De Séville aux Canaries

/ coucher de soleil

Nous quittons Séville tôt. Nous devons passer le pont levis à 8.00 précises.
Un ordre de quitter le quai en commençant par les bateaux à couple, puis par les bateaux à quai nous a été donné la veille. Il sera moyennement suivi. Mais globalement respecté. Cela d’autant que l’un des participants a cru bon d’avertir toute la flotte par écrit qu’il ne respecterait pas cette fréquence et qu’il ne se joindrait pas au convoi pour la descente. Je n’aime guère ce genre d’attitude. Soit l’on fait partie d’un groupe et l’on respecte ses règles, soit l’on navigue seul à sa guise. Mais l’entre-deux, en fonction de l’humeur du jour, me parait au mieux opportuniste, mais plus probablement égoïste, et donc condamnable.

Nous franchissons la fameuse écluse sans encombres ou presque. L’Outremer 55 Akaora nous fait savoir qu’il a un souci de hausse de température d’un de ses moteurs. Il ne fonctionnera que sur un moteur dans l’écluse. Plus rapide que nous tous, le skipper de Speekend lui propose de se mettre à couple de sorte que, solidaires à deux, ils soient ensemble plus manœuvrants dans l’écluse. Bel exemple de solidarité active qui nous permet d’oublier le comportement individualiste susdécrit. 

 

Akaora découvrira plus tard qu’une algue obstruait partiellement son circuit de refroidissement. Problème donc résolu et probablement vite oublié. Mais je pense qu’ils ne sont pas prêts d’oublier le comportement et la réaction exemplaires de Speekend.

 

Nous descendons ce fleuve Guadalquivir à relativement vive allure. Avec deux stratégies alternatives, suivies par les uns et les autres.

Ceux qui réduisent la vitesse de leur moteur pour profiter du courant  favorable pour progresser à environ 6 noeuds.

Ceux qui continuent de solliciter normalement leur moteur pour progresser vers la mer à plus de 8 noeuds. Ils semblent pressés de rejoindre le large.

Nous avons fait le choix de la première stratégie, car nous avions prévu de relâcher la nuit à Chipiona, au bas du fleuve. En effet notre AIS ne fonctionne pas à satisfaction. Nous avons prévu de contacter Loic Salomone, pour tenter une nouvelle fois une réparation. Difficile en effet de partir sans AIS pour traverser le flot de cargos qui rentre et sort de Méditerranée, qui plus est en partie de nuit.

 

La soirée à Chipiona nous permet de fêter l’anniversaire de Vera. Manacà s’est aussi arrêté pour prendre un équipier avant de partir le lendemain matin sur Madère. Nous apprécions Jacques et Vera et le début de soirée avec eux se révèle très plaisant.

Restaurant local en ville après 15 minutes à pied. Chipiona est déjà endormie. Et nous aussi. Cette descente en plein soleil fut assez fatigante, bizarrement. Le repas est plutôt  bon et vraiment pas cher dès que l’on est loin des zones touristiques. 
 

Nuit calme dans un port très paisible. 
 

Je vous passe les détails, mais il nous faut finalement plus de trois heures d’assistance au téléphone et par wifi le lundi matin pour trouver l’origine du problème AIS, auquel nous pouvons donner une solution provisoire.

 

Il est midi trente, après quelques formalités, nous pouvons enfin sortir du port, mais il n’y a pratiquement pas de vent. Nous passons l’après-midi soit au moteur, soit à attendre que le vent forcisse enfin. Le vent monte progressivement en puissance et nous prenons un, puis deux ris. La houle de l’ouest est de plus en plus forte. Elle est aussi fonction du courant.  
 

Et le trafic de navigation devient intense. Essayer de traverser une autoroute chargée de camions, en tricycle, dans la nuit et des conditions météo fortes, et vous comprendrez ce que nous vivons. Il faut bien calculer son coup.
Mais l’équipage est calme, conscient de l’enjeu et très vraisemblablement ravi de dépasser ses limites lorsque le vent atteint 30 noeuds. L’on navigue un bref instant avec grande voile seule sous deux ris, puis l’on met la trinquette.
 

L’idée restant de progresser derrière une flotte qui a déjà 24 heures d’avance, mais de ne pas chercher à rattraper quiconque.

Et l’on doit tout à la fois rester à 80 milles de distance du Maroc ( pêcheurs sans AIS et filets dérivants à éviter) que l’on va longer et essayer de faire un cap aussi direct que possible alors que le vent arrière nous oblige à tirer des bords.

L’idée est double pour le skipper-mari-copropriétaire. Ne rien casser avant la traversée future d’ici quelques semaines et ne pas dégoûter son épouse copropriétaire, très impressionnée par les vagues et la houle ainsi que par le bruit ambiant de la première nuit. Difficile de faire comprendre à Fabienne que ce n’est pas parce que l’on a eu froid sur la montée du télésiège qu’il faut tout bonnement arrêter de skier pour la vie. Elle le comprend, mais demande que l’on mette la pédale douce pour la suite, quitte à progresser un peu plus gentiment vers le but. Souhait compris et mis en œuvre. L’on mettra un à deux ris le soir, pour éviter de devoir sortir du cockpit, à titre préventif.

Petit-à-petit, le rythme s’installe, l’organisme s’habitue au sommeil fractionné et au bruit environnant, mais aussi chacun découvre la beauté de l’environnement et le bienfait de perdre contact avec tout ce qui nous entoure.

Le vent se stabilise entre Nord et NNE entre 18 et 22 noeuds. L’on se réchauffe le jour et l’on passe du temps à cuisiner et à deviser.
 

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L’on s’amuse une heure pleine avec trois dauphins qui nous marquent leur joie de naviguer de concert.  Ce sont des mammifères qui cherchent clairement le contact, et on se sent appartenir à la même famille.

L’iridium, qui nous permet de recevoir la météo et les routages, par satellite, nous permet de prendre des options et de vérifier que le vent va diminuant à l’approche de Lanzarote.

Philippe ne cache pas son plaisir à naviguer dans de telles conditions. Nicolas laisse parler son enthousiasme naturel et Tania apprécie l’aventure, l’équipe et la camaraderie grandissante. Louis ne parle guère, mais toujours à bon escient. Il laisse souvent transparaître son plaisir et ne rechigne pas à barrer plutôt que de laisser le pilote.
 

C’est qu’il faut dire qu’un pilote automatique consomme passablement d’énergie. Or nous n’alimentons nos batteries qu’avec les panneaux solaires et l’hydrogénérateur (une petite hélice que  l’on immerge à l’arrière du bateau et qui produit de l’électricité, surtout si nous avançons vite. Inconvénient elle fait un bruit continu, mais variable en intensité, pour les occupants de la cabine propriétaire….). Or il faut constamment économiser l’eau et l’énergie. Et pour produire de l’eau avec notre déssalinisateur, il nous faut de l’énergie. Vicious circle…

Nous n’avons pas de casse, malgré les vagues, le vent et les diverses manœuvres, notamment d’empennage, mais aussi de prise ou de lâcher de ris.

 La nourriture est fraîche et excellente, les nuits sont étoilées, les journées ensoleillées et nous progressons gentiment et inexorablement vers le but.
 

Fabienne se prend à réaliser, dans l’enthousiasme généralisé et malgré un torticolis attrapé sur le Guadalquivir, que cette vie est plutôt incroyable et qu’il faut l’aborder positivement, ce qu’elle manifeste de plus en plus….positivement.


Bref c’est la dernière nuit de jeudi à vendredi passée par petit vent qui nous fait décider de ne pas nous arrêter à Graciosa, petite île au nord de Lanzarote, mais de descendre le long de la côte Est de Lanzarote. Nos amis Nicolas et Philippe doivent prendre un avion tôt dimanche matin. S’arrêter à Graciosa pour en repartir presque de suite ne fait pas sens. 

Nous finissons par obtenir, avec moult efforts de charme et de persuasion par téléphone et emails une place dans la Marina de Puerto Calero, dont le manager est très empathique et « solution oriented ». Ce sera une nuit au calme avec des douches (chaudes) à volonté, un repas de Burgers autour d’une table qui ne bouge pas et une nuit de sommeil très réparatrice.  

De l’avis de tous donc, une très belle navigation que personne n’oubliera de sitôt, que ce soit en raison de l’intensité de la première nuit ou de l’accoutumance inattendue que l’on développe lors d’une navigation de plus de trois nuits au large, quand le plaisir permet de surmonter certains désagréments passagers. Et que l’on réalise à quel point un Outremer est construit solidement et intelligemment.

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/Groupe Canaries

Je me sens prêt pour le grand saut à venir. Fabienne aussi. Je l’en félicite.

 

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/Fab v