Fin des Marquises

Coucher de soleil Marquises

Lorsque nous sommes remontés de Ua Pou à Nuku Hiva, nous avons pu vérifier les qualités marines de notre catamaran Outremer. Par force 6 à 7, à 60/70 degrés du vent apparent, Crazy Flavour oscillait entre 8.5 et 11.5 Kn, en fonction des rafales et des vagues. Mais sans le sentiment de prendre des risques, le tout sous deux ris et trinquette. Je commence à pouvoir bien anticiper la bonne combinaison de voiles en fonction du cap et du vent, pour le faire progresser rapidement mais sûrement. 

J’avais toutefois noté sur le visage de Irène et de Chantal une légère appréhension lors du départ, mais beaucoup moins lorsque nous avons pu très rapidement effacer 28 NM qui nous séparait du Sud de Nuku Hiva, en moins de trois heures.

Fabienne vous a conté Nuku Hiva, sa vallée SW préservée, sa baie principale, ses magasins, son restaurant Relais et Château, et sa cathédrale, pour ne pas reparler de son évêque, qui doit directement prendre ses instructions de feue l’Inquisition. Vous avez été quelques uns à réagir pour féliciter Fabienne, nous n’y reviendrons donc pas, même si l’envie ne me manquerait pas.

J’aimerais toutefois prendre quelques lignes pour saluer le départ de Christophe qui fut sur notre bateau un équipier fidèle et performant, pendant quelques semaines, ayant accompli le trajet Galápagos Marquises de 15.5 jours,  puis 15 jours aux Marquises, dont 10 avec son épouse Irène.

Christophe est une personne sur le berceau duquel les fées se sont longuement penchées après sa naissance. Très doté intellectuellement, il a un sourire ravageur, des pectoraux et des abdominaux d’acier ( qu’il entretient avec une assiduité plus forte peu avant de retrouver son épouse ), une coupe de cheveux clairement désuète (il le sait) et une gentillesse chevillée au corps. Attention, Christophe peut ne pas compter que des amis. Il faut mériter cette chance. Sur la durée. En ami fidèle, ce que je suis.

Et prendre le risque de le contredire peut amener à devoir faire face à des relances sur le même sujet. Le skipper le sait parfois insistant, mais toujours à bon escient, de son propre point de vue. Tout finit toujours bien, les éducations protestantes étant passées par là, et je dois reconnaître à Christophe un don de persuasion élevé, mais aussi celui de l’écoute d’autrui. 

Chris, comme on l’appela parfois entre deux quarts de nuit, a adoré se retrouver à la barre de Crazy Flavour, avec son casque, sa musique et ses étoiles de l’hémisphère Sud qu’il a progressivement apprivoisées. Il avait grand  besoin de cette coupure entre les HUG qu’il quitte peu avant la guillotine de la retraite, après plusieurs dizaines d’années comme chef du service d’Urologie, et le privé qui l’attend désormais.

Christophe ne résiste pas devant une tresse qui sort chaude du four. Il trouvera toujours des justifications à posteriori pour l’avoir entamée, souvent nuitamment. Ça tombe bien, son épouse Irène aussi.

Bon que dire en conclusions de ce sujet qui ne soit ni larmoyant, ni superficiel ? Je pense que Chris va singulièrement nous manquer pour ces dernières semaines à bord, mais je gage qu’il y aura après Crazy Flavour, d’autres occasions de naviguer de concert, ce qui est tout un programme avec un organiste, qui a dédié sa vie aux petits tuyaux d’autrui…. 

Je regrette juste que Chris et Irène nous aient quitté le 1er mai  au moment où l’on partait pour la désormais fameuse messe de l’évêque. Ce sera mon point d’orgue.

Nous avions décidé à l’arrivée de Thierry et Claude Breton à Nuku Hiva, le 2 mai, venus directement de Genève, par Paris, Los Angeles et Papeete, de les acclimater et de leur donner du temps pour absorber décalage horaire (11.30 quand même) et dépaysement. 

D’où notre décision de rallier le mouillage d’Anaho sur le Nord de l’île. Nous y parvenons après 4h30 essentiellement au près et au près bon plein. Belle navigation par 18 Kn contre le vent, avec deux ris et trinquette. Pierre voulait virer trop tôt, moi sans doute trop tard, le compromis finalement trouvé fut acceptable pour les deux et l’on passa la pointe SE de NukuHiva, où il y des hauts fonds, avec une marge que j’ai reconnue confortable. 

La côte Nord de l’île que nous découvrons après avoir passé la pointe NE, est creusée de quelques criques profondes. Celle de Anaho connaît un parfait abri sur la droite au fond, à l’écart  de la houle de l’Est. Le vent y parvient, mais la tenue des fonds est excellente. 

Fabienne dirige la manœuvre de l’ancre depuis la barre. Maîtrise totale ! Nous mouillons par 11 mètres de fond, hors le périmètre interdit. Et à distance raisonnable des six autres voiliers déjà à l’ancre.

Cette anse donne sur une plage de sable fin et de cocotiers de plusieurs centaines de mètres en quart de cercle. Des coraux bordent toute la plage sur les cinquante premiers mètres, coraux qui se découvrent à marée basse. Et il faut rentrer en dinghy par un chenal délimité par des bouées, sous peine de perdre son hélice. Ce site est vraiment parfait et idyllique…

Anaho compte une pension restaurant confidentielle et un peu désuète, quelques maisons et surtout de rares habitants, souvent retraités, qui contemplent la beauté permanente du site. 

C’est un site isolé auquel l’on ne parvient que par la mer ou par un sentier escarpé qui permet de gagner Hatiheu, dans la baie d’à côté plus à L’Ouest.

Dans un précédent article je vous avais fait mention de Yvonne, la maire éternelle de Hatiheu, qui avait décidé de ne pas relier Anaho et Hatiheu par une route et surtout de ne pas donner un permis de construire pour un méga complexe hôtelier dans la baie d’Anaho. Maintenant que nous y sommes, je comprends mieux encore cette décision de non développement. Anaho est un bijou unique qui doit continuer de rester aussi intact que possible. Les touristes iront ailleurs, et les voileux, comme les appellent les insulaires, continueront de respecter ce mouillage et son corail. 

Après une nuit de profond sommeil, non troublé par la houle,  nous décidons de nous rendre à Hatiheu, par ce chemin escarpé, pour aller manger les spécialités locales chez Yvonne. Nous prenons une bonne heure pour accomplir ce trajet sous un soleil aussi fort que resplendissant. 

Il nous faut après avoir atteint un col assez élevé, descendre dans la baie d’Hatiheu, que quatre d’entre nous découvrent et apprécient au premier coup d’œil. C’est un autre havre de paix et de tranquillité dont le centre n’est autre que les restaurant d’Yvonne, que Pierre et moi retrouvons avec bonheur. Même si nous ne verrons pas Yvonne, cette fois.

Le repas est copieux et excellent et le retour, du moins la première grimpe, sera difficile. 
Mais la baignade dans la baie d’Anaho à l’arrivée permet d’effacer les contractures musculaires et de ramener le corps à une température optimale. 

Nous voyons venir s’ancrer Fou de Bassan. Véronique, épouse de Dominique y retrouve une partie de sa famille, qui les rejoint dans une pension modeste pour quelques jours.

Nous aurions aimé rester encore un peu. Mais il nous faut partir et rallier les Tuamotu. Le matin suivant, 5 mai, nous quittons l’île pour deux bords au près pour repasser à l’Est de Nuku Hiva et rejoindre l’île de Ua Pou, soit un mouillage plus au Sud que celui de Manfred, le Schokomann, et celui de la belle cascade. 

Nous ancrons après 6 heures de navigation au pied d’un promontoire qui nous abrite de tout vent, et qui nous laisse une houle résiduelle acceptable. Tout le monde se baigne. L’eau est chaude par 15 mètres de fond.

Les mines s’allongeront le soir lorsque l’on assiste à des chasses marines de prédateurs non clairement identifiés à proximité du bateau et que l’on entend de bizarres bruits toute la nuit autour des coques. Il y a de la vie marine là autour, mais quoi ? Impossible de dire si ce sont des thons des requins ou autres prédateurs. Personne ne se porte volontaire pour un bain de minuit.

Le lendemain matin, 6 mai, départ vers les Tuamotu. Un espace 70 atolls couvrant une superficie inouïe dont Fabienne traitera dans un prochain blog. 

J’écris cet article sur le chemin des Tuamotu, après une première nuit assez musclée et des successions de grains, qui nous virent devoir considérablement et rapidement réduire la toile, puis la remettre, pour ne pas trop lambiner. 


Il faut dire que l’on se dirige vers l’atoll de Fakarava, dont la réputation est immense auprès des plongeurs, notamment pour sa passe Sud. On ne sait pas si notre progression actuelle nous permettra de nous présenter à l’heure voulue devant la passe d’entrée Nord. Ce sera après deux autres nuits de navigation. Il nous faut parcourir depuis Ua Pou plus de 520 NM. 

Affaire à suivre….le suspens est total.