Huahine again
Écrit par Vincent le 20/07/2022
Nous sommes le 17 juillet 2022 au matin. Comme chaque matin je consulte mes messages sur mon portable. Et comme presque chaque matin, je commence la journée par un appel à Fabienne qui finit la sienne. Amusant d’être décalés de 12 heures exactement. Cela permet deux échanges. Le premier le matin et le deuxième le soir.
Je découvre ensuite un message de Patrick Schriber. Avec les Haller, un couple d’amis, Patrick et Nadège son épouse, ont racheté Speekend, un Outremer 51 qui était parti avec nous faire le tour de monde sous l’égide du GLYWO. Mais le couple de propriétaires a été rattrapé par une maladie foudroyante ayant atteint durablement l’épouse dans sa santé. Ils n’avaient eu d’autre choix que de quitter le bateau en urgence et l’avaient laissé à Bonaire.
Patrick et Nadège cherchaient depuis plusieurs mois un bateau pour profiter de naviguer les étés. Leur choix n’était pas fait. Je m’étais permis depuis notre début de tour de leur poser les bases de leur réflexion. Ils avaient visité le chantier Outremer à la Grande Motte et ils avaient essayé, sans vent, un Outremer 51. Mais les délais d’attente pour acheter un neuf leur paraissaient insurmontables. Ils avaient été présentés à Pierre Delhomeau qui est le courtier du groupe GLY, spécialement dédié aux catamarans. Ils avaient compris que si une occasion devait se présenter, ils auraient peu de temps pour se décider.
Ni une ni deux. Les Haller et les Schriber ont rapidement acheté ce catamaran encore quasi neuf... Et ensuite Patrick s’est dédié à son rapatriement. D’abord de Bonaire à Saint-Martin. Ensuite les Açores, puis le passage tout droit à Gibraltar et une pause à Motril, à la verticale de Grenade.
Patrick ce matin là, m’écrit pour me dire en quelques mots les 11 jours pour rallier les Açores et les 6 pour gagner Motril depuis les Açores. Ensuite ce fut Perpignan, puis la Corse ralliée en s’arrêtant à Porquerolles. Je sens le bonheur de mes amis en lisant ces quelques lignes et en parcourant les photos qui vont avec le message. Je le lui écris. C’est génial de voir à quel point ce projet a pris corps rapidement depuis l’automne dernier... Il m’écrit en plus avoir atteint 19.5 Kn en record de vitesse, ce qui est effectivement très rapide pour un bateau de croisière.
Bref, je m’installe avec mon jeune équipage à table pour le petit déjeuner et mon I-phone bourdonne. C’est Patrick qui me fait un appel vidéo. Je le vois avec un teint hâlé, le sourire au lèvres, éclatant de joie…
Moi je suis à Raiatea, dans cette baie certes magnifique, mais entre deux averses et avec un temps presque froid. Lui est en Corse, en escale par un soleil radieux.
Je comprends que Patrick tenait à me dire son plaisir d’avoir accompli tout ce qu’il avait effectué énergiquement et sans lambiner ces derniers mois. Je lui renouvelle mes félicitations. Il me passe Nadège qui est littéralement intarissable. Elle admire Fabienne et sa résilience, elle qui se souvient qu’au début mon épouse était un peu impressionnée par le parcours GLYWO à effectuer. Et elle se demande jusqu’où, elle qui a déjà traversé l’Atlantique en équipage féminin, osera aller. (incidemment je sais que la skipper de sa traversée nous lit…).
Je la rassure. Chaque chose en son temps. Apprivoiser son bateau, son environnement, sa cabine prend du temps. Surmonter chaque éventuelle future épreuve nécessitera un peu de résilience. L’important c’est d’avoir du plaisir sur ce bateau. Et d’éviter de se retrouver sur-toilé, en restant prudent.
Nadège suit notre parcours par la lecture de notre blog, et me dit l’apprécier. Mais pour l’instant la Méditerranée suffit à son bonheur. Je sais intérieurement qu’elle sait que d’autres horizons les attendent, lorsqu’ils seront prêts. Lorsque les 4 co-propriétaires auront fait joujou avec une mappemonde et qu’ils auront vérifié leurs disponibilités sur leurs agendas…
Je ressors de ces entretiens et échanges, survitaminé. Quel monde de connexion. C’est génial. Et quel plaisir de voir une aventure débuter lorsque la nôtre prend fin.
On se plaindra de notre météo et de la pluie un autre jour.
On lève promptement l’ancre, sous la caméra de Regina (Blueway) qui m’envoie des images vidéos de suite. Ce monde est décidément incroyable. Puis l’on passe devant chez Johnny à qui j’envoie un message et qui me répondra plus tard qu’il était en déplacement ce matin-là.
Nous nous approchons de la passe de Hirihu qui est en face de notre baie Faaroap. Elle est assez étroite. Avant d’y parvenir, j’avais déjà fait hisser la grande voile. En totalité car où nous étions il y avait peu de vent. L’approche de la passe se fait sous grande voile et un moteur, puis deux, pour être en mesure de contrer le courant rentrant. Il y en a, mais modérément. La sortie de cette passe est aisée. Très vite l’on se rend compte que le vent est plus fort qu’attendu. Je sens l’équipage motivé pour manœuvrer. Donc on prend un premier ris dans la grande voile.
Et on déroule prudemment la trinquette. Ce qui est parfait avec 20 Kn de vent apparent, au près, mais pas serré. Le bateau se comporte bien dans la vague, avec une vieille houle de Sud Est de 1.5 à 2m, croisée avec une houle plus Est en formation. Je prends quelques vidéos depuis l’intérieur. Ça secoue un peu, mais on va vite, entre 8 et 9 Kn. Vitesse que nous conservons en roulant la trinquette pour dérouler le génois, lors d’une accalmie.
Les jeunes se succèdent avec enthousiasme à la barre. Et les grains successifs nous atteignent soudainement avec des vents plus forts.
On roule le génois on déroule la trinquette, et on finit par prendre un deuxième ris de précaution lorsque l’on voit une barre grise très foncée nous arriver dessus.
C’est bon, ce n’est pas trop fort avec 23/25 Kn de vent apparent, et plus le cas échéant. On ne risque rien, et chose étonnante on ne perd pas notre vitesse. Il faut décidément anticiper en matière de navigation. Comme en tant qu’avocat au barreau d’ailleurs.
La côte de Huahine se rapproche rapidement. Et l’on finit sous-toilé lorsque le vent se calme à l’approche de l’île. L’équipage a aimé cette brève traversée de 20 NM, même si Louis nous avoue s’être fait surprendre par la houle croisée en train de pétrir un pain dans la cabine centrale, et d’avoir sous estimé l’effet mal de mer.
Devant Faré nous mouillons dans peu d’eau. Mais je me sens trop proche de certaines patates de corail qui passent sous la coque. On se déplace et on mouille plus loin. Je deviens presque exigeant, voire pinailleur…. Vincent, sors de ce corps.
Un dinghy s’approche. À son bord la famille Pralong, déjà rencontrée à Linton Bay, puis à Shelter Bay.
Esther et Christian (qui ne veut pas sa photo sur internet !) accueillent une de leurs deux filles, Karin, pour de longues vacances. C’est très sympa de les retrouver et de faire la connaissance de Karin.
Cette baie de Faré, à Huahine, a une forme de douceur de vivre que l’on apprécie. L’on aura de multiples occasions de revoir la famille Pralong pour des cocktails et des échanges.
Mais voilà qu’un autre dinghy s’approche. Celui d’une skipper d’un immense Lagoon 620. Elle nous explique avoir son guindeau en panne. C’est un moteur électrique qui permet de lever son ancre et sa chaîne lorsque l’on quitte un mouillage. On se propose, à sa demande, de l’aider à la dépanner. Nous voilà les cinq (avec Christian) sur le pont de ce bateau amiral d’une taille et d’un poids infinis, à essayer de faire fonctionner ce guindeau. Peine perdue.
Alors selon la bonne vieille méthode, l’on hisse la chaîne par fraction en ayant recours à une haussière que l’on attache à la chaîne de l’ancre et que l’on hisse avec un whinch électrique. C’est un exercice qu’il faut renouveler, tous les cinq mètres, mais auquel les jeunes et moins jeunes se livrent avec ardeur et compétence.
L’ancre de 35 kilos est finalement hissée à bord et la skipper, répondant au nom connu de Hinano, marque célébrissime de bières en Polynésie, nous remet un pack et des canettes de Hinano pour nous remercier. On lui demande en sus d’intercéder en notre faveur auprès de la Marina à Raiatea, pour que l’on puisse obtenir une place à compter du 21 juillet. On verra.
Le lendemain matin, après un repas du soir au Yacht-club, l’on assiste au lever d’Antoine avec sa tête des mauvais jours. Il a devoir nous quitter. Son sac est fait. Mais ce fut dur. Ça le travaille de partir. Scrogneugneu, avait dit Spyro en pareille circonstance.
Le matin, tant Mathieu qu’Antoine se succèdent en haut du mât. Les photos qu’ils ont prises sont époustouflantes.
Deux potes d’Antoine, médecins en formation à l’hôpital de Papeete, ont prévu de passer avec lui deux jours à Huahine avant qu’il ne les suive à Papeete puis retourne en Suisse.
Antoine essaie de retenir le temps sur le Crazy Flavour. Mais c’est peine perdue. On le sait tous, moi le premier… Même si j’essaie chaque jour.
Les trois compères qui composent l’équipage du Crazy Flavour se sont fort bien entendus. Ils se reverront c’est certain.
On accueille donc sur le bateau pour une après midi tranquille Vincent et Axelle. Chacun nage, sommeille ou lit. Puis l’on voit arriver Saga, Vitia et Tartine qui mouillent tous autour de nous. Cela devient Outremer Avenue sur ce coin d’atoll. Je détaille les lignes splendides de ces différents modèles ( 51, 55 et 5X) à mon équipage et à nos hôtes. Maxime pique une tête et viens échanger un moment avec moi sur le trampoline. J’aime bien chez cet homme le côté franc et direct. Et son expérience en toutes choses est riche d’enseignements pour qui l’écoute attentivement. Son fils Vitali vient aussi plonger depuis chez nous. Quel grand garçon il devient. C’est une réussite.
La soirée est minutée. Apéritif chez les Pralong, suivi d’une spaghetti pesto party sur Crazy flavour. Antoine, Axelle et Vincent quittent le bord vers 20.30 pour gagner leur pension de l’autre côté de l’île.
Et nous finissons par un dernier verre au Yacht club avec Saga et Vitia qui souhaitent nous dire au-revoir. Le moment est agréable. J’écoute Loic qui est un puits de science sur tout ce qui touche à la voile. On disserte sur l’évolution du groupe Outremer, ses réussites mais aussi ses challenges. Je sens chez Bénédicte, son épouse, un peu d’émotion de voir Crazy Flavour l’ancien catamaran (alors Crazy Louise) de son cousin Laurent, partir prochainement chez un nouveau propriétaire en Nouvelle Zélande.
Dorothée, l’épouse de Maxime ne s’exprime guère. Je la sens forte. Incroyable ce que son mari et leur fils ont réussi à accomplir avec leur 5X Vitia, eux qui ne savaient pratiquement pas naviguer neuf mois avant le départ du GLYWO. Leur parcours en impressionne plus d’un. Tout ceci paraît passionner Louis et Mathieu, ce dernier moins disert que de coutume.
Nous rentrons. Je croyais aller dormir. Non, les jeunes décrètent qu’il est l’heure d’un dernier cigare. Je me contenterai de humer l’odeur. Celle-ci me replonge dans de vieux souvenirs. J’avais 27 ans, je revenais de boucler un tour d’une année à la voile avant de commencer mon stage d’avocat. Je me présente à l’un de mes maîtres de stage, Edmond Tavernier. Celui-ci m’accueille dans un bureau imprégné de l’odeur forte du cigare. Qu’il consommait avec délectation, l’un après l’autre, jour après jour. Edmond, dont j’ai toujours admiré l’énergie et l’esprit d’entreprise, n’a jamais cessé de fumer ses cigares, malgré l’air du temps qui visait à bannir toute forme de fumée au travail. J’appréciais l’intelligence incroyablement vive d’Edmond. Et son côté totalement cash lorsqu’il fallait traiter des questions délicates. Cette odeur de cigare me rappelle donc de bons souvenirs.
Je m’égare.
C’est le moment usuel de prendre congé de celui qui nous quitte : Antoine, qui a côtoyé en Polynésie de Papeete à Huahine, Fabienne, Nicoline, Carlos et maintenant Louis et Mathieu.
Antoine est un jeune homme de 25 ans auquel l’avenir appartient. Il a tout en mains. Il ne le sait pas encore, mais il le pressent. C’est pourtant clair : il peut et va tout réussir. Il faut cependant tout à la fois gagner encore un peu en assurance et finir ce qu’il entreprend, plutôt que de déjà regarder deux étapes plus loin. Step by step, Antoine. J’aime Antoine comme on aime un filleul. Je le sais sensible. Attentif au bien-être d’autrui. Sociable, généreux et à l’aise en société. Tourné vers l’idée de participer au soulagement de la souffrance d’autrui, Antoine saura négocier les virages qui, naturellement l’attendent, j’allais dire au contour…
Et parce qu’il a perdu son père jeune, il sait pouvoir compter sur plein d’amis de l’âge de ce dernier, dont Fabienne et moi, pour toujours l’accueillir et le conseiller.
Voilà Antoine. Prochain objectif : ce permis mer que tu poursuis de longue date. Ensuite ce bachelor en pharmacie en été 2023. En espérant que, lors des inévitables coups de mou de l’hiver prochain, tu sauras te ressourcer en contemplant les photos de ce périple d’un mois en Polynésie. Tu as eu du plaisir, mais aussi de la chance de découvrir ces îles aux noms enchanteurs.
Sache que moi aussi j’ai éprouvé ce plaisir, même si l’on a dû regarder les deux partir Fabienne pour regagner en urgence la Suisse. Mais on a pu maîtriser notre émotion respective. Il paraît que cela rend plus fort….
A très bientôt Antoine.