Sales gosses en route vers les Galapagos
Écrit par Fabienne le 12/03/2022
Nous sommes partis le 8 à 14.30 des îles Perlas, en direction des Galápagos. Plusieurs raisons à ce départ
en cours de journée.
D’abord, nos projections météos nous montraient qu’attendre le lendemain matin serait nous priver d’une nuit
avec de bons airs autour de 15 Kn.
Ensuite, l' examen o d’un trio eausur la carte predictwind montrait que ces participants du GLYWO
progressaient bien, mais quil ne serait pas impossible de rejoindre ce peloton composé de Blueway, Endless
Joy et de Ningyo, soit un García 52 et deux Outremer 45. L'esprit des régates, comme toujours...
Enfin, l'observation sur la même carte du parcours de deux bateaux partis en tout premier, Vitia, Outremer 5X,
et Tartine, Outremer 51, nous laissait espérer de pouvoir bien avancer, sans devoir recourir au moteur, malgré
la faiblesse fréquente des vents sur la zone.
Environ 800 NM nous séparaient alors des Galápagos. En comptant une moyenne à 6 KN, cela représente
environ 6 jours encore de mer non-stop, compte tenu du fait que l'on n'avance pas en navigation en ligne directe.
Cet après-midi du 11 mars, cela fait trois jours que nous sommes partis, et nous avons largement dépassé
la moitié du trajet. Donc on devrait y arriver, sauf pépin ou panne dair totale.
La veille, au matin nous étions à portée de vue et de VHF de Blueway, ce qui m`a permis d`avoir une conversation
de quelques minutes avec Regina. Peu après, nous avons changé de direction, ce qui n'a pas été le cas de Blueway, qui a continué sur son cap. Nous l' avons alors perdus de vue.
Hier pendant mon quart de nuit, j'aperçois des feux de navigation devant nous. Il sagit de Ningyo, que nous rattrapons grâce à notre grand Gennaker. Nous marchons à plus de 6.5 Kn, pendant que Ningyo plafonne
à 4.2 Kn. Je contacte Ningyo par VHF. Rob me demande d'emblée pourquoi Crazy Flavour avance si vite. Je
lui parle de notre Gennaker, ce qui l'amène à m'en demander la surface vélique et à se plaindre du sien , trop petit à son goût.
Je reviens à notre sujet, soit le fait que je me rapproche significativement de lui et que je dois le dépasser correctement.
Or, un bateau qui en rattrape un autre, n'est pas prioritaire et mon souci est d'éviter des incompréhensions
qui pourraient nous amener à une collision. Je lui indique que j'entends le passer à bonne distance à son
vent, ce qui suppose qu'il ne réagisse pas en lofant à son tour. Il me dit après avoir consulté son écran,
sur lequel la position des deux bateaux lui apparaît, qu'il ny a pas de problème. Il me demande ensuite
si j'ai sur Crazy Flavour une alarme radar en raison de la proximité de son bateau. Je lui réponds que
je n'ai pas branché en ce moment le radar, mais que je peux faire un test. La discussion est détendue, même sil est
1.30 du matin.
Je branche le radar qui m'envoie de suite un message d'alarme de proximité, ce que je retransmets par VHF
à Rob. Il constate avec soulagement que son bateau est bien détecté, ce dont il doutait. Je décide de photographier
mon écran pour pouvoir montrer, le matin venu, le passage progressif de Ningyo à mes trois équipiers profondément
endormis. Nous passons donc au vent à environ 0.5/0.7 NM de ce participant du GLYWO. Cest bon pour le moral
et prouve que nous avons eu raison de faire le pari de tenter de rejoindre ce peloton.
Au moment où j'écris çes lignes, nous sommes à peu près au même niveau que Blueway, qui est toutefois plus
au large et non visible sur le radar, et nous tentons, pour l'instant en vain de remonter Endless Joy. Quant à Ningyop
qui a désormais hissé un spi, il semble vouloir se rapprocher de nous.
Que dire de cette traversée si ce nest que la bande des quatre sest rapidement re-constituée. Elle avait
déjà fonctionné en Méditerranée à plusieurs reprises.
Patrick, notre aîné, dont la curiosité est érigée en métier, adore poser des questions sur tous les sujets.
Spyro qui fourmille d'inventivité pose des questions pour mieux comprendre dans ce qui l'entoure, ce qui
pourrait être changé, respectivement amélioré, à tous niveaux. Pierre est chaque jour dans le bonheur dêtre
de l'aventure et se passionne d'une part pour la navigation et d'autre part pour l'intendance et la cuisine.
Il nous a déjà confectionné des pains et tresses. Il est une force de proposition jamais prise en défaut au
niveau des menus. Quant à moi, je tente de faire en sorte que le bateau avance dans le bon
cap, que les tâches quotidiennes soient accomplies et que l'équipage respecte des règles de sécurité, notamment
la nuit, le tout dans une ambiance extrêmement amicale qui prévaut naturellement.
Autant le dire, cest un vrai plaisir que de naviguer à quatre, avec ces trois-là. Les quarts
de deux heures permettent six heures de sommeil consécutif. La température, hormis la première nuit, permet
de faire son quart en manches courtes et en short. Bien plus, le vent est resté très calme, hormis la première
nuit qui nous a conduit à prendre, ce que Fabienne a très justement appelé et bien qu'elle ne soit pas à bord en ce moment, un ris préventif.
La première nuit nous a permis de dépasser à plusieurs reprises les dix Kn de vitesse avec un équipage
qui se projetait déjà dans la suite du trajet avec des extrapolations hasardeuses. Le lendemain, la chute
progressive de la vitesse du vent et donc celle du catamaran nous ramenaient à de plus raisonnables projections.
Mais une chose est certaine, nous ferons tout pour éviter de devoir passer des dizaines d'heures au moteur.
Le reste est entre les mains dEole.
Que se passe-til dans nos journées ? Comme le disent Pierre et Spyro, il n'y a pas de pression et du temps
pour tout : discussions, lectures, siestes, préparations de repas et vaisselles consécutives. Je regarde
amusé untel qui lit en position assise. Après quelques minutes, il décide de lire en position couchée sur
le dos. En règle générale, dans les dix minutes qui suivent le livre ou la liseuse est posé et le lecteur
dort du sommeil du juste, que personne ne vient déranger.
Nos discussions restent par définition confidentielles sur le Crazy Flavour, de sorte que chacun peut s'épancher
ou parler librement. Mais les sujets les plus courants de la vie sont abordés, tout comme certaines questions
professionnelles, dans le respect de nos obligations de confidentialité. Deux dentre nous sommes retraités.
Donc l'angle rétrospectif est souvent abordé. Mais le futur fait partie de nos interrogations, surtout vu
ce qui sest passé le 24 février.
Je ne cache pas, en effet, que la lecture des magazines français que Patrick a amené avec lui a nourri
de nombreuses discussions sur ce qui se passe en Ukraine, cette bien triste actualité.. Pour les passionnés d'histoire, cest l'occasion de tenter des comparaisons, voire des analyses. Pour ceux que la psychologie intéresse, le profilage du
leader russe interpelle. Pour ceux enfin qui se projettent à un, trois ou cinq ans, il faut naturellement
se demander ce qu'il y a à attendre en Europe, en particulier du régime russe à l'avenir et l'effet que cette
agression d'un pays souverain par son voisin, pourra entraîner sur nos propres pays et sur nos vies.
La connexion avec le monde externe est limitée voire inexistante. Quelques SMS envoyés et reçus par iridium.
Quelques téléphones iridium également limités, vu leur coût. Enfin nous procédons au chargement des routages
météos et de la position de la flotte à intervalles réguliers. Lévolution des positions amène nécessairement
à une certaine émulation quant à la bonne marche du bateau.
Cette coupure du monde est bénéfique pour tous, apparemment. Elle amène nécessairement à recharger les batteries,
à prendre le temps de la réflexion et de la discussion. Surtout, elle oblige à sortir des habitudes induites
par notre existence quotidienne. Je sens que personne ne sort dans le même état que celui dans lequel il arrive
sur Crazy Flavour.
La vie d'avant paraît nécessairement pour partie étonnante et notre docilité souvent inexplicable. L'absurdité
de certaines situations apparaît d'autant plus clairement que l'on est en dehors du stress habituel, hors la pression
de quiconque et surtout en mesure de réfléchir plus calmement, ce dont on n'a jamais le temps lorsque tourne dans la
roue du hamster
.
Voilà en quelques lignes ce quil faut penser de ces sales gosses en route pour les Galápagos. Gosses, non
seulement pour la rime, mais parce que je crois que ce trio est resté jeune. Sales ? Certainement pas. Les
panneaux solaires nous permettent de nous offrir une douche par jour, ce qui est un luxe dont tout l'équipage se régale..
Nos épouses
respectives seront ainsi rassurées sur notre hygiène personnelle.
Allez, il est l'heure du repas du soir, bien loin de notre Europe abasourdie et consternée par ce qu'elle
constate. Nous sommes encore à mi-chemin des Galápagos.Cette destination fera l'objet d'un autre blog.
Bien à vous.
Ecrit par Vincent et édité par Fabienne