Les îles Canaries, test grandeur nature avant la Traversée de l’Atlantique.
Écrit par Fabienne le 31/10/2021
C’est désormais une vraie aventurière qui poursuit le récit. J’ai survécu à quatre jours et quatre nuits sans poser le pied à terre, sans apercevoir la terre, notamment une quelconque montagne à l’horizon. J’ai été cernée par l’eau tout autour, des paquets d’eau sont venus frapper le bateau de côté, dessus, dessous, faisant parfois soulever la table du carré ou sauter les lattes de mon matelas. Et je vous assure que je n’ai pas passé par Marseille ou Saxon, lorsque je vous narre cela !
Si Eole m’a épargnée dans cette traversée, Poséidon a voulu immédiatement me tester et m’intimider. J’avais prévenu Vincent que si je cédais à la panique, je ne lui en voudrais pas s’il me donnait un grand coup de rame sur la tête et m’attachait dans la cale jusqu’à l’arrivée.
J’ai bien crû que c’était ce qu’il devrait faire quant à la tombée de la nuit du premier jour, la houle s’est formée et que les vagues ont atteint deux ou trois mètres, voire plus et que les rafales de vent ont atteint trente nœuds. J’avais, pour mon quart dans la nuit, pris la précaution d’enfiler un collant sous un pantalon long de voile, un sous pull pour le ski et une grosse doudoune, avant de me coiffer de mon bonnet de laine, puis de passer mon gilet de sauvetage et ma banane survie. Mon costume de navigatrice hauturière enfilé, je n’ai pas regretté de m’être vêtue chaudement. Le vent soufflait, la température avait chuté et l’humidité me transperçait. Même les plus résistants aux basses températures finissent par avoir froid à la fin de leur quart.
C’est le bruit extrêmement fort qui est le plus impressionnant. Toute la structure du bateau est soumise à des tensions, des pressions incroyables et chaque drisse, hauban, écoute, poulie, enrouleur se plaint à haute voix en accomplissant son job. Quel concert ! Un petit truc : avec des boules quies, on réduit un peu le niveau sonore, tout en entendant encore ses co-équipiers et on diminue ainsi l’intensité dramatique du moment.
Ma couchette regagnée à la fin de mon quart, j’ai écouté la douce et sage voix du docteur Foster, car dans ma cabine, j’avais l’impression d’avoir pris un ticket à Luna Parc et je me disais que j’hallucinais de vivre ce moment-là, dans cet endroit, alors que j’aurais pu couler des jours heureux, sereins et paisibles pour ma troisième vie, dans mes terres natales. Et là, le miracle s’est produit ! Tout mon corps s’est détendu, mon angoisse a diminué, puis est partie et je me suis laissée non pas bercer, il ne faut pas exagérer, mais frappée par les paquets d’eau sans plus sourciller.
J’ai encore écouté deux ou trois de mes chansons préférées avec mes écouteurs sur les oreilles et je me suis endormie…
Au réveil, la houle avait un peu diminué, mais je ne me sentais guère d’attaque pour passer encore trois jours et nuits ainsi ballotée sur le bateau. Je me suis réveillée pas « trop » de bonne humeur, surtout quand Vincent m’a demandé innocemment si j’avais bien dormi. Je l’ai trouvée bien bonne cette question-là ! Je me suis dis que peut-être une autre fois l’auto-hypnose ne marcherait pas aussi bien et que mon skipper devrait quand même m’assommer.
Eh bien figurez-vous que cela n’a pas été nécessaire et que le temps s’est même écoulé agréablement dans les rires, la bonne humeur et un état d’esprit hyper positif grâce à un incroyable équipage.
Allez Cécile, je t’en livre la composition, car je sens que tu languis ! Anne et Félix Gueissaz n’ont finalement pas pu venir, car la date de notre traversée sur les Canaries a été repoussée par l’organisation du Glywoo et leurs agendas respectifs ne leur permettaient plus de se joindre à nous en compagnie de Nicolas Gueissaz et de Tania Lehmkuhl. C’est donc Philippe Gaudin et Louis Bretton qui ont constitué ce nouvel équipage, pour une étape très voileuse et maritime sans escale.
Tous les quatre sont d’âge, de professions, d’univers variés et divers, mais l’alchimie a fantastiquement fonctionné entre la dynamique, sportive et très déterminée avocate cinquantenaire qu’est Tania, l’ambassadeur sexagénaire de Nespresso, raffiné, souriant et toujours de bonne humeur qu’est l’ingénieur agro-alimentaire Nicolas et Philippe, dirigeant d’entreprise, cinquantenaire, le calme, la pédagogie et le savoir maritime personnifiés, et notre benjamin Louis, début de la trentaine, garde-forestier à Genève, la force tranquille, la serviabilité et le sens du bricolage chevillés au corps.
Nous avons fait des ateliers cuisine sous la co-direction des chefs Tania et Nicolas, parfois remplacés par Philippe, tous adeptes d’Ottolenghi. Nous avons savouré des poissons, des viandes et surtout cuisinés plein de délicieux légumes, notamment un fondu de poireaux sublime. Nous avons coupé, épluché, râpé et nos journées se sont écoulées dans la joie et la bonne humeur, tous prêts à savourer le repas suivant.
Nous sommes arrivés sous un ciel bleu, de jolis airs entre dix et quinze nœuds avec le gennaker à Lanzarote. L’équipage était parfaitement rôdé, chacune et chacun dans son rôle.
Nous avons avant de sabrer le champagne, mais après nous être tombés dans les bras, accompli les taches indispensables de remise en état du bateau, vu le sel accumulé.
Nicolas nous a immédiatement cherché les bons plans de restaurants dans la marina Puerto Calero.
Le lendemain, Vincent, Philippe et Louis ont passé la matinée dans l’entretien et la réparation du bateau. Tania et moi sommes parties avec comme chauffeur notre ami italien Andréa, capitaine de Cachalot, pour nous avitailler en ville et sommes revenues en taxi avec notre précieux chargement. Pendant ce temps, Nicolas attendait notre tour au salon-lavoir pour effectuer notre lessive, tout en devisant avec les autres qui osaient s’y aventurer pour tenter d’obtenir une machine.
Nos diverses missions ont été toutes accomplies en début d’après-midi et nous avons commandé un minibus pour six pour faire le tour de Lanzarote et découvrir les beautés de cette île mystérieuse, dont les paysages sont surnaturels, gris, noirs, arides comme on pourrait imaginer une planète inconnue. La pointe nord de l’île est sauvage, battue par les flots impétueux qui viennent se fracasser sur les rochers. C’est magnifique, surtout vu et contemplé depuis la terre ferme…
Les habitants cultivent les vignes de manière particulière et ingénieuse. Ils creusent un petit cratère autour de chaque plant, ce qui leur permet de recueillir la rosée du soir et celle du matin dans ce paysage si aride où le soleil cogne si fort. Une dégustation du fruit du travail de ces patients vignerons s’est imposée et a pris la forme de la visite de la cave El-Griffo, plus vieux domaine viticole de l’île fondé en 1775.
L’équipage a savouré les nectars de vin blanc sec et de Syrah rouge. Il a moyennement été conquis, mais le capitaine est reparti avec un carton de six bouteilles généreusement offertes par Tania et Nicolas pour renflouer la cave sise dans les cales.
La soirée s’est une nouvelle fois joyeusement terminée autour d’un délicieux repas dans le grill de la marina où nous nous sommes régalés, suivi par de rafraichissantes glaces sur le quai offertes par Philippe.
C’était la dernière nuit de cet équipage au complet. Nicolas et Philippe prennent l’avion ce dimanche matin pour regagner la Suisse. Louis est parti faire une plongée. Non seulement il est un plongeur chevronné, mais il est rescue diver. La classe !
Le capitaine joue avec ses instruments, Tania lit au soleil et je me bloque l’épaule à vous écrire un article la nuque au vent. Je finis celui-ci avec le torticolis.
Demain, Crazy Flavour vogue au sud de l’île, vers Rubicon voir la playa Bianca et s’y baigner si la température le permet, ce que doit nous dire Louis, lorsqu’il reviendra à bord.
Aujourd’hui c’est le 7ème jour, celui du Seigneur. Repos.