La chevauchée fantastique : le galop final
Écrit par Fabienne le 10/12/2021
Mardi 7 décembre vers midi, le capitaine, à la barre, crie :« terre, terre ». J’ai beau écarquiller les yeux, pour ma part, je ne vois rien. Robin opine du chef. C’est navrant, Tout le reste de l’équipage est comme moi. Bonnes âmes, nous ne mettons pas en doute leur parole, mais je n’arrive pas à me réjouir. Je suis quand même du genre Saint Thomas : je dois voir pour y croire.
Une heure plus tard, à mon tour, je distingue les contours d’une île. Plus de doute, c’est bien la Barbade qui se dessine dans le lointain. Je préviens les autres que je vais faire un cri et une danse de Sioux, afin de leur éviter une crise cardiaque. Je m’éloigne un peu vers l’avant puis je pousse un cri de joie dont l’écho a dû retentir jusque dans les vallées les plus reculées du Valais et j’entame une petite danse de sauvageonne qui doit venir du fond des âges.
L’équipage se marre et se demande probablement s’il doit prévenir les autorités sanitaires qu’ils ont une folle à bord.
Lionel toujours prévenant me demande comment je vais.
A 16h15, le capitaine du Crazy Flavour nous annonce au port de Bridge town. C’est Claude-Aline qui a gagné les paris. Elle avait prévu notre arrivée mardi dans l’après-midi. C’est pour elle la tournée de cocktails. N’allez pas chercher que ce soit la gagnante qui trinque ! Nous sommes des crazy people !
Comme j’ai retrouvé momentanément un brin de raison, Robin me cède la barre pour les derniers miles nautiques. J’étais à la barre au début de la traversée à Santa Cruz de Tenerife et il me la cède pour que je boucle la chevauchée fantastique à la Barbade. Pendant ce temps, Vincent réunit tous les documents nécessaires pour les formalités d’arrivée. Nous avons hissé un pavillon aux couleurs de la Barbade ainsi qu’un pavillon jaune pour indiquer que nous n’avons pas encore accompli lesdites formalités.
C’est alors que nous apercevons un petit hors -bord qui se dirige droit sur nous au grand galop sur les vagues. Se maintenant debout à l’avant au moyen d’une corde, chahuté par les flots et la vitesse, nous reconnaissons Victor qui vient nous accueillir. Il est piloté par un jeune homme souriant aux petites tresses. Nous les saluons avec de grands signes. Ils nous guident dans le port, jusqu’à une estacade devant les autorités portuaires où nous devons rester à l’isolement.
Seul le capitaine est autorisé à mettre les pieds à terre pour présenter nos passeports à une jeune femme en uniforme de douanière qui n’ose pas s’avancer sur le pont flottant. Il se rend ainsi jusqu’au quai. Il marche normalement, apparemment sans tanguer et nous sommes admiratifs. Et nous, qu’en sera-t-il ?
Une fois les formalités administratives remplies, deux infirmiers montent à bord. Nous devons nous masquer. Il s’agit d’une femme et d’un homme, très professionnels et sympas. Nous sommes testés à tour de rôle. Ils sont précautionneux et cela se passe très bien. Nous sommes tous négatifs au Covid. Le contraire nous eut étonnés après 17 jours à l’isolement dans notre bateau. Ils communiquent nos résultats aux autorités sanitaires qui nous donnent le feu vert pour descendre à terre dans les trente minutes qui suivent.
Victor nous offre deux bouteilles de rhum et une coupe de fruits locaux ainsi qu’une casquette de la Barbade pour le capitaine.
Nous profitons de l’eau au ponton pour nettoyer le bateau à l’eau douce et faire des lessives, car nous sommes autorisés à rester jusqu’au lendemain matin à 8 heures. Lionel est d’une efficacité redoutable. Il empoigne un balai et le jet d’eau douce et en un rien de temps, le bateau est dessalé. Il nous remplit aussi les réservoirs d’eau en un tour de main. C’est indispensable, car nous irons ensuite mouiller à Carlisle bay dès le lendemain matin et nous n’aurons plus accès à l’eau douce.
Je m’aperçois que j’ai peu parlé de Lionel, probablement parce que c’est notre fils et que je suis habituée à son fonctionnement, mais je dois ici et maintenant lui rendre justice. Il a été omniprésent pour aider tout un chacun pendant toute la traversée. Il a le mot gentil et encourageant quand il le faut. Il résout les problèmes des instruments et de l’informatique avec le capitaine. Il l’aide à prendre les bonnes décisions. Il imagine des solutions et accomplit les réparations avec Robin lorsque quelque chose casse. Il cuisine avec Claude-Aline de bons petits plats. C’est un marin accompli, qui a battu des records de vitesse à la barre et qui use d’une pédagogie bienvaillante pour expliquer, rester calme et souriant dans les manoeuvres parfois délicates à accomplir. Il a passé beaucoup de temps avec moi pour me montrer comment faire au mieux lorsque je serai seule avec Vincent pour prendre un ris ou le processus pour empanner sans risquer de me blesser et d’utiliser le plus judicieusement ma force. Je lui en suis très reconnaissante. Claude-Aline pour sa part nous a fait réviser, Bettina et moi, les différents nœuds.
Il est temps de descendre à terre. Nous prenons à tour de rôle une longue douche et nous nous lavons les cheveux. Nous sommes arrivés avec nos polos signés avec le logo du bateau et nos casquettes transat 2021/Crazy Flavour. Nous délaissons nos tenues de marins pour des tenues de ville. Nous avons commandé un taxi pour 19h pour aller dîner en ville. Incroyable, nous marchons sur la terre ferme, mais chez moi, elle tangue sérieusement.
En roulant en ville, nous constatons en vrac et d’un coup, que la nuit est tombée très noire depuis 18h30, que les rues sont désertes, les magasins fermés, la chaussée défoncée, les maisons en mauvais état et qu’il y a des gardes partout : devant les banques, les stations service, etc.
Certains bâtiments sont garnis de mille guirlandes et scintillent sous les lumières. Nous débarquons devant un restaurant super moderne, réfrigéré et la réceptionniste se tord de rire en découvrant sur le polo de Robin, qu’il a tenu à porter, le nom de la réservation qui a été faite au nom du bateau.
Les chants de Noël et les décorations idoines nous paraissent totalement décalés. Nous sommes trop fatigués pour une tournée de cocktails et nous nous laissons tenter seulement par une bouteille de vin rouge. Quant à moi, je reste à l’eau. Nous nous régalons, mais nous sommes pressés de regagner le bateau pour aller dormir une nuit entière non interrompue par les quarts. Il n’est que 22h30, mais nous avons l’impression qu’il est minuit, car nous avons encore ajusté nos montres d’une nouvelle heure pour être en phase avec notre terre d’accueil.
Nous regagnons nos cabines. Bonne nuit. Robin et Bettina nous quittent mercredi matin vers 8h pour prendre un hôtel et poursuivre leurs vacances jusqu’au mardi suivant. Ambre et Coralie que nous devions initialement embarquer à la Martinique viennent finalement à la Barbade samedi après-midi en raison des démarches longues et compliquées dues au Covid. Nous partirons dimanche pour les Grenadines.
Nous avons constaté qu’une coque avant bâbord a subi un impact au-dessus de la ligne de flottaison. Nous devrons la faire réparer lors de notre pause à la Martinique fin décembre. Entretemps Lionel et Vincent vont s’occuper d’une réparation provisoire.
En attendant nous nageons dans la baie avec 4 ou 5 tortues. L’eau est chaude et transparente, de couleur émeraude et le sable est doux et blanc. Le paradis…
P.S. Vous m’avez comblée par vos adorables messages à l’occasion de mon anniversaire. J’ai été très touchée par vos marques de sympathie et d’amitié. Vous êtes des amies et amis formidables ainsi que ma famille, cousins et cousines compris.
Je ne peux pas vous répondre individuellement, car je n’ai pas internet et les données que j’achète disparaissent en trois minutes. Je vous embrasse toutes et tous très fort et vous remercie.