La Grande Motte/Barcelone
Écrit par Vincent le 29/09/2021

Un premier constat tout d’abord. Vous êtes plus de 260 à lire (apparemment avidement) notre blog. Cela va même plus loin. Vous semblez apprécier son contenu, si j’en juge par les encouragements reçus et les questions/réactions qui suivent chaque parution. Continuez de réagir, cela nous permet de rester connectés et de nous adapter.
Un deuxième constat ensuite, le style d’écriture de Fabienne vous plait. Beaucoup. Difficile dans ces conditions, de reprendre la plume, ou plutôt le clavier, après autant d’éloges sur sa manière de narrer l’histoire de notre début de voyage.
Exclu que je marche sur les plates bandes de ma blonde. Difficile de me cantonner à vous raconter des navigations en expression purement marine. La marge de manœuvre est étroite, et il vous reviendra de nous faire savoir si ce mélange de styles et d’auteurs vous convient.
il est 11.00 ce lundi matin du 27 septembre, lorsque nous larguons les amarres et quittons le quai, à Port Camargue. Bizarrement, je ne ressens pas l’émotion à laquelle je m’attendais pourtant ; diable ce n’est pas tous les jours que l’on entame pareil périple. Peut être suis-je concentré sur le processus du départ et à ne rien oublier ?
Fabienne a pris la barre et effectue la manœuvre de port avec une aisance extrême. Le métier est là. C’est certain, elle aurait eu de l’appréhension avant. Je la vois suivre l’évolution de son bateau, devancer ses réactions et prendre le temps et le plaisir de saluer la capitainerie, en sortant de ce port qui nous a si bien accueilli depuis six ans. On a d’ailleurs décidé de porter les couleurs de Port Camargue avec celles du GLYWO, qui organise notre odyssée.
C’est très tranquillement que nous mettons le cap au moteur sur la Grande Motte. Le départ sera donné entre 12.00 et 12.15. Il n’y a aucun souffle. Fabienne dirige la manœuvre de la montée de la Grande Voile.
Victor Taburiaux notre leader maximo, qui coordonne la flottille, procède à l’appel des bateaux et demande à chacun sur le canal 72 de la VHF sa destination.
Nous comprenons que quelques bateaux ont décidé de partir plus tard, faute d’avoir fini leur préparation, ou simplement parce qu’ils ne se sentent pas encore tout-à-fait prêts. En réalité, nous ne serons que trois à partir pour Barcelone. La majorité de la flottille a décidé de rallier les Baléares.
D’autres prennent leur temps dans le golfe du Lion. Un est parti la veille. Cela fait un peu « je fais comme je veux », mais il est vrai que le départ officiel du rallye aura lieu aux Canaries, que certains rallieront d’ailleurs directement, en court-circuitant l’étape pourtant attractive de Séville.
la ligne de départ est ouverte et nous la franchissons en premier à 12.04, avec les voiles mais également l’aide du moteur. Il s’agit d’une ligne posée entre deux bouées proches de la jetée sur laquelle tous les employés du chantier Outremer sont réunis.
Mes beaux parents devraient s’y trouver également, mais nous ne les voyons pas.
Le passage de chaque bateau déclenche des hourras sur l’eau, sur les bateaux accompagnateurs, et sur terre. On sent l’émotion monter. Sans comparaison évidemment, on peut mieux comprendre ce que les marins solitaires éprouvent à chaque départ de compétition majeure, du type le « Jules Vernes, ou la « route du Rhum ».
Nous sommes six à bord, et il est évidemment important de nous distinguer, en rappelant à tous notre citoyenneté helvétique. Nous faisons sonner deux cloches.
L’une d’un ancien navire que notre ami Pierre de Preux nous a offerte il y a deux ans. L’autre, plus raisonnable en taille, cadeau de nos amis Cunningham juste avant notre départ de Suisse.
Elsbeth et Tim, l’on doit bien piteusement vous avouer que le collier de votre clochette s’est détaché et que celle-ci est tombée à l’eau, une fois la ligne franchie. Bon ou très mauvais présage? L’avenir nous le dira.
Nous nous éloignons très doucement à 60 degrés du vent, peu de vent, mais suffisamment pour glisser sur l’eau. Certains font usage de leurs moteurs pour se replacer, d’autres montrent déjà leurs fins réglages. Celà a beau être une non régate, les divers marins se comparent…
Nous avons décidé, vu le routage météo effectué la veille et le matin même, de prendre une route plutôt Est avant de plonger plein Sud et d’éviter franchement le cap Creus qui a plutôt mauvaise réputation. Les quatre premières heures sont sensiblement lentes, avec un bateau qui peine à dépasser les quatre noeuds. Et un vent en dessous de six noeuds. Puis après un bref épisode ou l’on atteint les six noeuds de vitesse, nous voilà au moteur. On ne va quand même pas passer deux nuits sur l’eau pour aller à Barcelone qui est à 173 milles nautiques.
S’ensuit après la tombée de la nuit une montée progressive du vent jusqu’à un peak de 34 noeuds, ce qui est très fort. Nous sommes sous grande voile seule à suivre le vent au grand largue, à passer de loin la frontière entre l’Espagne et la France. Mais heureusement le vent redescend assez rapidement à 20/25 noeuds. Et lorsqu’il se stabilise en dessous de 20 noeuds, nous déroulons le génois et longeons la côte espagnole au cap 230 en direction de Barcelone. Le lever de soleil est magnifique.
L’équipage paraît avoir souffert d’une nuit assez agitée, par le bruit généré par la vitesse du bateau dans une mer assez formée, et par les secousses associées au rattrapage des vagues à 10-12 noeuds de vitesse. Bref le calme qui comme toujours succède à la tempête, permet à chacun de récupérer pendant le matin, avec même un bref épisode moteur. Diantre, il reste encore 45 milles jusqu’à l’étape, et il ne faudrait pas arriver trop tard.
Midi voit le skipper se réveiller après une nuit quasi sans sommeil, et un vent qui se lève en plein dans le nez, soit de face. Les marins comprendront que cela rallongera la route de 50 %, en raison du louvoiement qui s’annonce.
Les néophytes pigeront que si l’on doit remonter contre le vent avec des bords avec des angles d’environ 90 degrés, la route se rallonge forcément. De surcroit le ressenti du vent augmente puisque l’on ajoute sa vitesse à celle du vent.
Si le vent souffle à 20 noeuds et que l’on remonte à 8 noeuds contre le vent, le ressenti est un vent de 26 noeuds. Inversément, ce qui fut le cas la nuit d’avant, si l’on reçoit dans notre dos du vent à 30 noeuds et que l’on avance à dix noeuds, le ressenti est de l’ordre de 21/22 noeuds.
Décision est prise de mieux anticiper que lors de la nuit précédente et de prendre d’emblée un ris et d’établir la trinquette en lieu et place du génois. La surface vélique offerte au vent est moindre, le gréement souffre moins et le bateau va (étonnamment) aussi vite.
Sur Crazy Flavour, nous n’avons pas le même ressenti que sur un monocoque. Sur un monocoque, un trop fort vent lorsque l’on est au plus près du vent ( soit à 45 degrés environ), emporte immédiatement la gîte du bateau. Il penche et la quille sous l’eau, lestée de plomb, absorbe l’excès de surface de voile. L’on comprend alors qu’il faut réduire la voilure.
Rien de tel sur un catamaran. Un Outremer comme Crazy Flavour, est trop lourd pour lever une coque. C’est donc soit les écoutes ou les drisses qui cèdent, voire le mât qui casse, sans signes précurseurs évidents, comme de la gîte.
Il faut donc suivre des tabelles et s’obliger à réduire la surface de la grande voile en prenant de un à trois ris. Cela revient à baisser la base du triangle que constitue la voile qui ne monte dès lors plus jusqu’au haut du mât. Parallèlement l’on change de voile d’avant en roulant notre génois et en déroulant une trinquette dont la surface est notablement inférieure. Dans des conditions de très très fort vent l’on peut finir avec un tourmentin (qui est qualifié usuellement de mouchoir tellement il est petit ) devant le mât, et une grande voile avec trois ris.
Bref, pour rejoindre Barcelone, il nous a fallu commencer avec un ris et une trinquette et même finir avec deux ris, avec un vent apparent à 27 noeuds, alors qu’il n’était en réalité que de 21/22 noeuds.
Fabienne, après Blanche et Pascal, s’essaie à la barre, Elle éprouve le plaisir de ressentir à cette position les réactions de son catamaran. Il faut en permanence arbitrer entre cap et vitesse. Si l’on remonte trop le bateau s’arrête, ou presque. S’il l’on augmente trop la vitesse, l’on perd du cap et l’on augmente grandement la route. Je sens, non sans fierté, que mon épouse maîtrise parfaitement ce dilemme permanent et fait magnifiquement marcher notre Crazy Flavour, qui oscille entre 7 et 8 noeuds au près, dans une mer qui se forme. L’on louvoie ainsi contre le vent pas moins de quatre heures en voyant les contours de Barcelone se dessiner, puis se préciser.
Pas fâchés d’arriver après ces deux épisodes successifs de vent plutôt forts, je découvre que la manœuvre de port qui nous attend ne sera pas évidente.
Descendre dans un port étroit, dans une place peu large, en marche arrière avec le vent de 20 noeuds dans le dos n’est pas évident. Bref on y arrive sans trop de mal, malgré quelques frayeurs et les angoisses de devoir s’amarrer avec des pendilles.
Que sont des pendilles ? Ce sont des cordes dans un port qui sont amarrées à des corps morts à 15/20 mètres du quai. Elles sont reliées au quai par des cordelettes que l’on peut y prendre pour les amener à l’avant du bateau en vue de s’amarrer par l’avant. Cette manière de procéder évite de devoir mouiller l’ancre à l’avant du bateau.
C’est en règle générale un moment d’inquiétude et de grande solitude pour tout skipper normalement constitué lorsqu’il arrive arrière à quai par fort vent et qu’il doit compter sur la diligence de ses équipiers pour qu’ils récupèrent, puis amènent fissa fissa les pendilles pour amarrer l’avant du catamaran.
On a simultanément un sentiment de gêne et de reconnaissance pour lesdits équipiers qui empoignent ces pendilles et amarres stockées au fond d’un port dont les fonds sont usuellement fort peu propres. Il faut ensuite quasi désinfecter ces valeureux équipiers dont les mains et les gants sentent tout sauf la rose…
On est arrivé à Marina Vela à 17.30. On est heureux. La tension se relâche.
Fabienne vous narrera, bien mieux que je ne saurai le faire, son ressenti après une sleepless night et une arrivée sportive.
Victor Taburiaux, qui nous a aidé à amarrer, partage avec nous une coupe de champagne. Elle permet à l’équipage de mieux s’approprier cette première étape dans laquelle les conditions ont été un peu éprouvantes, sans toutefois être jamais à risque. Mais plus de 30 noeuds de vent pour la première étape ce fut, comment dirais-je, assez initiatique. Était-ce en raison de la clochette perdue sur la ligne ? Je n’ose le croire. Comme le dit souvent Fabienne, mi-ironique, mi-sérieuse, je suis bien trop cartésien…