doit être la magie de cette ville qui agit sur mon mari.

Vincent ne trouve pas de barbier disponible pour lui le lendemain. Pour ma part, j’ai pris la précaution de prendre rendez-vous et je passe sous les ciseaux d’Albano à la coupe rousse bien stylisée et qui rigole tout le temps. Je prie pour la mienne. Mes cheveux sont raccourcis, deux mèches sont un peu folles, mais Vincent me dit que c’est top. Je fais semblant de le croire.

Deux heures après, il n’y a plus de coupe du tout, car nous avons fait un massage aux huiles essentielles avec Laurence, suivi d’un parcours thermal dans les catacombes de l’hôtel Las Casas de la Juderia. Nous sommes intimées de nous plonger ensuite 25 minutes dans un bain bouillonnant, avant de devoir nous immerger dans une piscine d’eau glacée que nous avons tenté en vain d’esquiver avant la cuisson finale dans les vapeurs du hammam. Mon brushing n’est plus qu’un lointain souvenir quand nous débarquons au bateau pour l’apéro pour lequel Vincent a convoqué notre nouvel équipage et une partie de la flottille francophone. Quelle ambiance !

Je ne vous parlerai du nouvel équipage que dans le prochain article pour vous faire un peu languir et maintenir le suspense.

Vendredi, c’est la journée des évènements officiels de la flottille. Il faut répondre à des questions de la presse locale, intriguée par cette armada de bateaux de plaisance. Vincent accorde une interview à François Trégouet, du magazine « Skippers». Il a l’air tout content. D’habitude ses journaux préférés sont « Voile et voiliers » ainsi que « Multicoques magazine ».

Nous nous rendons à la cérémonie de remise de la légion d’honneur par la Commanderia de la marine nationale à M. Jimmy Cornell, qui est le fondateur de l’ARC et le père spirituel du Glywoo 500 auquel nous participons. C’est un moment formel et militaire auquel nous nous soumettons de bonne grâce pour célébrer ce valeureux octogénaire qui a accompli cinq fois le tour du Monde à la voile, dont la première fois avec son épouse et leurs deux petits enfants pendant six ans. Madame Cornell aurait dû aussi être décorée à mon avis. Elle est très discrète et en retrait, mais son époux me confie qu’elle a toujours été sa meilleure équipière à bord.

Nous allons ensuite visiter la réplique d’un bateau de l’armada composée de cinq bâtiments,  245 hommes avec lesquels Ferdinand Magellan est parti de Séville le 10 aout 1519 pour faire le tour du Monde.

Seul, un bateau est revenu, avec 18 hommes à bord en 1522.

J’espère que statistiquement, nous ferons mieux !

Nao, tout en bois bien entendu, est très haut sur l’eau. Il est très peu convivial. Son pont de proue et son pont de poupe sont en déclivité. Les hommes ne dormaient pas dans la cale, mais sur le pont uniquement. Seul le capitaine avait une cabine. Il y recevait son état-major. Son lit est minuscule. Il devait mesurer un mètre quarante au maximum Ferdinand.

Les vivres étaient entreposés dans la cale, mais seul l’intendant y avait accès ainsi que le cuisinier qui exerçait son talent sur un minuscule feu de bois avec un chaudron. Les denrées pourrissaient rapidement, l’hygiène était inexistante à bord. Les maladies et le désespoir ont dû ronger et décimer ces marins, car la discipline était très stricte à bord. Pas de juron, pas de blasphème, pas de contacts charnels, le respect strict des ordres.
 

Un bateau a trahi et est rentré avant les autres. Il a inventé une vague histoire, mais l’équipage a été traduit en cour martiale, une fois la vérité rétablie par un marin italien ayant tout consigné par écrit. On raconte aussi que la première personne ayant fait le tour du Monde est en réalité un esclave philippin qui a réussi à s’enfuir lorsqu’il a reconnu sa langue et les siens.

En fin de journée, tous les équipages se rendent à l’Eglise Santa Anna pour y recevoir une bénédiction avant de traverser l’Atlantique et de poursuivre notre Odyssée. Que la Sainte Vierge et sa mère nous accompagnent et nous protègent lors de cette traversée et de celles à venir !

La soirée se termine place de San Francisco, dans un bar à tapas où elle est arrosée de cervesas et de sangria et se finit fort tard.

La rumeur raconte que d’aucun-e ont eu de la peine à regagner leur bateau en visant mal les barreaux des échelles à descendre pour y accéder. Je précise que notre bateau n’est pas concerné pour ceux qui ont l’esprit mal tourné.

Le lendemain matin, Manolo vient nous chercher avec son véhicule pour que nous puissions procéder à l’avitaillement du Crazy Flavour en produits frais avant notre traversée sur les iles Canaries qui devrait prendre  environ quatre jours et nuits sans pouvoir s’approvisionner.

Il nous conduit dans un super marché et nous en ressortons avec trois caddies tout remplis pour une somme incroyablement modeste. Il nous ramène au port où trois autres équipiers de Chaps, père et fils, nous proposent de nous aider. Merci les amis. Quelle belle solidarité ! Nous prenons congé de Manolo qui part à la campagne avec sa famille pour le week- end.

Merci l’ami de Séville. Belle rencontre. On ne t’oubliera pas.

Le soir, arrivée dans le port de quatre loubards, tous de cuirs vêtus, sur deux superbes motos. En descendent Catherine et Pierre De Preux ainsi que Marlène et Gibus, venus tout exprès de Sierre pour nous dire au-revoir, car ils avaient manqué notre départ à Port Camargue. Nous célébrons l’amitié autour d’une délicieuse paella tous ensemble, que nous savourons sur le bateau.

Nous quittons Séville dimanche au petit matin pour redescendre au cours de la journée le Guadalquivir jusqu’à son embouchure dans l’Atlantique. Nous allons passer la nuit dans la marina de Chipiona avant la traversée sur les Canaries, test en grandeur nature et sans filet pour moi. Comment cela va-t-il se passer ? Vous ne le saurez pas avant une semaine, car je n’aurai plus de réseau.

Bises iodées et à bientôt.