Huahine Raiatea

Aquarelle

On part ce 30 juin au matin de notre belle baie protégée de l’Est de Huahine. On s’en va faire le tour de notre île double, pour rejoindre Fare, le chef-lieu sur la côte ouest. Et on passe par le Nord.

 

En Europe, viser le Nord c’est tourner le dos au soleil. Ici, dans l’hémisphère Sud, c’est juste l’inverse,  regarder vers le Nord c’est regarder vers le soleil. D’ailleurs les panneaux solaires sont tous orientés plein Nord.

Certes les couchers de soleil restent à l’Ouest et l‘on se réjouit de pouvoir visualiser un nouveau coucher de soleil en direction de Raiatea depuis notre nouveau mouillage.

 

Impossible part avec nous et nous précède de quelques dizaines de mètres. Après 2 NM nous affrontons la passe avec nos deux moteurs. Les vagues de face sont fortes. Mais l’on franchit cette passe aisément, pour établir notre trinquette ensuite. La vitesse est bonne sous trinquette seule avec un moteur, puis sans moteur. L’on glisse le long d’une plage de sable sans construction. Il y avait dans le temps un Sheraton jusqu’à la tempête de 1998, mais il n’en reste rien. Ce qui subsistait a été enlevé.

 

Le génois remplace la trinquette et l’on avance plus vite encore distançant quelque peu Sébastien et Valentine restés sous Solent.

 

Mon équipage s’est bien amariné et il n’y a plus trace mal de mer. Nicoline barre et nous pouvons même empanner au Nord de l’île, là où se trouve un petit aéroport. Le vent progressivement diminue, car le relief nous en protège, et la houle ne nous pousse plus. Carlos en profite pour effectuer une sieste sur le siège externe. 

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Carlos asleep

Nous nous extasions devant les frondaisons d’arbres parasols et les cocotiers. L’île est très verte et constamment arrosée de grains qui se succèdent. Le sentiment se fait en nous du caractère presque parfait de ces collines et montagnes et de cette jungle qui gomme les trop fortes aspérités. L’on ne peut qu’aimer Huahine, mais pourrait-on y vivre ? La réponse est unanime : quelques semaines ou mois par an, oui, mais toute une vie, douze mois par an, probablement non.

 

L’arrivée devant Faré se fait par la deuxième passe, plus au Sud que la première. Nous cherchons et trouvons un endroit où d’autres bateaux sont mouillés.  Par chance nous trouvons un « terrain »  de pur sable, sans patates, ces dernières étant dans notre esprit devenues synonymes de chaînes coincées ou d’ancres mal logées. Impossible veut tester un mouillage quelques milles plus au Sud, car il compte rester davantage autour de cette île.

 

Vivement, nous mettons notre dinghy « Crazy Fabi » à l’eau. Et rallions promptement la côte pour gagner le Huahine yacht-club, en vue d’arriver à temps pour commander un lunch. Le lieu a un côté un peu désuet, avec des tables de bois type séquoia, et des chaises d’un autre âge. Il y aurait eu peu d’empressement à nous servir, n’était-ce l’heure limite de 14.00, pour avoir un service de plats chauds.

 

Nous réalisons que nous n’avons pas d’heure, lorsque nous nous déplaçons de crique en crique, de mouillage en ancrage. Ou plus précisément nous en faisons abstraction, sauf pour arriver avant la tombée de la nuit.

 

 

Le club de plongée proche du centre-ville est visité par mon équipage, mais en vain. Toutes les plongées sont réservées sur toute la semaine prochaine.

 

Quant à moi, je m’efforce de surmonter la déception de ne pas avoir trouvé de pain frais dans le méga et unique supermarché « U » de l’île. L’on m’y explique que le pain est en règle générale épuisé vers 8.00, et qu’il faut donc venir tôt.

 

Même si tous les passagers successifs du bateau ont pu expérimenter mon souci d’avoir assez de pain pour les trois prochains jours, ce que Fabienne et d’autres n’ont d’ailleurs pas hésité à qualifier de « TOC », je me console en me disant que l’on a encore une tresse emballée, un peu de pain en tranche, de la farine et de la levure, et en tout état de cause des flocons d’avoines et Birchers divers.

 

Mais je pense qu’il faut ici démythifier la notion de TOC. Je crois d’ailleurs n’avoir que quatre besoins fondamentaux à couvrir impérativement sur un bateau. Sans ordre d’importance, l’eau potable, le papier toilette, le pain et les sacs poubelles. Le reste peut toujours attendre, si l’on a un stock général. Je mets de côté le gaz, le diesel, l’essence pour le dinghy et une source de feu pour allumer le gaz. Mais des stocks conséquents de ces produits peuvent être faits et ce n’est pas un souci récurrent lors de chaque visite de supermarché.

 

Celui qui a déjà concrètement expérimenté le manque de l’un de ces quatre items fondamentaux visés ci-dessus peut attester de la gêne qu’un défaut de stock peut procurer. Voilà pourquoi, je pense que, dans ces domaines, l’on ne peut prendre le risque de l’approximation et de flirter avec la découverte soudaine d’une absence de réserves. La pénurie doit en règle générale être combattue, et en particulier dans les domaines d’approvisionnement.

 

L’on me rétorquera que depuis Papeete, il existe des sources d’approvisionnement partout, dans presque chaque mouillage.

 

C’est vrai, mais c’est parfois faux, si l’on se réfère précisément à l’exemple du pain frais à Huahine. Je ne crois pas être « toqué » de veiller à ce que le stock soit suffisant d’une manière générale et dans ces domaines en particulier. Mais peut être dois-je admettre le fait que je me soucie en permanencedu confort de mon équipage et de ne pas passer pour un imprévoyant ou une tête en l’air.

 

Le soir, Akaora III, un Outremer 55 du GLYWO, battant pavillon australien, arrive près de nous et finit par trouver le parfait ancrage.

 

Il faut - il est vrai-  être prudent dans ces régions, en particulier sous le vent de ces îles, car le vent peut descendre des montagnes très fortement par « baffes » irrégulières en force et direction. Il y donc lieu de s’assurer que l’ancre tienne bien, que la chaîne de l’ancre ne frotte pas contre un corail, car elle pourrait éclater, et surtout que la longueur de chaîne soit suffisante par rapport à la profondeur du mouillage. Simultanément, lorsque plusieurs bateaux mouillent ensemble, il faut éviter que la longueur de chaîne mise soit beaucoup plus importante que celle de ses voisins. Si le vent tourne, l’on peut alors se retrouver trop proche…

 

Après dix mois sur l’eau salée, dans toutes les situations rencontrées, je crois qu’il existe presque une forme d’instinct qui fait choisir le lieu du mouillage, et décider au jugé de la longueur de la chaîne mouillée. Mais la surprise est encore souvent au rendez vous. Lors de la nuit qui généralement suit le mouillage…

 

Le lendemain, le 1er juillet, nous accueillons à bord en début de matinée, pour un café, James et Tracey d’AKAORA III. Un peu de small talk. Je sens à nouveau dans ce bref échange des interrogations autour d’une sempiternelle et simple question. Beaucoup de participants du GLYWO cherchent à en effet à mesurer ce que peut signifier, pour le skipper et son épouse, la vente de Crazy Flavour et le fait d’arrêter le GLYWO.

 

La question n’est pas innocente. Plusieurs se tâtent pour savoir jusqu’où aller trop loin ? Plusieurs se demandent s’il faut s’arrêter, vendre leur bateau ou le rapatrier en cargo. Ou s’ils auront le cran d’aller jusqu’au bout. Quel est l’endroit le plus approprié ? Beaucoup semblent redouter la traversée de l’océan Indien et le tour de l’Afrique du Sud. Certains parlent d’aller jusqu’en Nouvelle Zélande et de décider ensuite.

 

Chez nos amis d’Akaora III, les choses pourraient aussi se préciser prochainement. Ils sont néo-zélandais, mais habitent en Australie, tout en ayant gardé un domaine de famille dans l’île du Sud, proche du village de….Akaora. Donc, pour eux, continuer au-delà de l’Océanie signifierait s’éloigner du terrain de jeu usuel et de la maison…

 

À ces questions, je rétorque que notre décision de vendre le bateau a été une presque évidence, dès lors que l’on savait dès le départ que l’on ne ferait pas ce tour du monde intégralement. Certes, mentalement j’avais réservé l’hypothèse de rapatrier Crazy Flavour. Mais, l’idée de vendre d’occasion paraissait la plus crédible et la moins onéreuse. Et finalement l’on se fait à cette idée.

 

Abandonner le GLYWO, et surtout les compagnons de voyage ? Je réalise de plus en plus que j’avais sans doute un peu minimisé cet aspect. Plus j’avance et plus je me sens proche de beaucoup de ses participants. Fabienne me l’a aussi avoué après son retour en Suisse. Il y a des amitiés qui vont durer. Mais cette intensité de contact et cette authenticité dans l’expression et l’échange sont rares. Tous nos passagers nous avouent être impressionnés par la qualité des rencontres au sein du GLYWO.
 

Ce sera dur. Parlons d’autre chose…

Mentionnons quand même la magnifique aquarelle reçue en Valais de notre Crazy Flavour qui est publiée avec cet article. C’est la sœur de Marie Laure de Chap’s qui l’a réalisée. Un moment d’émotion pour Fabienne en Suisse et pour moi à Huahine. Quelle gentillesse et quelle prévenance. Nous avons été touchés. 
 

Les relations humaines c’est le cœur de l’expérience GLYWO. 

 

C’est d’ailleurs le souci de revoir l’équipage du Loly qui me pousse à changer, un peu, nos plans et de décider de passer la soirée à Raiatea. Étienne et Geneviève attendent désespérément depuis plusieurs semaines de pouvoir obtenir une nouvelle dérive au chantier du Carénage à Raiatea. Ils l’on perdue à la suite d’un choc violent en haute mer. Baleine ou container ? Personne ne saura.

 

Nous sommes convenus de nous retrouver et de dîner ensemble à la Marina, juste au Nord du chantier.

 

Notre traversée de Huahine à Raiatea se passe sans encombres. Nous filons par 18 à 26 Kn de vent de ESE, avec toute la toile, puis avec un ris dans la Grande voile, au grand largue. Les manœuvres sont parfaitement exécutées par un équipage qui a désormais trouvé ses marques, même par houle assez forte. L’arrivée dans la passe NE proche du chef-lieu se déroule sans incidents. Nous longeons la piste de l’aéroport au Nord de l’île, lorsque je découvre par échange WhatsApp qu’Olivier, Aurélie et Clara sont tout proche. J’ai vite fait de localiser leur Lagoon « Monoi II » sur l’AIS et l’impensable se produit : nous nous croisons à quelques mètres, à une heure de leur embarquement pour leur vol vers BORA BORA.

 

Incroyable cette coïncidence, que nul n’avait prévu. Je suis toujours assez déstabilisé par ce genre de hasard, surtout lorsqu’on examine à posteriori les probabilités d’une telle rencontre. On sait que l’on va les retrouver à Bora Bora.

 

Nous allons mouiller devant le chantier. Et devons changer de lieu, pour enfin trouver le lieu jugé idéal, soit sur du sable sans corail, avec 5 mètres de fond au mouillage et 2,8 où nous sommes après avoir laissé filer 27 mètres de chaîne. Je teste le mouillage et Antoine plonge vérifier l’ancre. Elle est solidement enfoncée dans le sable. Nous sommes à 1 km de la côte, et 200 mètres derrière nous les fonds remontent jusqu’à la barrière de corail. Nous sommes protégés de la vague, mais sur un km un clapotis important peut vite se créer.

 

Nous nous rendons au chantier. J’y rencontre son propriétaire et évoque avec lui mon arrivée à fin juillet car c’est là que le bateau sera sorti pour expertise.

 

Nous retrouvons Étienne et Geneviève qui sont heureux de rencontrer du monde. Très vite les introductions sont faites. On prend un apéro sur Loly, un Allures 45.9 en altitude, car il est sorti de l’eau... C’est un peu insolite. Mais l’on s’y fait.

 

Geneviève a hésité à retourner en Europe retrouver ses enfants et petits enfants, mais a finalement considéré que sa présence aux côtés d’Etienne était, sans aucun doute, plus importante.

J’aime chez Geneviève, ce côté totalement naturel, au sens étymologique du terme, cette empathie permanente et cette forme d’obsession du rapport harmonieux avec autrui.

J’apprécie chez Etienne cette retenue doublée d’une forme de recherche permanente de ce qui prête à sourire, et la gentillesse de ses propos, sans oublier ses légendaires chemises à fleur. 

Nous nous rendons ensuite à la Marina, eux en vélos et nous avec notre dinghy. Nous tombons sur Arii, le skipper de Monoi II, toujours aussi sympathique qui nous présente son amie elle même skipper, comme lui, chez Tahiti Charter. Arii est l’incarnation concrète de la facilité de contact en Polynésie. Je pense que je le reverrai…

La soirée est délicieuse. Nous commençons par savourer les teintes progressives du coucher de soleil et un blanc bien frais.

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Raiatea sunset
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Raiatwa sunsEt2

Puis nous dévorons des plats fort bons, dans une ambiance amicale et détendue. Les Infante-Kooger découvrent qu’ils sont voisins à Chamonix de Etienne et Geneviève. Ce qui augure de futures rencontres sur piste ou après-skis.

 

Bon, voilà, l’heure du retour sur notre catamaran a sonné. C’est évidemment le début d’une légère pluie annonciatrice d’un grain plus consistant. Nous repérons rapidement notre bateau, ancré au loin. Nous grimpons à bord et remontons de suite l’annexe sur les bossoirs, ce que nous faisons chaque soir.

 

La nuit, le vent se déchaîne. Je commence à me demander à quel moment l’ancre ne va plus tenir. Je rencontre Carlos dans le carré qui se plaint d’un couinement de l’écoute de grande voile, que nous muselons d’un grand coup de manivelle de winch.

 

J’en suis à me demander si je n’aurais pas dû mettre davantage de chaîne. Mais nous ne bougeons aucunement malgré les assauts du vent par rafale et des vaguelettes rapprochées qui se forment depuis la côte. Je gamberge un peu, car si le mouillage devait lâcher, nous finirions sur le récif de corail derrière nous, sans avoir eu le temps de vraiment réagir. Faut-il mettre un peu de moteur pour soulager les forces importantes qui s’exercent sur la chaîne ? Je décide de ne rien faire, surtout que le vent va finalement en décroissant, malgré quelques nouvelles finales bourrasques. Il est minuit trente. Je décide d’appeler Fabienne et de prendre de ses nouvelles. C’est elle qui me raisonne et me rassure quand je lui décris notre situation. Elle n’a décidément plus peur de rien. C’est le monde à l’envers qui rassure le monde à l’endroit….ou vice-versa.

 

Je m’endors d’un sommeil fréquemment interrompu par quelques rafales. Ceux qui croient que notre aventure est de tout repos se trompent. Et de beaucoup.

 

Il est 5.30. Nous nous préparons à décoller de ce mouillage finalement un peu trop exposé à mon goût pour rejoindre au moteur l’île de TAHAA, et plus spécifiquement la baie Hurepiti, pour permettre à l’équipage, sauf votre serviteur, d’effectuer dans la matinée deux plongées avec bouteilles.

 

Le paradis polynésien est proche de l’enfer, ce que tout le monde sait, du moins ceux qui ont passé la dernière nuit à bord, ce 2 juillet au matin….

 

Mais Dieu que la Polynésie est belle…..