En approche des Galapagos

Coucher sol

Galápagos bientôt en vue 

Nous sommes dimanche 13 mars, le ciel est bleu dégagé. La température est de l’ordre de 30 degrés. La mer est bleue et calme. Nous nous approchons de l’île de San Cristobal que nous devrions atteindre dans la nuit de lundi à mardi, si pas lundi en fin de journée. Tout va extrêmement bien à bord, si ce n’est que nous ne savons rien ou presque de cette guerre qui se déroule à l’Est de l’Europe. 

Je viens d’avoir Fabienne au téléphone satellite qui m’informe que Kiev est agressée et serait sur le point d’être envahie. 
 

Nous nous demandons si ce blog n’est pas singulièrement décalé 
par rapport à l’ambiance qui prévaut dans le monde occidental. 

On ne peut apparaître que comme des ultra-privilégiés quant on compare notre sort à celui de ceux qui vivent en Europe dans une certaine forme d’angoisse.  

Faut-il continuer ce blog et vous parler de notre vie à bord, de nos débats et discussions ? 

Dois-je élaborer sur le fait que -sans la présence de Fabienne-  j’ai assuré seul face à l’automate deux lessives successives en cours de navigation, à la satisfaction de l’équipage ? 
Devons-nous encore disserter sur le bonheur et notre plaisir de naviguer loin de toute terre pendant une semaine, sans croiser âme qui vive, hormis tel 
ou tel autre privilégié, participant du GLYWO, croisé au petit jour ou au milieu de la nuit ? 

La question se pose et se discute à bord. Que faire ? 

Si l’on interrompait purement et simplement, ce serait donner au camarade Poutine un succès extra-territorial auquel il ne pouvait s’attendre, au niveau de notre liberté d’expression.  

Si l’on ne modifiait rien, l’on pourrait susciter un sentiment d’incompréhension, voire de rejet de nos lecteurs devant le peu de prise en compte de leur vie et devant une forme de show-off navrant. 

« En même temps », comme dirait le candidat Macron, vous êtes beaucoup à nous écrire que ce blog constitue un moment bienvenu de divertissement dans votre quotidien et qu’il vous amène une détente et un changement d’air apprécié. 

Nous continuerons donc la rédaction de ce blog, non sans tenter de digresser sur des choses peut-être moins terre-à-terre, ce qui doit d’ailleurs être aisé en navigation hauturière. 

Quelques brèves du bord, sans connexion entre elles, pour vous dire quelques points saillants de notre traversée. 

Pierre a mis au point, mais pas breveté, le papillon javanais. De quoi parle-t’on ? 

Lorsque nous avons la grande voile et le Gennaker, nous ne pouvons descendre en dessous de 140/150 degrés du vent. Et donc lorsque nous empannons sur l’autre bord, nous avons généralement un angle de l’ordre de 60 à 80 degrés avec le cap précédent. 

Du coup pas de trajet en ligne directe si le but à atteindre est complètement sous le vent. Cela rallonge le trajet et surtout donne l’impression d’être privé de route directe, presque comme au près, ou l’angle entre les bords contre le vent est de l’ordre de 90 degrés. 

Pierre fulminait et tout d’un coup, il proposa à l’équipage une innovation, soit de descendre la grande voile qui dévente le Gennaker en dessous de 150 degrés du vent. 
Pour compenser Pierre proposait de dérouler le génois qui viendrait se mettre de l’autre côté du bateau en vis-à-vis du Gennaker, soit en papillon. L’addition des surfaces véliques du Gennaker et du génois permet de capturer le vent arrière avec suffisamment de mètres carrés et d’avoir un cap direct à 180 degrés du vent. 

Belle invention et belle appellation. Nous l’adoptons à satisfaction et la recommandons par des airs modestes toutefois. Mais dès que l’on veut sortir de 175 degrés d’un côté ou de l’autre, le papillon (javanais) se rebelle, et il faut alors remonter la grand voile.  



Les dauphins dans tous les récits de navigateurs occupent une place à part. Ce n’est pas par hasard. Il y a une forme de cousinage recherché voire voulu, pour ce mammifère 
extrêmement agile, superbe à voir évoluer et qui ne montre jamais de signe d’agressivité. Sur un bateau au large, il est fréquent d’en rencontrer, de les voir se dérouter 
pour venir jouer avec nos étraves quelques minutes. 

Depuis la sortie de la baie de PanamaCity, nous éprouvions une certaine frustration. Celle d’avoir vu quelques gros dauphins d’assez loin, et jamais en bande. Et qui 
ne s’étaient jamais approchés. 

Pierre, encore lui, exprima tout haut ce que nous pensions tous tout bas. « j’aimerais bien voir une flopée de dauphins qui nous rejoignent un bon moment ».  

Il n’avait pas fini sa phrase (non Fabienne, je n’exagère pas) que Spyro et Patrick détectent des dauphins sautant au loin sur notre route. En cinq minutes nous y sommes, 
sans changer de cap. Et alors subitement, une vingtaine de dauphins se mettent à suivre notre bateau, mais pas de très près hormis un ou deux individus.  

Contrairement en effet à ce dont nous étions coutumiers en Méditerranée, ces dauphins ne nagent pas à quelques centimètres des étraves, mais à deux ou trois mètres devant 
le bateau en oscillant d’une coque vers l’autre. Et le privilège de nager de la sorte, en nous observant quelque peu, est réservé à un ou deux seulement. Les autres restent 
de côté, à quelques mètres de nos coques.  

L’on agite les bras, on les interpelle et l’instant magique s’imprime dans nos circuits neuronaux. Avec un regret, voire une frustration : de ne pas être en mesure de 
communiquer avec nos cousins. Pas de vrai échange, juste des gestes pour nous et une forme de danse pour eux. C’est presque frustrant tant l’on aurait sans doute à se 
dire.  

Et puis subitement, il n’y a plus que deux dauphins, puis un, et puis ils apparaissent en arrière et retournent à leur jouerie ou à leur pêche. C’est fini. Cela a duré 
5 minutes au plus. Mais Pierre est ravi.  

La nuit suivante, alors que je suis de quart, j’entends près du siège de barre des bruits inusuels dans l’eau. Un dauphin nage tout près de la coque. Patrick sommeille 
sur le trampoline. Je m’aventure vers l’avant du catamaran et le réveille.  
La nuit tout prend une proportion différente. À nouveau 3 ou 4 dauphins oscillent devant nos deux coques. Peu à voir, mais des souffles et des rentrées dans l’eau à entendre. 
C’est très bref et très intense. L’un était vraiment venu tout près de la barre où je me trouvais, et j’ose croire qu’il était venu me manifester sa présence, même très 
succincte... Merci. 

Alors que je venais de finir de rédiger ce paragraphe, je me lève et sors du carré. Mon regard erre sur l’eau un peu au lointain. Non je ne me trompe pas. A plus d’un 
kilomètre je discerne clairement un aileron dorsal qui sort de l’eau. Très grand et très droit. J’interpelle Spyro qui sort de sa lecture. Nous observons et voyons à 
plusieurs reprises de grands ailerons sortir de l’eau. Ce sont de grands cétacés, mais à cette distance impossible d’en savoir plus. Notre route nous éloigne de cette 
zone, nous n’en saurons pas plus.  



L’autre jour, nous étions déjà à plus de 250 NM, soit près de 500 km de notre point de départ. Un oiseau tourne autour de notre voilier en des cercles de plus en plus 
concentriques. Il cherche à se poser, mais à chaque approche finale de notre coque bâbord, il redonne un coup d’aile et repart pour recommencer une nouvelle approche. 
Je mesure toute l’intelligence de ce volatile qui teste toutes les hypothèses de saute de vent et de mouvement du bateau avant de se poser, ce qu’il fait après plus de 
vingt approches au moins. Il se pose et tord son long cou pour mieux observer son environnement. Est-il épuisé ou nous donne-t-‘il l’impression de l’être ? En tout cas 
il se repose. Et si parfois il décollera, ce sera pour toujours revenir à la même place, peu après. Le lendemain matin, il est toujours là. Curieux de tout, mais ne bougeant 
pas et n’émettant aucun signal ou bruit.  
Mais voilà qu’un autre oiseau  identique s’approche et parvient à se poser à 20 cm de lui. Nous avons désormais deux figures de proue à bâbord.  

Un troisième survient. L’air un peu plus âgé, mais je ne m’y connais guère. Et lui parvient à se poser presque du premier coup sur la poutre avant, plus précisément sur 
le câble métallique épais de la martingale autour duquel ses palmes s’enroulent. Et il tient en équilibre précaire. Lui aussi bouge son cou et examine son environnement. 
Pas d’échanges avec les deux autres, en revanche.  

Trois cela commence à faire beaucoup. Nous tentons de les faire décoller. Ce n’est pas un porte-oiseau que diable.  

Je m’approche. Aucun ne bouge. J’arrive à moins d’un mètre d’eux. Chacun me toise. Mais ils n’ont pas peur. Ils me regardent intensément mais sans aucun mouvement hostile.

Je fais un demi pas de plus en direction du dernier arrivé. Il fait un mouvement d’aile, perd un peu l’équilibre et s’envole pour ne pas tomber, ce qui provoque le départ 
des deux autres probablement les plus jeunes. On ne les reverra plus. Bon vol. 


En navigation hauturière en mer, l’eau est omniprésente. Où que vous portiez le regard, il y a de l’eau. Beaucoup d’eau. Immensément d’eau. 
En règle générale, l’eau est homogène. Elle a la même couleur, la même apparence. Il peut parfois y avoir, comme sur le lac des risées, soit des vents très limités localement, 
qui laissent des endroits un peu plus remués que d’autres, où l’eau est plus lisse.  
Et il peut y avoir des courants qui lorsqu’ils sont contraires au vent, lèvent la mer en fine vaguelettes, ce qui peut être perceptible sur une faible superficie.  


Nous étions partis depuis deux jours, et cela faisait belle lurette que l’on ne voyait plus la côte. Mais nous sommes particulièrement intrigués par des masses d’eau qui 
ne semblent pas homogènes. Elles se côtoient sur plusieurs centaines de mètres, la frontière étant clairement distincte. D’un côté l’eau semble sous l’emprise de courants, 
parfois fort, au point de faire changer de direction le bateau, alors sous pilote automatique. D’un côté il y des vaguelettes et de l’autre pas. Mais surtout ces eaux 
ne se mélangent pas.  

A bord les questions se posent. Se pourrait-il qu’il y ait des courants très focalisés ? D’ailleurs dans un espace réduit l’on évite successivement un tronc d’arbre, 
une grosse branche, une planche sur laquelle sont attachés des bidons, voire ce qui ressemble à un filet de pêche, et enfin divers déchets, jamais rencontrés jusqu’alors. On 
a l’impression que tous ces objets restent prisonniers de ce courant tournant…comme s’il y avait un début de maelström. 

Or les fonds sur la carte sont de plus de 2000 mètres, allant parfois à plus de 3000 mètres. Des courants ne sont pas imaginables de manière si localisée de par la marée. 
Et rien n’indique l’existence de haut-fonds. C’est même plutôt l’inverse, il y a l’air d’y avoir une succession de failles.  

Tiens tiens, mais que représentent sur la carte cet alignement de tâches blanches séparées de quelques dizaines de miles ? Cela donne l’impression d’une grande faille 
peuplée de crevasses au fond desquelles la carte indique des points blancs, une dizaine environ. Ne serait-ce pas des volcans sous-marins. Et ceux-ci ne cracheraient-ils 
pas de l’eau douce ? Car le phénomène me rappelle furieusement le non mélange de l’eau du Rhône et de la mer en Camargue, lorsque par exemple le petit Rhône se déverse 
dans la mer, près des Saintes Maries de la Mer.  

Et du coup, la température et la composition différente de ces masses d’eau provoqueraient ces remous et ces frontières aqueuses, voire ces tourbillons.  

Ce n’est pas le moment de rester dans ces parages tourmentės, continuons notre route et laissons à d’autres le soin de percer ce mystère. Au fait si vous en savez davantage, 
merci de nous renseigner.  

Dans quelques heures, nous franchirons l’équateur, moment fort en symbole, pour nous tous, et spécialement pour moi qui ai quitté Port Camargue à fin septembre et ai 
passé (trois fois d’ailleurs) le méridien de Greenwich. 

A très bientôt. Promis, l’on vous parlera des Galápagos et des splendeurs qu’elles recèlent mais aussi de tout l’arsenal réglementaire mis en place pour dissuader les 
navigateurs d’y faire escale. 

Ecrit par Vincent et publié par Fabienne