Mystérieuses et sauvages Marquises
Écrit par Fabienne le 03/05/2022

Les Marquises se situent entre le 7ème et le 11ème parallèle, à 1'500 km au nord-est de Tahiti.
L’archipel est constitué de 12 îles, dont seulement la moitié sont habitées.
Elles répondent aux doux noms de Nuku Hiva, Hiva Oa, UaPou, Ua Huka, Tahuata et Fatu Hiva.
Toutes se profilent en majestueuses hauteurs, certains sommets culminant à plus de 1’200m, en lignes incisives, aux reliefs tourmentés, permettant à votre imagination d’entrevoir là un dragon, là un château-fort, là un volcan. Il n’y a pas de lagon. La nature est préservée, luxuriante et dominante sur l’homme ou toute autre trace de civilisation.
Les approches de ces îles sont spectaculaires, un plaisir sans fin pour les yeux, avec des roches souvent foncées, plongeantes dans l’eau sombre. Les collines abruptes se déclinent dans tous les tons de vert. Certains pans sont arides, desséchés et brunis sous le soleil. Des biquettes sauvages se laissent apercevoir grâce à leurs bêlements, crapahutant sur des parois vertigineuses. Des coqs en liberté poussent leurs cocoricos à n’importe quelle heure du jour.
La culture est ancestrale, gravée dans la pierre et le bois, celle des Tikis, la plus marquée de toutes ces îles polynésiennes et qui se raconte aussi sur les peaux, dans l’art du tatouage.
Ces îles ont séduit Melville et Stevenson. Elles ont su retenir Gauguin et Brel.
Les Marquises révèlent le sauvage qui est encore en vous.
Nous avons atterri les quatre Yang : Manuelle, Irène, Chantal et moi à Hiva Oa. Toutes les pistes d’aéroport sur ces îles se trouvent généralement à hauteur de l’eau quasiment sur une plage et nous avons bien cru nous écraser en forêt, car celle-ci était exceptionnellement située au sommet de la montagne. Nous avons été accueillies par un collier de fleurs pour Manuelle qui allait chez une logeuse à la Villa Hinata où devait la rejoindre Patrick tandis que les trois autres femmes du groupe, nous rendions à Temetiu Village en attendant nos maris et recevions des colliers de graines.
Nous sommes parties dans des véhicules quatre-quatre pour rejoindre nos résidences respectives. Nous nous sommes retrouvées toutes les quatre pour le déjeuner au cœur du village d’Atuona au snake Make-Make, les pensions ne proposant pas de déjeuner.
Chaque couple qui s’est retrouvé en fin de journée a souhaité loger seul, en duo. Irène et Christophe sont descendus au Relais Moehau après s’être entendus dire tout d’abord qu`il était complet, puis au final après 15 minutes, qu’il y avait encore cinq chambres libres. Lorsqu’Irène a demandé très poliment et gentiment au responsable s’il fallait prendre une chambre avec vue sur l’océan ou derrière à cause de l’éventuel bruit causé par la route, ce dernier a pris l’air indigné et offusqué en lui disant que le ressac faisait du bruit, que le vent soufflait, que les voitures circulaient sur la route et que des jeunes criaient et que si elle ne voulait pas de bruit, elle n’avait qu’à se rendre à l’hôtel Pearl Lodge.
Ce vieil homme bourru s’est révélé en fait être le père du patron de l’établissement qu’il a dû remplacer au pied-levé et à contre-coeur, son fils ayant dû se rendre à Tahiti avec son enfant pour des soins. Le lendemain, sa bonne humeur a de nouveau éclaté quand Irène a osé lui demander à 15h si sa chambre pouvait être faite et qu’il a haussé le ton en prétendant qu’elle n’était pas libre à 10h et que les femmes de ménage n’intervenaient pas plus tard et que si elle désirait un autre service, elle devrait se loger au Pearl Lodge. En regagnant leur chambre en soirée, les Iselin ont eu le plaisir de constater qu’elle avait tout de même été faite.
Chantal et Pierre ont logé au Temetiu village, la plus ancienne pension de l’île et selon Chantal probablement aussi dans le doyen des bungalows.
Le capitaine et moi, avons dormi sur le bateau pour ne pas abandonner le Crazy Flavour, seul au mouillage.
Le joli village d’Atuona occupe le cœur de l’immense baie Taaoa, face à l’îlot Hanakee. Il est bordé d’une longue plage de sable noir. La majorité, voire la quasi exclusivité des commerces et services de l’île y sont regroupés autour de tohua Pepeu, une vaste place enrichie de sculptures en bois.
Nous avons souhaité visiter le centre culturel Paul Gauguin, édifié sur le lieu même où vécut l’artiste entre 1901 et 1903. L’horaire du musée affichait du lundi au jeudi, de 14h à 17h pour l’après-midi. La responsable nous a indiqué lorsque nous nous sommes présentés à 15h à l’accueil qu’elle souhaitait fermer plus tôt. Nous lui avons rappelé les horaires affichés, et devant notre déception et notre incompréhension, elle nous a expliqué que personne ne lui réglait ses heures supplémentaires et qu’elle avait déjà travaillé ce matin-là.
Nous lui avons promis de respecter scrupuleusement l’horaire, y compris celui pour l’espace Jacques Brel attenant, dont elle était aussi responsable et elle a enfin consenti à nous laisser entrer pour autant que nous quittions les lieux à 16h30. Marché conclu.
Le centre Gauguin est constitué de trois salles qui abritent 75 reproductions d’œuvres du peintre. Divers objets, retrouvés dans le puits de « la maison du Jouir » qu’a occupée ce dernier, sont également exposés. La visite est surtout un hommage ou un petit pèlerinage à l’artiste plutôt que celle d’une exposition de son œuvre.
Côté mer, un modeste hangar célèbre lui le chanteur Jacques Brel. Ce dernier est arrivé avec son voilier l’Askoy en 1975 et a décidé d’interrompre son tour du monde avec sa compagne Madly en s’installant à Hiva Oa.
Avec son petit avion Beechcraft, baptisé Jojo en hommage à son grand ami disparu, l’artiste a rendu de multiples services aux autochtones en réalisant des évacuations sanitaires à Papetee et en allant chercher un dentiste une fois par mois pour l’amener sur l’île pour y prodiguer des soins.
Brel a écrit ici son dernier album Les Marquises. Il s’est éteint à l’âge de 48 ans, ayant trouvé une certaine forme de sérénité et de paix à Atuona. L’espace Brel est occupé par son avion restauré, des textes de ses chansons, des extraits de lettres ou d’interviews. Rien de très spectaculaire, mais une rencontre plutôt intime, simple et assez touchante avec cet artiste exceptionnel.
Pour le plus grand bonheur de la responsable, notre visite s’est achevée à l’horaire que nous nous étions engagés à respecter et nous avons continué de rire en grimpant sur les hauteurs du village. Après 15 minutes de marche sous un soleil qui n’était plus de plomb, vu l’heure, mais dans une douce moiteur quand même vu la région, nous avons atteint le cimetière du Calvaire.
Celui-ci est bien mal nommé, car il surplombe toute la baie, est très paisible et se décline dans des tons chauds à l’heure où nous l’avons visité. Il est bordé de frangipaniers et parsemé de petites fleurs blanches. Il est simple et pas du tout guindé, comme les tombes tant de Gauguin réalisée en tuf rouge, juste surmontée d’un bronze réalisé par l’artiste représentant un sauvage, un Oviri et celle de Brel, recouverte de petits galets de pierre où sont écrits des mots de tendresse et de reconnaissance envers l’artiste. Ces deux tombes ne se distinguent pas des autres tombes des villageois.
Nous sommes rentrés à pied sur le bateau, car les taxis sont rares dans l’île. Le soir, nous avons cherché à faire du stop depuis le mouillage pour nous rendre dîner au village, mais les quelques rares Marquisards auxquels nous nous sommes adressés ont refusé de nous transporter. Leur langage est très direct. Ils n’y vont pas par quatre chemins. L’un d’eux, bien ventru et quelque peu éméché ce que nous avons remarqué plus tard, nous a dit que « marcher à pied jusqu’au village nous ferait le plus grand bien et nous permettrait de perdre du poids ».
Nous étions au final soulagés de n’être pas montés dans son véhicule et nous avons bien rigolé, la recommandation provenant d’une personne peu soucieuse apparemment de sa santé. Nous avons finalement obtenu le numéro de téléphone de l’adorable Germaine, chauffeuse de taxi de son état, qui nous a d’abord demandé à notre grande surprise : un taxi, pour quand ?
Quand elle a appris que c’était pour de suite, elle s’est immédiatement organisée pour venir nous chercher et elle était tellement sympathique qu’elle est devenue notre chauffeuse attitrée pendant notre séjour sur son île, se montrant à chaque fois aimable et disponible.
Nous avons fait une magnifique excursion grâce au patron bougon du Relais, Monsieur Gramont, qui sous ses airs bourrus, était finalement un brave homme et qui nous a donné le nom de Bryan O’Connor, un guide exceptionnel.
Nous sommes montés dans son 4x4 et nous sommes partis avec lui et son épouse conduisant un second véhicule avec d’autres touristes à la découverte de son île, dans des paysages majestueux et escarpés, dans des vallées quasi inaccessibles, renforcées par leur isolement géographique, de véritables forteresses. Malgré son nom, Bryan est né à Hiva Oa et y a passé toute sa jeunesse. Il a un arrière grand- père irlandais, mais il est tout à fait polynésien. Il mesure probablement près de 1m95 et est taillé comme un joueur de rugby. Il n’a pas de tatouage, pour des raisons qui lui sont propres.
Il est charismatique et passionné et a su nous faire vivre son île grâce aux récits volontiers partagés de son enfance, de sa famille, des parties de chasse aux cochons sauvages et de pêches.
L’île est remplie de fleurs plus belles les unes que les autres. La Nature regorge de fruits. La jungle est verdoyante. Nous nous sommes rendus dans des sites archéologiques au cœur de la forêt ou Bryan nous a fait découvrir des Tikis, statues très anciennes, ressemblant énormément aux Moais de l’île de Pâques, mais en plus petite taille, carrée et comportant des yeux immensément ouverts et comme cerclés de lunettes.
La situation géographique très isolée des Marquises a favorisé une culture bien particulière qu’elles ont su préserver, malgré les bons offices des missionnaires pour tenter de l’annihiler. Si les racines sont bel et bien polynésiennes, ressemblant notamment à celles d’Hawaï, des Fidji ou de Samoa, la culture des Marquises est très spécifique.
Son patrimoine est riche et vaut la peine d’être découvert pour celles et ceux qui sont prêts à se confronter à une nature sauvage, abrupte comme parfois le caractère qui apparait en premier chez le natif, mais qu’il faut découvrir avec patience et persistance. Le maître mot est respect.

Nous avons dégusté au déjeuner kakai, repas communautaire, de la chèvre au lait de coco, du ika mito, soit du poisson cru, du popoi et du kaaku.
Ensuite nous nous sommes arrêtés chez un oncle de Bryan et nous avons goûté sa viande séchée et le copra, noix de coco séchée qui est vendue ensuite par bon nombre d’habitants des Marquises à des industriels qui en font de l’huile de coco.
Les hommes ont été initiés à la danse de la chasse du cochon, ce qui nous a fait bien rire.
Nous avons la vidéo. Elle est accompagnée de bruitages et de chants qui sont vraiment guerriers, destinés à faire peur à l’animal.
Bryan a acheté à son oncle 7 kgs de viande de cochon et nous en a offert un, destiné à être savouré en un succulent rôti un de ces prochains soirs sur le bateau.
Pour la soirée qui devait être la dernière de Manuelle et Patrick avec nous, ces derniers ont décliné le repas, Patrick étant malade. Quelques heures plus tard, c’était au tour d’Irène de devoir s’aliter. Les résistants aux virus ambiants sont partis dîner dans un magnifique restaurant du fameux hôtel Pearl lodge et ont assisté à un spectacle de chants et de danses traditionnels pendant une heure avant de déguster le buffet marquisard.
Nous profitons de nous rendre au restaurant lorsque cela est possible pour goûter aux plats locaux. Sinon le soir, après le repas pris à bord, nous entamons des parties très vives et animées de Code Name. D’un côté les hommes, de l’autre les femmes. Nous vous laissons deviner qui gagne de Christophe, Pierre et Vincent ou de Irène, Chantal et moi ?
Bonne nuit.
Demain, nous partons pour Tahuata, que Vincent vous a déjà évoqué dans son dernier article soit celui de nos rencontres avec les raies mantas géantes, puis une centaine de dauphins. Que d’émotions en perspective !