L’archipel des San Blas ou Guna Ayala

Rencontre

Les San Blas se situent au large de la côte caribéenne est du Panama et constituent un vaste archipel de près de 340 îles. Elles sont uniques au monde de par leur beauté et leur préservation. Certaines sont minuscules et inhabitées, d’autres abritent sous leurs cabanes de chaume, de palmes et de bambous une ou deux familles. D’autres sont peuplées de petites communautés regroupées en village. Les habitants sont des Amérindiens, les Guna ou Kuna, qui préservent de nos jours encore leurs coutumes et leurs traditions ancestrales.

Les îles San Blas et leurs territoires associés sur le continent s’appellent en réalité Guna Yala et sont constitués en une république indépendante du Panama. Les Gunas n’aiment pas le nom San Blas qui leur a été donné par l’envahisseur espagnol Vasco Nunez de Balboa au 17ème siècle. Ils ont lutté et payé dans le sang leur indépendance. Le pays ne connait pas la propriété individuelle et il n’y a aucune clôture. Les Gunas sont encore 55'000, soit moins de 10% qu’à l’époque à laquelle ils ont été envahis par les conquérants espagnols. Ils traitent leurs forêts souvent primitives et leurs terres comme un héritage.
Les membres des diverses tribus les préservent, mais ne les exploitent pas. Ils se préoccupent juste de leur conservation. Personne ne réclame de possession. Personne n’a le droit d’acheter une terre ou de l’exploiter. Les Anciens ne croient pas à la montée des eaux et à l’éventuelle disparition de leurs terres, malgré le fait que chaque année une île ou l’autre disparait. Certains villages proches de la Colombie, n’ont pas vu plus de deux ou trois bateaux depuis le début de la pandémie de covid.

 

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Cabane

Si les Gunas acceptent volontiers la présence d’étrangers sur leurs bateaux, ils ne veulent pas qu’ils s’installent sur terre comme résidents, ni qu’ils se marient avec l’une ou l’un des leurs, sous peine d’exclusion de la communauté. Comme il n’y a guère de mélanges, il y a un certain nombre d’Albinos parmi la population.

Les Gunas sont petits et mesurent moins d’un mètre cinquante. C’est la deuxième tribu plus petite au monde après les Pygmées. Ils sont néanmoins bien proportionnés, en bonne santé et débordent d’énergie. Ils ont des journées chargées dès le lever du soleil, occupées par la pêche, la récolte de noix de coco, chez certains de bananes et de cannes à sucre, la rénovation des maisons et la destruction des déchets par le feu. Ils élèvent des poules et de minuscules cochons. Les femmes fabriquent des tissus, qui sont des sortes de patchwork, appelés « molas » qu’elles vendent. Elles confectionnent également de fins bracelets de petites perles colorées. Chaque mola est unique et représente soit des oiseaux, des animaux marins ou des formes abstraites et géométriques. C’est une petite œuvre d’art en soi.

Les Gunas ont de beaux cheveux noirs de jais et une belle peau cuivrée. Les femmes, une fois mariées, portent les cheveux courts. Elles ont des bracelets de perles du poignet au coude et du pied au genou. Elles sont vêtues d’une blouse courte colorée, généralement dans des tons pastel, entourée par un mola sur la largeur de la taille et d’une jupe paréo. Elles portent parfois une amulette dans le nez et pour certaines se maquillent avec un trait noir fin du haut du front jusqu’au bout du nez. Les Gunas sont organisés en société matriarcale. Ce sont les femmes qui choisissent leurs époux quand elles estiment que l’homme est suffisamment mature. Ce dernier vient vivre chez la femme qui l’a choisi. Pour le divorce, c’est très simple. On ne s’embarrasse pas de paperasse et de procédure par ici. Quand Madame est lassée de son époux, elle met ses affaires hors de la maison et le chasse. Si Monsieur est choisi comme époux par une nouvelle femme, il doit venir quémander l’autorisation de se marier auprès de l’épouse qui l’a chassé. C’est assez cocasse de vous écrire précisément ce texte un 14 février, jour de la Saint Valentin. Bonne fête les amoureux !

Ce sont les femmes qui fixent le coût des molas que leurs maris vendent. Elles sont bien plus intransigeantes en affaires que leurs époux. Elles détiennent les cordons de la bourse, qui est en dollars. Les enfants sont scolarisés dans les villages, pour certains, sur le continent à Panama.

Ils apprennent l’espagnol et un peu d’anglais. Ils ont des vacances de trois mois à la saison sèche qui est précisément celle lors de laquelle nous visitons la région. Ils sont indifférents aux bateaux qui accostent, mais pour peu que vous vous intéressiez à eux, ils sont souriants, vifs et prennent plaisir aux échanges et… au goût du bon chocolat suisse.

Leur pirogue avec ou sans voiles sont appelées « ulus ». Les Gunas y prennent place pour faire des visites d’îles en îles avec leur famille. Les hommes vont pêcher souvent avec des sortes de paddle. Le soir, ils se rendent dans le village pour converser et traiter des problèmes de la communauté dans le « Congreso ». Ils se retirent tôt dans leur hutte traditionnelle. Ces huttes restent remarquablement sèches, même pendant la période des pluies. Le sol est un peu surélevé avec du sable compact et les murs sont construits et entrelacés de bois de cannes, de palmes et tiennent sans clous ou autre matériel de fixation que ce soit. Une telle hutte résiste aussi aux tempêtes et a une durée de vie moyenne de 15 ans.

L’intérieur est spartiate, quasiment vide, hormis des hamacs qui sont aussi occupés en début d’après-midi à l’heure de la sieste. Il fait alors terriblement chaud et humide.

Chaque village a deux huttes officielles : le « Congreso » et le «Chicha ».

Dans tous les villages, il y a trois chefs, les « Sailas ». L’un d’entre eux est le grand chef. Ils siègent dans des hamacs alors que les membres de la tribu sont assis sur de simples troncs de bois. Les chefs communiquent au travers  «d’Argars », sorte d’interprètes qui leur soumettent les problèmes à discuter, leur présentent les étrangers, etc. Les «Sailas » souvent chantent de longs chants sacrés et psalmodient sur leurs exploits passés et invoquent leurs ancêtres.

L’autre bâtiment officiel du village est le « Chicha » qui n’est occupé que deux fois par an, lors de cérémonies rituelles. Une boisson intoxicante est préparée de longs mois auparavant, à base de sucre de canne et d’ingrédients spéciaux, tenus secrets et destinés à faire entrer en transe toute la population pour ces évènements spirituels.

Les oiseaux sont nombreux dans la région. Les pélicans sont majestueux et magnifiques. Il y aussi des fous de Bassan, des cormorans et des perroquets.

Dans l’archipel, nous avons vogué tout d’abord à l’anse ouest de « Hollandes Cayes », sous l’île de Waisaladup, inhabitée, qui est tout simplement sublime.  Un vrai paradis terrestre à couper le souffle. Nous nous sommes rendus ensuite au milieu des Hollandes Cayes où nous avons dû slalomer dans un récif corallien à la recherche des passes grâce à la carte maritime et à des ways points laissés par l’ancien propriétaire sur l’écran de notre bateau, ce que nous avons découvert à notre plus grande stupéfaction, ceci signifiant que notre Crazy Flavour était déjà venu dans cet endroit si perdu, et d’ailleurs fréquenté par aucun autre bateau… Cette nuit-là, le vent a soufflé fort, mais nous étions protégés par l’île et sa végétation.

Le lendemain matin, nous sommes partis pour la « swimming pool » ainsi dénommée, tant l’eau est transparente dans des tons bleu, émeraude et turquois. Une baignade inoubliable, mais nécessitant une approche prudente avec notre voilier, car notre parcours était jalonné de récifs coralliens.

Nous nous sommes déplacés en dinghy à Barbecue Island, habitée par trois hommes Gunas qui entretiennent l’île. Ils nous ont servis des noix de cocos pour nous rafraîchir. Clarence et Nathalie se demandaient s’ils pourraient revenir à la civilisation dans quelques jours…

Dans l’après-midi, nous nous sommes déplacés à 300 mètres de là, sous l’île de Banedup, pour la nuit, ancré à coté de deux bateaux du Glywo, Jams et Blueway, dont nous avons invité les équipages pour un apéro. Rassurez-vous, nous ne devenons pas encore alcolos…

Le matin suivant, Jorg nous a amené des petits pains à la noix de coco, achetés auprès d’un habitant de l’ile Banedup. Surréaliste ! Nous l’avons rencontré ensuite l’unique habitant de l’île, notre boulanger. Il avait passé deux ans en Polynésie française et pouvait converser avec nous en français. Il préparait chaque matin des petits pains pour les bateaux de passage, et pouvait sur réservation, même organiser un repas sur la plage.

Nous sommes ensuite partis pour les Lemmon Cays, où nous avons mouillé à Iskandup, naviguant de concert avec Jams et Blueway. Nous avons partagé un repas à bord de JAMS, chez Jorg et Astrid en compagnie de Peter et Régina de Blueway. Chacun a apporté une salade de sa préparation et Astrid a cuisiné des spaghettis au homard. Miam !

Nous sommes partis ensuite le lendemain sur l’île de Porvenir, devant laquelle nous avons mouillé pour la nuit. Nous y avons retrouvé au mouillage Arnaud et Marie-Laure de Chap’s qui nous ont conviés pour un délicieux apéro de départ pour Clarence et Nathalie. Arnaud et Marie-Laure ont vogué pour leur part à deux depuis la Martinique jusqu’à Saint Domingue, avant d’arriver aux San Blas.

Dans l’après-midi, l’équipage du Crazy Flavour s’est rendu à terre en annexe pour visiter l’île de Porvenir et le village qu’elle accueille. Nous avons salué beaucoup de villageois qui nous ont présenté leurs travaux de coutures et leurs petits bijoux de perles. Nous avons bien entendu craqué Nathalie et moi pour des molas. Clarence et Vincent ont acheté des canettes de sodas à l’épicerie du village pour acheter quelque chose également, car ils n’ont pas voulu de t-shirts brodés.

Le lendemain matin, Nathalie et Clarence devaient nous quitter pour rejoindre Panama aux fins de prendre leur avion de ligne pour regagner la Suisse. Ce jour-là, pour la première fois aux San Blas, la météo n’était pas clémente. Il pleuvait, la vue était bouchée et les nuages fort nombreux obscurcissaient le ciel. Pas de chance ! J’ai senti le cœur de Nathalie, qui aurait préféré rentrer sur Panama en bateau, puis par la piste sur terre, se mettre à battre fort. Le pilote de l’avion qui devait venir se poser à Porvenir, a repoussé une première fois l’heure de son atterrissage, disant vouloir profiter d’un créneau météo plus favorable. Nos deux téméraires voyageurs ont saisi l’opportunité d’une accalmie pour descendre en annexe, conduite par le capitaine Vincent avec leurs bagages sur le terrain de la piste d’atterrissage. Presque à l’heure dite, leur appareil s’est posé. En quelques minutes, Clarence et Nathalie ont été embarqués. Nous avons surveillé leur décollage avec un peu d’appréhension vu la météo et la brièveté de la piste, mais tout s’est bien passé. Ils nous ont ensuite envoyé de magnifiques photos de leur vol, qui s’est révélé peut-être secoué, mais au final ensoleillé. Ils nous ont adressé des vues aériennes du canal de Panama et de Panama City, que nous allons à notre tour bientôt découvrir.

Après le départ de Clarence et de Nathalie, le 9 février, nous sommes partis voguer seuls sur Crazy Flavour dans l’archipel Guna Yala, Vincent et moi, découvrant à chaque fois des îles différentes, sauvages, mais toutes très belles. Deux soirs, nous avons dîné avec les équipages d’autres bateaux de la flotte, qui sont devenus des amis au fil de l’eau, sur des plages où les Gunas nous ont grillé des poissons, une fois et du poulet une autre fois, sur un feu de bois, accompagnés par un riz de coco. Nous étions assis sur des planches en bois, posées sur deux rondins, les pieds dans le sable, la tête dans les étoiles et la lune pour nous éclairer. C’était un repas divin, simple, frugal, mais en communion avec les amis et les éléments de l’univers.

Ce mois de février dans les San Blas restera un souvenir merveilleux pour Vincent et moi gravé en nous et cette aventure nous aura à coup sûr changé et ramené à l’essentiel .

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Turquoise