GALAMA à plus que mi-parcours.
Écrit par Vincent le 09/04/2022
Nous sommes le 8 avril. Il fait beau. Le ciel est traversé de petits nuages. Nous avançons entre 9 et 10 Kn, sous grande voile et par moments génois, par moments Gennaker. Il y a environ 18 à 23 kn de vent, qui oscille entre l’Est et l’Est-Sud-Est.
Nous avons pris une option résolument Nord et sommes donc un peu au Nord de la route directe vers Nukku Hiva. Alors que toute la flotte fait route directe ou est un peu au Sud de cette route directe. Au moment où j’écris cet article, cette stratégie semble payante. Les bateaux en dessous semblent moins bien placés et devront un moment où un autre soit empanner soit avancer sur la panne ce qui est moins rapide, alors que nous faisons route directe au Grand largue. Mais notre situation présentement favorable pourrait se révéler précaire si le vent tournait au Nord Est. Le Dieu des Marquises nous dira ce qu’il en pense dans les six prochains jours. Rien de spécial à relever à bord. Contrairement à passablement d’autres bateaux du GLYWO, nous n’avons (encore, touchons du bois) rien cassé ni déchiré. Depuis le départ, la seule trace de vie aperçue se résume à des échos AIS d’un bateau de pêche chinois et au croisement visuel de deux bateaux chinois, un qui pêchait et un autre de 200 mètres de long qui devait ramener le produit de la pêche des autres collègues à la mère patrie. Cette pêche intensive de plusieurs dizaines de chalutiers chinois, à plusieurs milliers de NM de toute terre pose d’ailleurs la question de l’épuisement de la ressource marine à l’abri des regards. Je dis plusieurs dizaines, car tous les participants du GLYWO n’ont cessé de recenser des bateaux sur leur AIS, aux noms divers mais numérotés. Je pense qu’il y en a peut-être même des centaines, répartis en permanence sur le Pacifique, vu le côté extrêmement limité de notre périple, et donc de nos possibles rencontres. D’ailleurs de nuit, ces bateaux pêchent avec d’énormes projecteurs, ce qui de loin donne l’impression du halo d’une ville, à ceux qui s’en approchent, jamais trop toutefois vu le caractère risqué de toute proximité. Il est en effet rapporté que ces bateaux traînent des lignes de pêche de plus de 2 à 3 NM (près de 5 km) où des filets en surface entre deux bateaux assez distants. Cette pêche intensive doit correspondre à un carnage permanent et hors récrimination. Il serait temps que de réels quotas soient effectivement mis en place. Que l’on transforme cette dévastation en gestion durable de nos océans. Cette observation m’amène tout naturellement à digresser sur la question de la bataille qu’il nous faut livrer pour préserver notre environnement et plus largement notre climat. J’ai eu d’intenses discussions avec Dominique (propriétaire du voilier Fou de Bassan) l’autre jour sur ces questions passionnantes et surtout essentielles. Je le remercie de ses observations, dont je me suis largement inspiré, ci-après. Dominique avait lu le fameux livre traitant du bug humain. L’homme ne serait programmé depuis toujours que pour répondre à des stimuli précis, avec un système de récompense chimique interne, qui ne permettraient pas de prendre en compte le long terme et en particulier l’équation du changement climatique. Que comprendre, comment l’exprimer en peu de mots ? L’homme dès l’origine cherche à satisfaire des besoins et son cerveau lui promet chimiquement des récompenses sous forme de dopamine, s’il parvient à réaliser certaines actions visant des buts dits essentiels. C’est son cerveau primitif, le striatum qui gère ces récompenses. Il prend alors le dessus sur le Cortex, partie rationnelle et sans doute plus moderne de notre cerveau. Or ces buts assignés par le striatum sont simples. Assurer sa survie, donc manger pour stocker des réserves pour les mauvais jours de chasse. Il en reste quelque chose de déréglé actuellement lorsque l’on voit les cohortes des centres d’amincissement et les chiffres traitant de l’obésité. Cela reste un but premier pour tout individu de ne pas souffrir de la faim, et malgré les injonctions du striatum, certains arrivent à faire en sorte que le cortex reprenne le contrôle de notre alimentation propre.La survie à long terme, soit la reproduction de l’espèce et donc le sexe. Ce qui peut conduire certains à devenir sex addicts, tant la récompense paraît jouissive, et désormais détachée de, ou plutôt non corrélée avec, la reproduction. Et sur un plan sociétal, cela débouche sur l’invasion du net ( 40% de la bande passante ?) par des films pornographiques.
La recherche du statut social, car la position de chef augmente les chances de survie. L’on chasse pour toi. L’on te nourrit d’abord et l’on te protège. La course actuelle de certains vers des fonctions dirigeantes, ou de celles qui assurent une forme de reconnaissance sociale est donc apparemment stimulée en premier lieu par le striatum, et beaucoup moins par le cortex.
La recherche d’un idéal d’oisiveté. Être oisif c’est se protéger des risques de ce monde. Ne pas s’exposer en dehors d’un terrain connu et réputé à l’abri du risque devient une forme d’idéal recherché pendant que l’on est actif à longueur de journées et d’années. Aujourd’hui, cela donne des foules de gens pressés de ne rien faire lors d’une journée de vacances, soit du tourisme de masse vers des destinations réputées non risquées et si possible pas trop chères.
L’accès à l’information est lui aussi un besoin essentiel. A l’époque, c’était reconnaître la trace d’un prédateur ou d’un gibier, de connaître leurs emplacements et leurs habitudes. Toute information pertinente est donc propre à mieux assurer notre survie et à terme celle de l’espèce. Ce besoin d’information existe en permanence chez tout individu. C’est ce qu’ont si bien compris les chaînes d’infos en continu et les réseaux sociaux. Là encore le striatum récompense ce besoin que l’on a de rester en phase avec l’actualité. Le cortex permet de rationaliser, voire de limiter certains besoins ou envies suggérées voire imposées par le striatum. Ainsi les gens éduqués, goûtent le plaisir de la table, en transformant, par exemple, quantité en qualité. De même le porno peut céder la place à l’érotisme (y compris des lectures), voire à des spectacles qui titillent les sens. La recherche d’une position dirigeante peut également se limiter à rechercher une position où l’on peut décider, ou une capacité managériale. Mais observez certains politiques en quête de fonctions électives et vous verrez qui du striatum ou du cortex anime et motive davantage tel ou tel candidat. La recherche compulsive de l’oisiveté participe clairement du développement phénoménal de la société des loisirs, et permet, poussée à son extrême paradoxal, d’envisager de réaliser un long voyage hauturier en bateau, ce qui débouche en réalité sur une non-oisiveté, comme déjà mentionné. Pour d’autres, ce sera un hobby ou une activité artistique. Ou alors, ce besoin débouche sur de l’oisiveté littéraire, en lisant ou en rédigeant. Quant au besoin d’information, l’expérience montre qu’il est difficile de s’en sevrer. Meilleur exemple, le fait que pendant ces derniers jours sans contacts au milieu du Pacifique, l’on en vient à interroger nos proches sur l’état de la guerre en Ukraine, ou sur les sondages juste avant l’élection présidentielle en France. Néanmoins, l’on peut restreindre à l’essentiel et se passer de l’activité des people qui alimentent certains journaux et médias à longueur d’année. Tout ce développement pour constater que la survie à très long terme de l’espèce, selon le striatum ne passe pas par les sacrifices et comportements propres à éviter le changement climatique. Dit autrement, les privations et changements d’habitude ne peuvent pas être induits que par le cortex, soit par le côté rationnel de notre cerveau. Ainsi notre cerveau primitif ne prévoit aucune récompense si l’on change son chauffage pour un modèle décarbonné et plus vertueux. Ainsi notre striatum ne verra aucune raison d’encourager tel manager à renoncer à un vol en avion, alors que jusqu’à très récemment, cette faculté de voler fréquemment montrait une forme de statut social ou la démonstration d’une réussite. Je ne parle même pas des avions privés. Ainsi notre moi primaire ne verra aucune raison de limiter notre consommation de smartphone qui nous relie en temps réel à l’information quelle qu’elle soit. Or, chacun est rationnellement conscient de ce que ce monde connecté des réseaux et de l’information coûte chaque minute en termes d’énergie et de stockage dans des datas centers. Alors combat pour le climat perdu d’avance, parce que nous sommes tous au fond encore de grands singes ? Il faut le craindre. Mais on peut espérer que notre cortex prenne le dessus pour imposer des comportements résolument intelligents, voir vertueux. Faut-il interdire ? Ou faut-il davantage faire passer pour des ringards ceux qui n’évoluent pas ? La question est délicate et mériterait de plus amples développements. Je crois qu’il faudra des deux. Interdiction pure et simple de certaines activités humaines dont on sait qu’elles sont trop lourdes de conséquences pour le climat. Incitation massive pour d’autres, vertueuses, où le cortex saura faire prévaloir l’intérêt rationnel. Et enfin promouvoir la ringardisation d’attitudes et de gestes, voire d’actions qui découlent d’incitations du striatum qui ne sont plus de mise, dans la situation de crise actuelle. Et surtout parler aux cortex des quelques dizaines milliers de personnes ( milliardaires, dirigeants d’entreprises mondiales, politiques et leaders religieux ou d’opinion) qui auraient effectivement la capacité de réussir ce tour de force de réussir cette mutation phénoménale. Tout cela nous ramène au Pacifique que nous traversons. A cette immensité de nos océans qui couvrent près de 70 % de notre planète. Il ne faut plus rester inactif devant ces pêches massives hors de la vue des terriens. Le règlement de la gestion durable de nos océans doit devenir un objectif premier. Et tant pis si les chinois mangent un peu moins de poissons…..on ira leur expliquer les réels enjeux en parlant à leur striatum.