Lettre à la mer

Chers amis, familles, lecteurs des aventures du Crazy Flavour, La présente suit et complète les articles publiés par Fabienne ces derniers jours. En effet, nous, Lionel et Claude-Aline, souhaitons vous raconter notre traversée, la vie à bord et la trajectoire particulière que nous suivons. Chaque protagoniste vit l’aventure à sa façon et c’est ainsi que nous vous garantissons objectivité et vérité (de notre point de vue, vous l’aurez compris). Toute éventuelle divergence avec la version « officielle » est donc assumée. C’est en effet grâce à la (gentille) mutinerie mentionnée dans le précédent d’article de Fabienne que nous avons pu adapter les plans de quarts et vous adresser le présent message (après avoir accédé nuitamment à l’iridium). Ne vous méprenez pas : la croisière s’amuse toujours, l’ambiance est bonne et nous avons tous le sourire (jusqu’aux oreilles désormais bien bronzées)!   Le départ de Tenerife   Les premiers jours furent parfaits pour acclimater les marins d’eaux douces (en particulier les eaux de suisse orientale) que nous sommes. Les vents faibles nous ont contraints à avancer (en partie) au moteur pendant les premiers jours vers le Sud. Nous avons profité des heures plus calmes pour pêcher une daurade coryphène. L’appât corse, nommé « Rappalla » et connu de certains lecteurs, n’a toutefois pas tenu sous la pression du poisson suivant. Nous garderons donc un beau souvenir de cette unique et belle prise (jusqu’à aujourd’hui). Et puis, pour la suite, les conserves c’est bon aussi après tout.   Une fois l’équipage amariné, nous étions prêts pour relever le défi des alizés un peu plus forts que de coutume et avons pris le large au nord du Cap-Vert.   Incise technique sur notre parcours   Comme vous pouvez le constater en suivant notre position satellite, nous avons entrepris un large détour par le Sud en raison de l’absence de vents favorables à la latitude des Îles Canaries.   Sur un plan plus technique et simplifié, un voilier dépend du vent. Il ne peut en aucun cas avancer face au vent. En outre, les voiles à bord du Crazy Flavour ne nous permettent pas de faire du plein vent arrière lorsque le vent est fort. Il faut donc jouer avec la direction du vent et nos voiles pour prendre le vent dans un angle adéquat afin de garder le cap le plus rapprochant pour atteindre notre destination. Les navigateurs qui traversent l’Atlantique dans le même sens que nous, profitent des alizés, des vents qui soufflent d’est en ouest, pour atteindre les Caraïbes.   En l’espèce, les alizées étaient (avant le 28 novembre) établis à la latitude du Cap-Vert uniquement. Les prévisions oscillaient entre 18 et 25 nœuds de vent. Sauf que ceux-ci s’avèrent bien plus forts que prévus, avec des rafales à plus de 36 nœuds (dans les « grains », c’est-à-dire de courtes intempéries ou orages localisés) et des vents établis autour de 30 nœuds. Afin de mettre ces valeurs en perspective, le livre « La voile pour les nuls » (Isler & Isler, 2005) retient que les vents de plus de 28 nœuds sont « réservés pour des marins habiles sur des bateaux bien préparés. Il est impossible de rester sec ». Tandis qu’à 34 nœuds : « il est temps de rentrer qui vous que vous soyez ».   Le moment le plus impressionnant est sans aucun doute le premier quart de nuit sous le régime des alizées. Il fait nuit noire, sans lune qui ne se lève que bien plus tard. Le bateau avance à vive allure (Robin a atteint une vitesse de 18.7 nœuds de jour, le soussigné de nuit de 16.4) et est secoué par les vagues que nous ne voyons pas arriver. Le Crazy Flavour adore ces allures.
 

A la première occasion, le bateau commence à surfer sur les vagues et le pont se fait balayer par les embruns. On se dirait dans un toboggan ou dans une attraction de fête foraine. Les premières prises de ris de nuit (manœuvre visant à baisser une partie de la grande voile lorsque que le vent est trop fort) qui nous forcent à affronter les vagues de face sont également sportives.
Parfois également, un grain s’invite par surprise. Le vent augmente brusquement et les surfs se succèdent à un rythme effréné. Il se met parfois à pleuvoir fort puis le vent tombe quelques instants. Avant que le manège ne reparte pour un tour. Rapidement, le corps s’habitue à ce rythme et la routine s’installe. Si le ciel est dégagé, nous pouvons apercevoir la voie lactée et les étoiles.
Mais attardons-nous quelques instants sur les quarts (et leur attribution).   La (gentille) mutinerie   Sur la base d’un soupçon fondé de Bettina, Claude-Aline a analysé les plans de quarts établis par le capitaine. Cet audit approfondi a mis en évidence certaines disparités aux heures charnières (le quart de 02:30-05:30 est assez redoutable, renommé « quart du zombie » par Bettina) ainsi que dans les heures passées par les deux soussignés à la barre. Bien vu Bettina ! Les plans ont été adaptés pour les nuits suivantes (nous constatons également que le pire quart, c’est toujours celui que l’on a).
 

Il fait désormais plus chaud et les autres bateaux se font plus rares. Les quarts sont également rythmés par l’un ou l’autre poisson volant plus téméraire que les autres qui finit soit sur le pont du bateau, soit sur un équipier. Quelle drôle d’espèce de poisson. Le présent article, dont le titre initial était « droit de réponse » s’inscrit sans doute dans le cadre de cette (gentille) mutinerie. Nous croyons simplement que l’équipage est désormais rodé et que nous pourrions enchainer directement avec le Pacifique, le moral au beau fixe.   Les belles journées Jusqu’ici, le soleil a toujours agrémenté nos journées. Les grains sont accompagnés de magnifiques arcs-en-ciel dont on semble pouvoir distinguer le pied à quelques centaines de mètres du bateau. Les playlists qui raisonnent en rythme avec les vagues, la vue de baleines, d’oiseaux qui tournent autour du bateau et occasionnellement d’un chalutier asiatique sont autant de distractions sympathiques. Nous avons même un nouveau membre d’équipage. En effet, une belle mouette a élu domicile pendant quelques heures sur le trampoline et les panneaux solaires du bateau.   Nous guettons les levers de lune et les couchers de soleil, parfois drapés de nuages qui sont autant de moments magiques.     La suite – un détour par le Nord et une arrivée sportive en perspective   Selon le livre offert par nos amis (Nath, Arnaud et Sven), Christophe Colomb avait effectué sa traversée en 1492 en 21 jours depuis le Cap-Vert. Sa performance nous parait très impressionnante. Nous en sommes déjà à 12 jours en mer (nos records personnels) depuis Tenerife et nous devrions devancer Colomb de quelques jours (ayant doublé le Cap-Vert depuis 6 jours). Nous avons parié ensemble sur la date et l’heure d’arrivée approximative (formelle) à la Barbade (selon toute vraisemblance au Nord-Ouest). Les prévisions les plus optimistes (Vincent et Fabienne) prévoient notre arrivée lundi midi et les plus réalistes (Lionel J) mercredi en début d’après-midi.   Selon les prévisions à l’heure de rédiger ces lignes, la météo devrait être stable ces prochains jours avec toujours des vagues (2m et 3,25 m) et du vent de plus de 20 nœuds. C’est dimanche que le vent et les vagues devraient monter. Nous sommes prêts. Avec un peu de chance, nous pourrons vous adresser un second message en reprenant le contrôle de l’iridium…mais rien n’est sûr.