Moorea Huahine
Écrit par Vincent le 01/07/2022

Nous savons depuis Moorea que Fabienne est bien arrivée en Suisse. Nous pensons qu’il est bientôt temps de décoller de la baie Cook. Et de rallier Huahine à 80 NM de Moorea, soit 150 km.
Le lundi 27, nous sommes allés marcher avec Valentine et Sébastien dans une vallée, en retrait de la côte Nord. Le soir, nous avons invité les bateaux présents à un apéro à 17.00. Nous sommes 15 à bord. Avec les équipages de Impossible, Manacà, Akaora, Chap’s et Fou de Bassan, nous avons pu échanger en plusieurs langues sur tous sujets. Nicoline, Carlos et Antoine ont vraiment découvert l’esprit GLYWO. Celui qui transcende les origines et les cultures. Celui qui met à plat les ressources et nivelle les tailles des bateaux. Celui qui permet de se tutoyer d’emblée et de mesurer non la bravoure ou de rapidité, mais l’expérience et de la sagesse accumulées, par certains, sur plusieurs dizaines années.
Bref, la soirée fut à mon sens réussie, vu notamment les apartés et échanges divers. Elle nous permit de faire un peu baisser le niveau de nos réserves stratégiques en rhum et autres liqueurs, et surtout de porter des toasts, dont évidemment le premier à Fabienne, appréciée de tous et dont le départ précipité a stigmatisé plus d’un. Je ne peux qu’expliquer à nouveau les raisons de son départ que tous comprennent.
Nous levons l’ancre le 28 juin à 5.00 du matin. En même temps que Sébastien et Valentine. Nous sortons de la passe aux moteurs, que nous franchissons encore presque de nuit, le jour commençant à peine à apparaître. Puis nous hissons la grande voile avec un ris. Car les vents sont annoncés à plus de 20 Kn, même s’ils seront portants.
Nous continuons sur un moteur pendant une heure environ, car le vent n’est que très timidement présent. L’on prend un petit déjeuner à tour de rôle. Puis le vent monte, on déroule le génois, on coupe le moteur et on commence à glisser sur l’eau à 140 degrés du vent avec une vitesse entre 9 et 11 Kn.
Puis le vent forcit encore et les vagues prennent de l’ampleur
Je décide de ne pas risquer de casser quoi que ce soit maintenant. Ce serait trop bête. Nous roulons le génois et déroulons la trinquette. Le bateau ralentit un peu et ressent davantage la houle. Nous nous relayons à la barre.
Je remarque que certains membres de l’équipage piquent du nez, signe d’un lever très matinal, mais aussi d’un début de mal de mer.
Ce sera le cas de tous mes co-équipiers, qui continueront de manœuvrer lorsque je le leur demanderai, mais qui sombreront dans un comportement amorphe pendant les 11 heures de navigation. NIcoline s’en sort un peu mieux que les deux autres, mais elle ira aussi dormir.
Celui qui barre se trouve en règle général momentanément en meilleur état, mais retrouve son état antérieur sitôt qu’il arrête.
Nous correspondons par VHF avec Impossible qui nous suit. Et lorsque le vent diminue, je reste un peu sous toilé pour lui permettre de nous rejoindre. Nous voyons très progressivement Huahine se dessiner sous les nuages, à une trentaine de milles du but.

Nous arriverons clairement vers la passe vers 16.00, soit avec une légère marge par rapport au coucher du soleil.
Nous décidons de viser la passe Est et de nous ancrer dans un mouillage très protégé de la houle et en partie du vent. Nous nous mettons pas trop loin d’un unique catamaran à l’ancre. Et à peine sommes-nous ancrés qu’un petit canot à moteur avec deux charmants polynésiens vient nous dire que nous sommes mal placés. Il faudrait nous déplacer. Ce couple ajoute gentiment qu’il y a une bouée d’amarrage gratuite juste devant. Nous pourrons nous y mettre à 150 mètres de là. Nous remontons l’ancre en bougonnant et allons nous mettre sur le corps mort. Au demeurant ce sera plus confortable et probablement plus sûr, car il s’agit d’une installation pour assez gros bateau, que nous relions avec deux amarres, une sur chaque coque.

Je m’amuse de la santé retrouvée de mes équipiers sitôt la passe d’entrée du lagon franchie. C’est une métamorphose immédiate. Je crois qu’ils commencent à réaliser ce que voudraient dire 15 jours consécutifs de navigation, jour et nuit, dans une telle mer, avec vent constant et vagues formées.
Le soir nous invitons nos amis d’Impossible à un repas à bord. Les pâtes à la Norma ont un immense succès, cuisinées par Carlos, ainsi que le cake marbré concocté par Valentine pendant la traversée. Car tous les équipiers sont affamés, n’ayant que fort peu mangé. Mais à 21.00 tout le monde s’endort et la soirée s’achève rapidement.
Le lendemain matin Olivier Hari, son épouse Aurélie Conrad et leur fille Clara nous rejoignent à bord pour un petit déjeuner avec leur skipper. Nous les retrouvons avec joie et émotion, mais aussi un peu d’angoisse. Diantre, il va falloir faire visiter notre bateau à Clara, qui n’aura pas sa langue dans sa poche pour critiquer le désordre. Aurélie me rassure. Vu l’état de sa chambre, nous aurons de quoi répliquer si jamais.
Je sens mes amis de Genève venus de si loin étonnés et surpris de se retrouver enfin à bord à l’autre bout de la terre. Je leur fais rapidement un tour du bateau et réponds à leurs questions.
Je ressens de l’émotion partagée, même si pas totalement exprimée. Le départ de Fabienne les a surpris et marqués. Le petit déjeuner est abondant et savoureux. Leur skipper Arii très sympathique nous donne foule d’informations.
Voilà le petit déjeuner est déjà fini.

On se reverra à Bora Bora après la fin de leur croisière de trois jours sur un Lagoon 400. Ils partent encore saluer Sébastien et Valentine et faire la connaissance de leur chat ISIS, que Clara aimerait caresser. Puis ils lèveront l’ancre et traverseront 25 NM pour rejoindre Raiatea.
Nicoline se mobilise efficacement pour louer une voiture. Carlos restera à bord, car il prétend avoir à faire. Respect.
Nous trouvons à louer une voiture grand format, ce qui permet d’embarquer à cinq, vers midi.
Très vite, notre visite nous fait tomber sous le charme de cette très belle île un peu à part. Elle n’est pas très grande. Je devrais dire « elles » ne sont pas très grandes, car en réalité il y a deux îles ( Huahine Nui et Huahine Iti) qu’un mince chenal sépare. Et comme elles sont reliées par un pont ( le plus long de Polynésie apparemment ) qui enjambe ce chenal, l’on a vraiment l’impression qu’il n’y a plus qu’une île.
La population totale se monte à environ 6000 habitants. Le chef lieu de l’île, Faré, compte environ 1500 habitants. La population s’enrichit graduellement d’un certain nombre de français qui finissent par acheter du terrain, faire construire une villa avec vue et s’établir quelques mois par an.
On nous a aussi dit que venir s’installer sans tester les conditions de vie d’abord pourrait se révéler délicat. Car les polynésiens ne seraient pas si accueillants sur cette île.Et les distractions sont extrêmement limitées. Même si la végétation est luxuriante, les eaux vont du bleu au vert et les motus se succèdent autour de l’île, créant des baies harmonieuses. Les jardins sont bien entretenus et certaines maisons très bien arrangées. Nous nous rendons compte que tout ou presque est fermé, ce mercredi car il s’agit d’un jour férié. Mais lequel ? Apparemment en relation avec l’indépendance du territoire polynésien.
Qu’importe, nous visitons. Notre voiture s’arrête à chaque point de vue et nous identifions un snack où nous mangeons fort bien, fort tard, vers 14.30.
Il nous est encore donné de visiter une plantation de vanille. L’on nous explique la nécessité de conserver un environnement humide et ombragé en permanence, d’où la mise sur pied depuis l’ouragan de 1998 de serres sous forme de treillis. Dedans les plans de vanille poussent sur des tuteurs en béton. Au début juillet, les fleurs apparaissent et elles doivent immédiatement être polinisées. Comme elles n’ont une durée de vie que d’une journée, la présence du cultivateur et son intervention dextre et rapide est impérative chaque jour de ce mois de juillet. Ensuite, les gousses mettront neuf mois à mûrir puis à noircir ce qui permettra alors de les récolter. Il faut en moyenne compter deux à trois ans pour lancer une exploitation. Et la récolte a lieu une fois par an. Mais à en juger le prix prohibitif de trois gousses (environ 50 Euros), soit 10 euros le gramme, cette culture doit être rentable, voire très rentable.
Nous visitons encore une rivière à un endroit précis, pleine d’anguilles de très grosses tailles. Elles ont vraiment l’air de murènes d’eau douce. Mettre un doigt pour les réveiller en reviendrait à coup sûr à perdre une phalange. La légende rapporte que le dieu Hiro avait créé cette île, mais qu’il s’y ennuyait faute de présence féminine. Il aurait alors frayé avec les anguilles. Et de cette union serait née la population de l’île. Je ne sais si la représentation de la femme en sort grandie, mais je me comprends mieux certaines obésités locales, lorsque je vois la taille de ces monstres marins.
Voilà, nous rendons notre voiture à un charmant Monsieur français qui habite l’île depuis trente-huit ans. Il loue trois bungalows tout équipés, avec voiture et bateau. Son épouse est une « demi » dont la famille possède des terres bien placées. Visiblement il n’a pas l’air malheureux. La preuve il n’est rentré en France que trois fois depuis son arrivée sur l’île. Il l’apprécie pour son calme et sa sérénité. Et est d’avis que peu de choses ont changé depuis près de quarante ans, hormis les routes davantage et mieux goudronnées.
Nous sommes invités à manger ce soir chez Impossible. Valentine a réussi le tour de force de nous concocter une lasagne et une amandine, soit une tourte poire amande, que Carlos a immédiatement requalifiée de « valamandine ».
Nos discussions portent « inter alia » sur la crise énergétique qui pointe le bout de son nez. L’on n’aurait pas imaginé il y a encore quelques années des gouvernements avertissant à l’avance la population de ce qu’il faudra se montrer économe en gaz et combustibles l’hiver prochain en Europe. Sébastien pense que ce n’est qu’un début. La cris énergétique aura aussi des conséquences sur le tourisme, car les vols vont devenir beaucoup plus chers, notamment pour la classe moyenne. Il est difficile de prédire demain, mais l’on mesure à quel point le monde paraît progressivement basculer dans du moins certain.
Nous rentrons tard ce mercredi soir. Pour prendre connaissance des messages divers reçus avec le décalage horaire.
Je constate qu’Olivier a difficilement survécu à sa traversée sur Raiatea, m’avouant avoir passé peu de temps sur le pont. De son côté Clara a adopté son nouveau monde et Aurélie semble avoir mieux survécu à ces quelques milles en mer.
Je vous fais grâce de tous les échanges intervenus avec Fabienne depuis son départ de Moorea.
Je relève très simplement que beaucoup de réactions positives et empressées nous sont parvenues de Suisse et d’ailleurs dès parution du dernier article du blog. C’est beau. C’est touchant et c’est réconfortant. Merci aussi à tous ceux du GLYWO qui lui ont témoigné leur amitié.
D’une manière générale, Fabienne, à force d’insister, sans se cabrer, a pu obtenir une nouvelle hospitalisation de son père. L’on va s’attaquer à Sion à tout ce qui dysfonctionne, progressivement et systématiquement. Fabienne est assez exténuée, n’ayant pas encore complètement récupéré du jet-lag. Mais le bilan après quelques jours de présence est déjà incroyablement positif. Elle devait rentrer auprès de son père, ce qui précède le démontre amplement.
Prochain épisode, le tour d’Huhaine à la voile, et la suite de nos aventures maritimes à 20’000km de l’Europe.
L’ambiance à bord est juste géniale.