Grenadines et Bequia, par Fabienne
Écrit par Vincent le 28/12/2021

A peine avions-nous quitté Port Saint-Charles en début d’après-midi que je me suis surprise à scruter la mer des Caraïbes pour repérer des pirates. En vain, Johnny Depp lui aussi avait consulté le programme météo « Predict Wind » et y avait constaté que du «rouge feu», c’est-à-dire une météo à ne pas mettre un vaisseau de pirates dehors.
Nous l’avions vue aussi, mais le capitaine avait dit que c’était « une opportunité, une fenêtre météorologique » et que les quatre jours suivants vireraient au «violet cramoisi», donc bien pires et que nous devions traverser ici et maintenant pour nous rendre dans les Grenadines.
Bien que personnellement j’adore le mauve, l’équipage a opté démocratiquement et en toute connaissance des conditions météorologiques qui nous attendaient pour une navigation dans le rouge au large de Saint-Vincent des Grenadines pour rejoindre Bequia.
Tant Eole que Poséidon étaient en grande forme ce jour-là sur la mer des Caraïbes et ont voulu démontrer à Ambre et à Coralie nos nouvelles équipières la force de leurs talents conjugués. Cela ne les a pas découragées et elles ont été immédiatement opérationnelles et efficaces comprenant très vite les manœuvres. Elles ont même toutes deux également barré apprenant à vitesse grand V les subtilités de la navigation grâce à la formation dispensée par le vice-amiral Lionel sous la supervision du commandant de bord.
A tour de rôle, chacune a dû occuper un siège à l’extérieur pour reprendre son souffle et ses esprits, mais chacune a été bien vite transformée en croûte de sel, tant les vagues passaient par-dessus le bateau.
Au crépuscule, le preux chevalier Lionel ainsi que votre servante se sont portés volontaires pour la confection du repas, modeste et basique, consistant pour la première fois de notre odyssée en deux boîtes de raviolis, agrémentées d’un peu de parmesan. Ce fut une sacrée prouesse, je vous l’assure, de cuisiner ce soir-là en sens contraire de la marche du bateau et à l’intérieur et d’aller apporter les assiettes à notre équipage. Un véritable numéro de voltige et d’équilibre digne du cirque Knie.
Suite à cette modeste pitance, le capitaine distribua les quarts pour la nuit entre ses vieux loups de mer et les nouvelles recrues. Alors que j’entamais mon quart, je l’entendis tempêter dans sa barbe que nous étions beaucoup trop rapides et que nous allions arriver à Bequia en pleine nuit, ce qu’il fallait absolument éviter. Je crus rêver : lui qui d’habitude voyant poindre la moindre voile à l’horizon se croit en régate sur le lac Léman et nous fait multiplier les réglages fins et subtils « pour mettre un lac » au concurrent potentiel.
Nous allions trop vite. Que faire ? Tourner mon long nez de profil pour tenter de freiner le bateau ? Largement insuffisant. Je m’attendais à ce que le capitaine nous intime de nous immerger dans la mer des Caraïbes déchainée aux fins de nous traîner derrière le Crazy Flavour à une corde pour tenter de le ralentir et je m’imaginais les ailerons des requins poindre à l’horizon et le tribut humain que nous allions payer, lorsque le vice-amiral Lionel formula une proposition de génie : faire le tour de Saint-Vincent par le Nord pour n’arriver qu’aux premières lueurs de l’aube à Bequia. Sauvés ! Proposition adoptée.
Je me mis à la barre le cœur plus léger en écoutant Bob Marley and the Wailers, histoire de m’immerger dans la culture des Caraïbes.
En passant devant l’île de Saint Vincent, d’une superficie de 388 km 2, peuplée de 112'000 habitants, dont la capitale est Kingstown, j’ai eu une pensée pour mon amie Dominique Cuffy Mc Cann. En effet, grâce à son tendre époux canadien, « Monsieur Pierre » comme l’appelle Ambre, elle a pu retrouver son père à l’âge de 50 ans. Ce dernier était alors ministre de la Justice des Grenadines et domicilié à Saint -Vincent. Victor Cuffy a ainsi pu faire également la connaissance de sa petite-fille Lauriane avant de décéder il y a quelques années. Dodo a aussi gagné dans cette opération de recherche familiale un demi-frère prénommé Marc et sa famille.
J’ai hâte que notre Antillaise à nous nous rejoigne sur le bateau pour quelques jours au tout début de l’an prochain.
« Bequia en vue » a crié Claude-Aline. Nous avons dû d’abord passer par le rituel des formalités sanitaires et portuaires pour lesquelles notre capitaine excelle. Il faut s’armer de courtoisie et de patience pour tenter de les joindre et de pouvoir être autorisé à débarquer. L’interlocutrice de Vincent répondait toujours très gentiment et poliment à ses appels répétés jusqu’à ce qu’elle lui avoue des sanglots dans la voix : « Je ne puis plus rien faire pour vous. Ils ne me répondent pas».
Indiana Jones n’écoutant que son courage a fait mettre à l’eau le Crazy Fabi, dont je suis l’amiral de la flotte, composée d’un seul bateau, notre dinghy tout petit, tout mignon et violet bien entendu et est parti à l’assaut des autorités locales. Il est revenu triomphant au bout d’une heure et a même réussi à dénicher en un temps record notre loueur de bouées, le dénommé Fitzi, palabrant sous un arbre, après avoir interrogé la moitié des habitants de Port- Elizabeth aux fins de l’identifier.

Bequia, nous y étions bel et bien pour une semaine de rêve. Cette île se situe à environ 6 milles dans le Sud de l’île de Saint-Vincent. C’est la première île des Grenadines en venant du Nord. Entre les deux îles, les courants sont forts et quand les alizés sont frais, la mer est toujours très agitée. Même à notre bouée à Admiralty Bay où nous avons mouillé, nous avons senti la justesse des prévisions météorologiques dans les jours qui ont suivi , avec le vent à la force «violet cramoisi».
L’île a une superficie de 18 km 2. Elle est la plus grande dépendance de Saint-Vincent. Sa population est composée de 5'000 habitants et elle est issue d’un métissage assez complexe entre une majorité de souche africaine et quelques anciens colons d’origine européenne, principalement écossais et anglais.
Certaines femmes ont les yeux gris-vert et la couleur caramel des Antilles, ce qui les rend fort séduisantes.
Au bout d’une semaine, nous avions l’impression de connaître tout le monde et réciproquement. Nous étions interpellés très gentiment dans la rue. Tout le monde se salue et prend de vos nouvelles. Personne n’est pressé. Je me suis achetée un petit bonnet de laine rasta, rose et violet, que j’ai fièrement arboré et que les habitants ont bien apprécié.
Les commerces sont clos dès 15h. Take it easy ! Un couvre-feu a lieu de minuit à 5 heures du matin. Pas vraiment gênant pour la vie sur un bateau. La musique est omni présente dans la rue principale où circulent des véhicules plutôt en bon état, avec des taxis-trucks ou l’on prend place à l’arrière sous un toit. Les chauffeurs conduisent très prudemment.
Il y a eu l’accident de l’année impliquant trois véhicules pendant notre séjour. Toute la population se rue pour voir les dégâts et commenter les faits. Il n’y a eu qu’un seul blessé, fort heureusement, léger. L’hôpital que nous avons vu, n’invite guère à tomber gravement malade ou à être sérieusement blessé.
Je me suis rendue avec Ambre dans un magasin pour acheter un balai. Si le rez- de chaussée ressemblait bien à un super marché, le premier étage où nous avons déniché ledit balai était une sorte de grenier abandonné, en désordre et pas balayé justement depuis longtemps.
Quant à la banque dans laquelle je me suis rendue pour retirer au bancomat des espèces locales avec ma fille, qui a vu son opération pour sa part réussir. En ce qui me concerne, si ce bancomat ne m’a pas avalé ma carte, il ne m’a jamais donné le montant sollicité. Un message est subitement apparu sur l’écran juste après la transaction : « En interruption temporaire» .Alors que j’entendais quelqu’un derrière la machine et que je pensais que la personne était précisément en train de recharger le bancomat en espèces, je l’interpellais à ce sujet, elle m’a dit de passer à l’autre machine pour retirer le montant. Le miracle ne s’est pas produit et je me suis rendue dans la banque avec Ambre pour protester. Nous avons finalement été conduites au premier étage de celle-ci dans le bureau d’un haut cadre qui nous a informées de pas pouvoir consulter son ordinateur pour savoir si j’avais été débitée et ne pas pouvoir non plus me remettre de l’argent en espèces. Kafkaien ! Bref, je n’ai pas pu recevoir ma monnaie des Caraibes, mais à ce jour, il ne semble pas que mon compte ait été débité. J’ai quand même pu faire des cadeaux de Noël, modestes, mais locaux dans les petits magasins de Bequia au moyen de ma carte de crédit : une chemise tropicale pour Coralie, une robe de plage en crochet pour Claude-Aline, une en batik pour Ambre, un short de bain pour Lionel et un t-shirt « sail fast, live slow » pour Vincent.
Claude-Aline, soucieuse de remédier à mes douleurs au dos dont je me plaignais après les secousses phénoménales engrangées depuis plusieurs mois dans ces traversées que le capitaine m’avait vendues pourtant « cool », a déniché pour moi une adresse de massage holistique.
Je me suis donc rendue dans une petite maison coquette, où un ouvrier retapant une voiture est venu m’accueillir. Il a appelé le « masseur », un vieux marabout de 83 ans, qui lisait à l’étage. C’est lui qui a aussi ouvert le cabinet au moyen d’un trousseau de clés digne d’un gardien de prison. Allez, je sais qu’à Champ-Dollon, tout est électronique de nos jours !
Le chaman était quasi édenté, mais le lieu de consultation était simple, mais propre.
Il m’a fait asseoir sur un tabouret à côté de lui et a commencé à me dire que le prince Charles se faisait traiter par l’homéopathie et par les plantes. Il m’a dit vouloir faire de même avec moi. Il a pris un pendule et a commencé à le promener en ma direction en me disant que j’étais confuse, dissociée entre mon mental et mon physique suite à un choc traumatique. Imaginez que cela m’a de suite parlé : la traversée de l’Atlantique…
Il m’a donné une cuillerée de potion magique à avaler et a agité à nouveau son pendule sur moi en me disant que suite à ce premier traitement, j’étais déjà recentrée.
Ensuite, il a soigné mes reins (que j’ignorais malades) et a remis toute mon énergie en route en me donnant une granule provenant de plusieurs petits pots. Enfin, je me suis étendue sur sa table de massage où il m’a oint le dos d’une huile de sa composition et trituré les doigts, les coudes, les épaules, puis les orteils et les vertèbres.
A la fin de la séance, au demeurant bon marché, j’étais prise entre le fou-rire et l’envie de croire à la magie. J’avais aussi consolé mon guérisseur du divorce d’avec sa femme française, d’origine normande, survenu il y a plusieurs années et de sa mésentente avec l’un de ses fils pourtant domicilié sur l’île.
Dans tous les cas, j’ai décidé de me sentir bien et que ce que je venais de vivre était une expérience unique et ne pouvait pas m’avoir causé de mal, même si je me suis demandée ce que j’avais au final consommé.
J’ai convaincu Vincent de tenter aussi l’aventure holistic pour un poignet abimé par les tours de winch, mais qui a parlé de « foutaise » en ressortant. Ah, cet esprit trop cartésien !
Claude-Aline a supporté pendant 38 jours les parents de Lionel à bord. Elle a été héroïque et nous lui en sommes fort reconnaissants. De notre côté, nous avons davantage fait sa connaissance et avons pu apprécier son courage, sa volonté, sa finesse, son intelligence, sa personnalité discrète, mais analytique et déterminée.

Claude-Aline et Lionel, qui devaient au départ nous quitter une fois l’Atlantique traversé, pour un périple en Amérique du Sud, ont dû y renoncer vu la nouvelle vague causée par la pandémie. D’une manière empreinte de délicatesse, ils sont restés avec nous tout en prenant un peu de distance à Bequia. Ils ont décidé de faire des plongées et Lionel de passer un padi et ont logé au petit hôtel de charme, sis en face de notre bateau mouillé dans la baie, le Ginger Bread, juste à côté de l’école de plongée. Le joke était de passer « incognito » devant eux en accostant sur le rivage avec le Crazy Fabi pour leur laisser leur intimité. Cela a engendré de nombreux fous rires dans notre équipage.
Nos deux tourtereaux ont effectué de belles plongées, accompagnés une fois par Coralie, détentrice comme Claude-Aline d’un brevet. Lionel a réussi son padi, et pour les deux derniers jours, nos amoureux sont partis de l’autre côté de l’île dans un superbe hôtel sis dans une propriété luxuriante, que Claude-Aline leur avait déniché.
Ils ont eu la générosité et la gentillesse de nous y convier pour un après-midi détente, piscine et lectures, avant de nous inviter pour un délicieux repas.
De notre côté dans la baie, nous avons nagé, plongé avec masque et tuba, lu, bronzé et discuté avec Ambre et Coralie.
Sous l’impulsion positive de cette dernière, Ambre a osé s’aventurer dans l’eau, même assez loin du bateau, elle qui est terrorisée de croiser des poissons depuis qu’elle est tombée dans un bassin rempli de truites, dans sa petite enfance. C’est bien dommage, vu qu’elle nage comme un poisson et qu’elle aime l’eau. Coralie ne désespère pas de la guérir de sa phobie.

Nous avons passé des soirées agréables à deviser et à prendre un apéro sur Surya, avec Jost et Anne, puis dégusté de succulents homards avec eux, James, Tracy et Nick d’Akaroa,dans un petit restaurant où nous étions les seuls clients. Nous avons refait le monde, discuté de nos traversées respectives de l’Atlantique et échangé nos ressentis. Tracy a dit avoir été fortement marquée par celle-ci et avoir été très impressionnée par le bruit, les vagues et le vent. Ils ont traversé en onze jours seulement, avec une skipper à bord et en étant partis une semaine après nous. Quel record de vitesse !
Coralie et Ambre nous ont aussi invités dans un beau restaurant « Papas » sur la colline surplombant la baie où nous avons fêté de manière anticipée Noel avec Coco qui retournait en France rejoindre sa famille le 23 décembre.
Coralie a été aussi pour nous une chouette découverte et nous avons beaucoup apprécié sa bonne humeur, son esprit espiègle, ses talents sportifs et son envie de participer à tout.
Le 20 décembre, nous avons quitté Bequia pour rejoindre la Martinique, pour permettre aux quatre jeunes à bord de regagner l’Europe à la fin de leur séjour à bord.
Vous n’ignorez rien de la navigation qui s’en est suivie, vu la narration de Vincent, mais nous avons fait en fin de journée un magnifique mouillage dans la baie de Sainte Lucie, qui nous a permis de nous détendre, de nous baigner et de cuisiner en toute tranquillité, avant de passer une nuit paisible, bercés par les flots. Nous avons repris la mer le lendemain, après une baignade matinale et un bon petit-déjeuner. Nous sommes arrivés dans la baie de Sainte-Anne vers 14h. En fin de journée, nous sommes descendus à terre, boire un cocktail à la Dunette. La musique était excellente, les gens dansaient et nous avons participé à la fête avec Valentine et Sébastien d’Impossible.
Nous nous en sommes donnés tous à cœur joie sur la piste de danse, car nous n’avions plus eu l’occasion de danser depuis la Grande Motte et nos jeunes étaient déchaînés eux aussi.
Nous avons mis tellement d’ambiance que le patron nous a offert une tournée et a arrêté la musique bien après le couvre-feu en Martinique fixé à 20h.
Nous avons accompagné le lendemain Coralie à Fort-de France grâce au véhicule prêté aimablement par Jeanne et Lionel de Nop Nop.
Nous avons fêté le 24 décembre, un Noël particulier pour nous, tout sereinement, joyeusement, en famille à bord du Crazy Flavour.
Nous étions très émus d’avoir nos deux enfants et Claude-Aline à bord, aux Antilles avec nous en cette belle nuit étoilée. Nous leur en sommes très reconnaissants.
Merci pour ce temps et cet amour que vous nous donnez.
Joyeux Noël à toutes et à tous.
