Lagons bleus, lagons verts, les merveilles des Tuamotu
Écrit par Fabienne le 15/05/2022

Tua-motu signifie les îles nombreuses en tahitien. Elles sont 76, toutes en corail, disséminées à la surface du Pacifique. Un petit bijou au cœur de la Polynésie qui ne se laisse bien approcher qu’aux voileux, comme les Paumotu les appellent. Des anneaux de corail qui affleurent l’eau, des tons bleu- océan qui se déclinent en lapis-lazuli et turquoise, des rivages de sable blanc nacré et des palmiers chargés de noix de coco qui ondulent sous le vent.
C’est ce qui s’offre tout d’abord à nos regards émerveillés en arrivant sur Fakarava Nord après trois jours de navigation sous de jolis airs. L’équipage a bien tenu le coup, bien que trois jours et nuits sans voir la terre soient de grandes premières pour Thierry et Claude Bretton (avec deux t, pardon Augustine) et Chantal Bordier. Nos vaillants marins sont immédiatement récompensés de leurs efforts et de leur bravoure par le spectacle qui s’offre à nos yeux encore embrumés de sommeil ce petit matin-là.
Les Tuamotu, ce sont 4 îles principales et 18 îlots et atolls. Les îles répondent aux noms chantants de Rangiroa, Fakarava,Mangareva et Hao. Leur superficie terrestre est de 800 km2 et leur superficie maritime est de 20'000 km2. Il y a de quoi naviguer et de rêver entre deux îles… comme ce terrain aquatique s’étend sur une superficie de deux fois la France.
L’ensemble du territoire terrestre de l’archipel est occupé par 16'850 habitants.
Ce peuple, loin de tout, puisque Tahiti est à 300 km de l’atoll le plus proche et à 1'600 km au sud-est du plus éloigné, n’a occupé cet archipel qu’à partir de l’an 1'000.
Habiles navigateurs et pêcheurs expérimentés, les Paumotu ont su exploiter toutes les ressources marines, récifales et lagonaires de l’archipel dans le respect de ce magnifique biotope marin constitué de poissons,crustacés, oursins et certains coquillages comme les bénitiers. Outre le pandanus et le cocotier, matériaux traditionnels pour l’édification des maisons, ils ont appris à utiliser le corail.
La pirogue fonde l’organisation de la société paumotu, dont elle est l’instrument indispensable et traditionnel. Elle symbolise l’organisation du groupe. Unies, mais différentes, chaque île a conservé son propre dialecte. Heureusement pour l’équipage du Crazy Flavour, les Paumotu parlent le français partout, même s’ils doivent parfois chercher un mot ou un autre.
Les habitants des Toamotu ont vécu dans des conditions difficiles et adverses : terres très basses vulnérables aux houles cycloniques, sols coralliens, eau douce rare, faune terrestre inexistante, à part les moustiques qui rendent certains endroits inhabitables, malgré leur grande beauté.
Cela n’a pas altéré la bonne humeur de ce peuple doux, joyeux, cool, qui aime faire la bringue au son du ukulele, au moindre prétexte.
Les missionnaires catholiques ont dissuadé les Paumotu de continuer à planter légumes et fruits dans des fosses remplies de humus, leur conseillant de se tourner uniquement vers la production du coprah, plus conforme selon eux à leur bien-être physique et spirituel, ce qui les condamne désormais à attendre l’arrivée d’un bateau de ravitaillement deux fois par semaine.
Quelques minutes après que les étals des magasins soient remplis, ces derniers sont littéralement pris d’assaut en ce qui concerne les produits frais. Seuls quelques esprits rebelles ont été bien avisés de ne pas écouter les missionnaires et ont continué de planter fruits et légumes pour nourrir leur famille et vendre leur surplus aux voileux.
Le lundi 9 mai, jour de notre arrivée, nous avons planté notre ancre à Rotoava, petite perle dans son écrin, juste en face de son église.
Tout l’équipage a souhaité se rendre à terre, avec le CrazyFabi, d’une part pour voir si nous tenions encore la route et d’autre part pour découvrir ce ravissant village. Grand bien nous a pris, car ce fut la seule fois où nous avons pu visiter son marché artisanal, fureter dans des petites boutiques locales. Le joli restaurant si accueillant du village, nous a informé fermer jusqu’au jeudi soir, arrivée d’un prochain bateau avec des touristes.
Le distributeur d’argent était en panne, nous ignorons depuis quand et ce n’est que le jeudi dans l’après-midi que nous avons réussi à nous rendre à la mairie enfin ouverte pour nous acquitter des taxes pour les déchets et le séjour des membres du Crazy Flavour. A 15h, la mairie a fermé ses portes et nous avons entendu de grands éclats de rires dans la salle de celle-ci et j’ai découvert en passant la tête à l’intérieur qu’un groupe s’était formé autour d’une table non de délibérations, mais de ping-pong. Géniale une telle administration !
Le mardi, après le traditionnel nettoyage intégral du bateau qui suit les traversées, frigos et four compris, suivi de l’expédition que vous connaissez désormais toutes et tous, la lessive, nous sommes partis à la découverte d’un récif corallien niché non loin de notre bateau avec masques et tubas. Une grande première tant pour Chantal que pour Claude qui nagent pourtant en eaux froides habituellement et comme des sirènes. Une fois le matériel testé et apprivoisé autour du bateau, ce fut le départ de tout l’équipage, palmant en direction du récif. Un spectacle éblouissant s’est alors offert à nos yeux, tout empreint de beauté, de délicate fragilité, de subtile vulnérabilité. Claude en est ressortie bouleversée d’émotion et Chantal conquise par l’attractivité de ce monde sous-marin, malgré la présence de requins dormeurs et même d’un requin pointe-noire. Les récifs étaient colorés de même que les nombreux bancs de poissons.
C’était la présentation inaugurale avant le mercredi où nous avions prévu une journée comportant trois plongées successives sur le bateau d’un autochtone Fred, un mètre nonante et à mon avis 130 kg, tout tatoué, avec un collier de dents de sangliers à faire peur, mais au large sourire bienveillant. Le capitaine avait repris du service ce jour-là, accompagné de sa fille Kariga qui travaille normalement avec un cousin,en congé.
Nous sommes partis tôt le matin à bord de leur bateau motorisé pour nous rendre dans un premier site à Tikehau, petit bout d’atoll bien chahuté par les vagues et le fort courant dans lequel nous nous sommes laissés porter après avoir sauté de l’embarcation. Notre courage a été largement récompensé, car une faune et une flore sous-marine luxuriante, variée et splendide nous attendaient. Après Bonaire, c’était le plus beau spot qu’il m’ait été donné de voir. Après trente minutes d’efforts pour lutter contre les vagues, nous avons dû remonter à bord. Nos yeux en redemandaient encore, mais nos muscles rendaient grâce, d’autant plus que plein de requins dormeurs de tailles variées et diverses chassaient dans le secteur et qu’un requin pointe noire est venu courtoisement saluer Claude de très près.
Nous nous sommes ensuite dirigés vers un second site, un motu vierge l’île aux oiseaux ou le fils de Kathleen et de Peter, Sébastian ( du catamaran Tartine) a vu immédiatement sa chance au loto doubler, sous le grand rire tonitruant de Fred.
Dans cette deuxième plongée un peu moins agitée, Chantal nous a accompagné appliquant ma propre méthode. En cas de danger requin, je saisis la main de mon mari, voire passe de l’autre côté de son corps…A nouveau, toutes les beautés du monde sous-marin s’étaient donné rendez-vous dans ce motu du bout du monde. Nous n’avions plus envie de nous en extraire. C’est parce que Kariga nous a parlé du site des Sables roses que nous sommes remontés à bord et que nous avons été débarqués quelques minutes plus tard par un Fred hilare au milieu de l’océan dans un lagon dans lequel nous marchions sur l’eau, que nous avons traversé pour nous rendre sur un îlot.
Un peintre n’aurait plus su dans sa palette quel bleu utiliser pour le ciel et les différents tons de l’océan, le nacre du sable de la plage et le vert de l’îlot. Sur la plage, Kariga avait dressé pour nous une table sur laquelle elle avait déposé des jus de fruits, de l’eau et des morceaux de fruits frais ainsi que du poisson cru au lait de coco que nous avons dégusté sur des feuilles ainsi que des boulettes de coco.
Un vrai régal même pour Vincent qui mange désormais volontiers du thon frais et de l’espadon. Nous avons après ce déjeuner traversé l’îlot pour nous plonger une dernière fois dans un lagon émeraude dans lequel il y avait surtout des requins dans très peu d’eau.
Selon Fred, la population des requins est actuellement trop nombreuse aux Tuamotu en général et à Fakarava en particulier au détriment d’autres poissons qu’ils ont dévorés et des tortues qu’ils ont fait fuir. Ce serait la politique centralisatrice de la France qui ne tiendrait pas compte des particularités locales qui en serait responsable.
La rentrée sur le village de Rotoava a été épique, car nous étions face au vent et aux vagues, mais Fred ne s’en est pas laissé compter par un hydrospeed plein de plongeurs qui narguait notre modeste pirogue. Il a pris l’option « bord à terre» et nous les avons « talqués » comme dirait Pierre, vice-amiral à bord et amiral du Crazy Fabi en ce moment. Inutile de vous préciser que Fred est un marin expérimenté qui connait bien son territoire. Il a réussi à ne pas nous briser la colonne vertébrale dans les immenses creux et à accélérer chaque fois que possible pour regagner de la vitesse et de la distance sur le concurrent. Nous sommes arrivés au mouillage détrempés, mais heureux.
Les débuts d’après-midi sont souvent consacrés à la sieste, aux lectures et à la rédaction du blog ou des carnets de voyage. Le milieu de l’après-midi est dédié à la baignade, quand nous n’avons pas vu trop de requins pointes noires rôder autour du bateau et chasser les bancs de poissons. Le soir, comme la nuit tombe à 18h, nous sommes souvent déjà somnolents à 20h après le dîner. Nous prétextons souhaiter lire pour regagner nos cabines respectives, mais nous sombrons toutes et tous rapidement dans un profond sommeil jusqu’au lever du soleil vers 6h le matin.
Jeudi matin, nous avons loué des vélos chez Stéphanie, multi-services, puisqu’elle s’est aussi chargée de nos lessives. Le soleil était ardent et la température est vite montée après quelques coups de pédales sur nos vélos torpédos, déjà d’un âge certain et sans vitesse. Vous me direz que ce n’est pas forcément nécessaire quand on monte une côte au maximum de trois mètres et que l’île ne fait que 15 km de long, mais quand même…
Au kilomètre 1, Vincent s’est arrêté à la boulangerie pour passer commande de pain pour le lendemain.
Au kilomètre 3, le trio de filles a fait stopper tout le groupe pour s’arrêter dans la boutique de Lia qui crée des vêtements avec des produits locaux qu’elle les confectionne elle-même. Nous avons craqué sous son joli sourire et sa gentillesse et lui avons acheté chemises, jupe, petit haut et sac. Bravo à ce jeune talent.
Au kilomètre 9, nous avons fait halte à la ferme perlière de Gunther, un Allemand marié à une Paumotu qui est un passionné de cette culture et qui y a consacré une grande partie de sa vie. Il est aujourd’hui en proie à des problèmes de santé qui l’ont conduit dans une chaise, mais il raconte encore avec les yeux brillants le processus qui permet aux perles de Polynésie d’être les plus belles du monde. On ne vous livrera pas ici les secrets du nucléus, moule du Mississipi, introduit dans la poche d’une huître perlière, après incision, puis replongées dans l’eau pendant 15 mois à 6 mètres de profondeur et qui dansent naturellement dans le coquillage en tournant tels les derviches-tourneurs pour obtenir cette forme cylindrique, qui se charge au fur et à mesure de l’écoulement du temps de nacre et qui est soit parfaite, (perle de type A), soit avec une imperfection (perle de type B à D) ou totalement irrégulière comme la perle baroque ou de toute autre forme fantaisiste que la nature veut bien nous faire découvrir. Les perles cashee sont quant à elles sans nucléus et prennent plusieurs années pour se former, de manière totalement naturelles et aléatoires.
Nous avons bien entendu toutes craqué et choisi les perles qui nous ont le plus séduites.
Après l’effort, le réconfort à 13h au snack Kori-Kori dans lequel nous nous sommes restaurés de petits plats soignés en terrasse sur des pilotis. C’est plutôt fabuleux en dégustant son thon snacké ou son poisson cru au lait de coco de contempler les requins nager dans une eau cristalline et chasser sous nos yeux écarquillés. Nous étions sous le charme du Quai d’Hermance, mais là, nous atteignons encore une autre dimension !
Requinqués par notre agape, nous pédalons avec une vitalité renouvelée et traversons le village dans l’autre sens. C’est un peu le Cologny local avec de belles propriétés, toutes garnies par des bouées de bateaux, très à la mode dans le coin, mais nous ne voyons âme qui vive, car les Paumotu se lèvent vers 4h30-5h le matin et terminent leur journée vers 15h.
Nous allons alors rendre nos montures chez Stéphanie et regagnons le Crazy Flavour avant que le soleil ne se couche.
Le lendemain matin, nous avons prévu de lever l’ancre tôt aux fins de nous rendre à Fakarava Sud pour de nouvelles aventures et rejoindre la partie de la flotte Glywoo qui s’est rendue aux Gambiers, et non aux Galapagos, et notamment retrouver nos amis d’Impossible, Sébastien et Valentine.