Guérison
Écrit par Vincent le 03/06/2022

Je suis dans ma chambre des urgences à l’hôpital public de Taaone. Je regarde par la fenêtre. Je suis au niveau du Rez de chaussée. Et je vois que des gens passent occasionnellement devant ma fenêtre, à pied ou en vélo. Il fait plutôt gris.
Je n’ai guère le temps de réfléchir. Voilà que se succèdent les soignants. Infirmière, médecin, aide infirmière. Tous très ouverts et souriant en permanence.
Je décide d’emblée de procéder à la Polynésienne. Je me présente comme étant Vincent. Je tutoie immédiatement mon interlocuteur en l’appelant par son prénom. Je pose d’emblée la question, s’il est polynésien, de son origine, de quelle île il vient. Et si son prénom est local, de sa signification.
Je remarque d’emblée chez mes interlocuteurs le soulagement que j’entre de la sorte en communication avec chacun d’entre eux. Pas de chichis, juste de vrais échanges et pas d’apitoiement sur mon sort. Je suis déjà en guérison.
Je remarque que, chez les polynésiens, l’empathie est naturelle, spontanée. Ils n’ont besoin de recevoir aucune formation ou conseil. Ils sont naturellement tournés vers autrui et le bien-être de celui-ci. Et même si le corps médical est essentiellement français de souche, il agit de même. L’ambiance est gaie. Personne n’agit sous stress ou dans la précipitation. Jamais je n’ai senti une quelconque nervosité.
Je reçois à 8.00 la visite d’un docteur distingué, se présentant comme le responsable de la médecine hyperbare. Il bénéficie d’une expérience certaine pratiquant en Polynésie de longue date.
C’est un entretien fantastique que nous avons pendant près de 45 minutes, en toute décontraction. Je le sens désireux de me transmettre sa connaissance et son expérience pour parvenir à une anamnèse complète. Je l’entends réfléchir à voix haute, exclure des pistes ouvrir d’autres hypothèses, puis me questionner à nouveau sur mes symptômes post retour à la surface. Je le stimule par d’autres questions, le déroute par certaines réactions, mais il semble aussi apprécier cet échange. C’est intellectuellement fascinant.
Conclusion de tous nos développements. Pas de caisson. J’apprends, en passant qu’il faut pouvoir bénéficier d’un caisson dans les 6 heures après un accident. Or l’on est plus de 17 heures après mon accident. L’on ne peut quantifier les éventuels bénéfices, mais l’on sait qu’il y a des risques lié à mon état pulmonaire. Peu de bénéfices, par ailleurs pas certains, trop de risques, on laisse le caisson de côté.
Je tente à plusieurs reprises d’obtenir le droit de boire ou de manger. Tout m’est refusé dans l’attente d’un scanner. Qui sera refait, car le premier n’a pas donné d’images suffisantes.
En fin de journée, visite du Dr B, chirurgien thoracique. Il a l’air fatigué de sa journée, mais je sens un homme d’expérience qui, en trois minutes donne les instructions au médecin du service et à l’infirmière. Je suis enfin autorisé à manger et à boire. Je n’avais pas mangé depuis plus de 30 heures. C’est bon, même si c’est insipide, tellement c’est peu salé.
Je reçois la visite d’un administratif, qui me dit qu’il faut obtenir de mon assurance une garantie financière. Je le mets en contact avec notre fils Lionel et lui donne une copie de ma carte d’assurance maladie accident. J’avais pris la précaution avant de quitter la Suisse de prévoir une extension de cette couverture, ouf.
Le lendemain, l’on me transfère en fin de journée dans le service de réanimation, récemment refait à neuf. Tout est moderne, murs, chambres et équipements. L’on me gratifie d’une toilette allongé sur un lit ultra moderne qui se gonfle et dégonfle tout seul ; l’on me rase et l’on me donne avant la nuit une couverture, car la climatisation ne peut plus être réglée depuis l’ère Covid.
Je sens de la disponibilité, de l’action adéquate en permanence, de la part d’équipes jeunes, soudées, compétentes et très motivées. Je leur dis mon admiration et ma reconnaissance. A plusieurs reprises, j’ai des échanges profonds et incroyablement vrais avec ces jeunes gens, tous attachants.
J’ai un contact très intense et d’une durée d’une heure, un matin tôt, avec la doctoresse cheffe du service de réanimation, algérienne d’origine, avec laquelle j’évoque la nécessité pour le corps médical de trouver un langage commun avec la techno structure.
Je la sens en responsabilité, mais découragée par le poids de la structure administrative. J’évoque des pistes pour améliorer le fonctionnement de l’hôpital et surtout la communication du corps médical avec la direction de cet hôpital, dont je ne cesse de louer la qualité des soins.
Nous échangeons sur nos expériences de management.
Je la guide vers le code des couleurs de la méthode Insights, celle qui permet notamment de mieux comprendre son interlocuteur, ses attentes et ses craintes.
Ce service de réanimation lui doit énormément.
Je revois le Docteur B. L’on échange longuement sur tous les sujets possibles et imaginables. Il m’évoque son expérience de chirurgien généraliste. Sa retraite qu’il n’a pas supportée et son envie de continuer à se dévouer pour autrui, qui l’a mené d’abord en Corse et maintenant dans cet hôpital. Il envisage de continuer trois mois par an à Nuku Hiva aux Marquises, sans plus opérer toutefois.
Bref, j’échange, j’écoute et je pense à autre chose. Donc je guéris…
Fabienne ? Je suis en constant échange avec elle. Je lui parle et lui envoie des WhatsApp. Je sens qu’elle a reçu un soutien fantastique sur place et que son transport sur Papeete se met miraculeusement en place assez rapidement. Je comprends que dormir seule dans un petit bungalow sans clé a pu la perturber, mais qu’elle reprend le dessus.
Je peux suivre à distance l’épisode de Vitamine et de son ancre enchâssée dans une patate de corail, de même que l’intervention décisive de Fabienne pour faire sortir ce bateau et son équipage de cette mauvaise passe, si j’ose dire. Grâce à Tyrone, le bateau a été libéré en quelques minutes peu après le départ de Fabienne en avion, en début d’après-midi.
Je découvre sur le groupe WhatsApp du GLYWO des images (prises par Sylvie de Salavida) de Fabienne s’apprêtant à quitter l’île, entourée de plusieurs habitants et montant dans son avion, avec un chapeau végétal. Cette société hyper-connectée a vraiment du bon. Et dire que la 4G a été installée sur Apataki deux jours avant. Il y a une suite de petits miracles dans cette aventure.
Très vite Fabienne me rejoint dans l’hôpital, après avoir atterri. C’est génial de la revoir. C’est délicieux de penser que l’on a surmonté tous ces obstacles. Je la sens secouée, mais heureuse.
Côté navigation, je peux échanger à plusieurs reprises avec Sébastien par e-mail iridium. Il relaie l’information par VHF à Pierre et son équipe du Crazy Flavour. Je n’ai aucun souci. Je sais que Pierre est le mieux à même de skipper le catamaran en mon absence. Il connaît tout du bateau sur lequel il a navigué depuis Panama, soit durant presque trois mois. Je me demande toutefois comment ils géreront les passages d’éventuels grains, surtout de nuit, et le stress qui en découle. Sébastien me rassure.
Grâce à Predictwind je peux suivre régulièrement leur évolution et leur vitesse. Ils avancent bien, collés l’un à l’autre. Et j’apprendrai très vite qu’ils ont mouillé à l’abri du cap Venus, dans du sable et parfaitement à l’abri, largement avant la tombée de la nuit. Bravo. Je les félicite tous pour leur courage et leur performance, eux qui maintenant reçoivent les messages WhatsApp. Je suis soulagé, mais je n’étais pas vraiment inquiet.
Je suis ensuite transféré en pneumologie après que l’on m’a retiré le drain. Ce fut relativement douloureux, mais j’ai eu une nouvelle fois eu droit à une petite injection de morphine.
Et là, je me trouve seul dans une petite chambre. Le service de pneumologie est certes dans une aile de l’hôpital plus vétuste, mais là également le personnel, moins nombreux, est compétent et très attentif à l’état des patients.
Je reçois les visites de Fabienne, chaque jour.
Une belle visite est aussi celle des Bordier et Bretton avec lesquels on débriefe longuement. Je sens que l’épreuve a été forte mais que ce quatuor est désormais convaincu de sa force et de sa cohésion. Chantal regarde Pierre d’un œil très admiratif. Ce voyage et ces épreuves les ont transformés. Claude et Thierry avouent avoir ressenti pas mal d’émotions. Ils vont de l’avant et se réjouissent de visiter Tahiti avant leur prochain départ.
Je retrouve Sébastien et Valentine, que je sens tous deux très émus de me revoir. Ils ont été secoués. Et sans eux, je ne serais clairement plus de ce monde. Ils ont inlassablement assisté Pierre et son équipe durant le trajet Atapaki-Papeete.
Devant eux et avec eux, Fabienne et moi mettons à plat un certain nombre de questions pendantes. Il est finalement convenu que l’on ne s’arrêtera pas à ce stade. L’on continuera mais mollo, jusqu’à fin juillet, date à laquelle notre bateau doit être expertisé puis transféré à notre acheteur. J’y reviendrai ultérieurement. Fabienne ne veut plus vivre de chocs traumatiques. Elle exige des garanties. Je les lui donne.
Geneviève et Etienne (Loly) viendront gentiment deux fois. Je sais que Fabienne et Geneviève s’apprécient et que cette dernière ne ménage pas ses efforts pour remonter psychologiquement mon épouse. Je leur dois du chocolat et des magazines français qui me permettent de m’évader de mon environnement hospitalier. Fabienne recevra deux massages énergétiques bienfaisants de Geneviève et des fleurs de Bach.
Je reçois aussi la visite amicale et sympathique de Arnault et Marie-Laure ( Chap’s) qui s’apprêtent à revenir quelques semaines en Europe. Le premier jour Victor et Luc, du GLYWO, sont venus me rendre visite. Je les sens assez atterrés par ce qui m’est arrivé.
Au niveau communication, je restreins dans un premier temps l’information. Je ne souhaite pas expliquer la même chose à chacun. Cela irait à sens contraire de ma guérison psychologique.
Je conviens avec Fabienne que le blog permettra de communiquer. Et donc peu de gens sont au courant, hors notre famille et le GLYWO.
Je reçois des autres bateaux du GLYWO des communications courtes mais très stimulantes. Je comprends de certaines que l’on n’a pas mesuré à quel point la plongée en bouteilles peut être dangereuse, même lorsqu’il s’agit simplement de décoincer une ancre.
Je fais la connaissance de la doctoresse Charlotte Courtois qui me suit en pneumologie.
Excellent relationnel. Elle me prend très bien en mains. Elle comprend que je veux sortir vite. Elle m’impose toutefois des étapes et surtout de réussir certains tests. J’apprécie cette femme mariée avec le chef des urgences, indépendante, vive et sportive. On échange vite sur plein de sujets. Encore une personne remarquable au bon endroit.
Vient le moment de sortir. Je ne tiens plus en place. Je m’habille.
La veille, j’ai parcouru plus d’un kilomètre par tranche de 60 mètres dans le couloir de la pneumologie, sans oxygène. Une personne m’a demandé si je cherchais la sortie, tellement j’ai hanté ce couloir. J’avais fait un deal avec ma soignante, que je charriais sur ma capacité pulmonaire retrouvée... Tous les huit couloirs je m’arrêtais comme à un stand de formule 1, elle me prenait la teneur en oxygène et je repartais.
L’on a dû comprendre qu’il fallait libérer le fauve qui arpentait désormais sa cage dans tous les sens.
L’on m’a finalement signifié que l’on me supprimait l’oxygène et surtout que je pourrais sortir. Joie et émotion. Tristesse aussi de laisser toutes ces équipes et personnes dévouées derrière moi.
Fabienne arrive avec Sébastien et Valentine. L’on charge mes rares affaires et l’on nous dépose au Hilton.
Fabienne et moi, après discussion animée avec Sébastien, lequel m’avait détaillé l’état de la houle et les conditions possiblement précaires à la marina de Taina, allons nous reposer pendant six jours, sans repasser par le bateau.
J’ai accepté quand j’ai compris que tout le monde insistait. Surtout Fabienne qui peinait à remonter la pente psychologique du post traumatisme.
L’on y apprécie une forme de luxe, dont j’avais oublié jusqu’à l’existence depuis plus de neuf mois. Des massages nous sont prodigués, ce qui fait un bien inouï. Et surtout, l’on peut calmement reconstruire notre histoire en couple et communiquer avec l’extérieur, notamment par le blog, grâce à un wifi très performant.
Voilà, je conclus cet article en vous remerciant tous pour vos chaleureux messages. Ils nous ont beaucoup touchés. On a répondu, j’espère, à chacun. Et l’aventure continuera encore quelques semaines.

On se repose au Hilton de Papeete et on y est -fort- bien.
Continuez de nous écrire. On apprécie vraiment tous vos messages.