De Lanzarote à Santa Cruz

Nous avons laissé repartir un peu contre leur gré Philippe et Nicolas. Lesquels se sont empressés de nous décrire la météo hivernale et hostile qui nous attendra en Suisse. Alors profitons du ciel bleu et du soleil.

Nous sommes plutôt bien dans cette charmante marina de Puerto Calerto. Mais il nous faut avancer. L’on décide de sortir pour aller mouiller l’ancre quelques 10 milles plus bas, devant la plage de Papagayo. Nous y avons rancart avec Saga, Outremer 55 numéro 1, skippé par Loïc Helies, qui a reçu à Barcelone des équipements qui doivent être livrés à Granma et à PiedraLibre.

Or Piedra Libre et Granma ont déjà levé l’ancre et sont 130 milles plus loin à Santa Cruz, où ils attendent cette livraison pour aller plus loin encore. Granma veut rejoindre les îles du Cap Vert pour ensuite glisser vers le Sud. Piedra Libre veut faire un crochet par Dakar.

Nous allons donc faire le facteur des îles. Nous attendons Loic qui se met très brièvement à couple. Et rangeons promptement ce que l’on nous livre dans la cale avant tribord. Puis, avec la fin de la journée, nous allons rejoindre d’autres bateaux à l’ancre devant la marina de Rubicon, qui refuse chaque jour du monde.

Nous invitons pour dîner Valentine et Sébastien qui nous relatent leurs ressentis dans cette houle croisée qui avait cueilli la flotte devant Le détroit de Gibraltar, à la sortie du Guadalquivir. Apparemment un peu de casse chez certains mais surtout un inconfort généralisé devant cette houle croisée forte qui a soumis les bateaux du rallye à de déplaisantes conditions de navigation.
 

Les dames plaisantent sur ce que leurs maris leur avaient promis au niveau des vagues longues de l’Atlantique. Ce à quoi les maris rétorquent que la houle croisée est malheureusement le croisement de deux houles longues, ce qui devient effectivement très inconfortable, mais qui n’est ni fréquent ni vraiment prévisible…. Mais cela ne se produira plus après Gibraltar, juré.
 

Nous levons l’ancre le lendemain. Nous partons tranquillement vers 11.00 et mettons le moteur avant de toucher du vent, à l’extérieur de la baie, vers 13.00.

Très vite les prévisions de nos six modèles météo sont dépassés. Nous sommes entre 17 et 19 noeuds, alors que l’on nous prédisait moins de 13 noeuds pour le plus optimiste et 6/7 noeuds pour le plus pessimiste. À 120 degrés du vent notre Crazy Flavour raffole de ces airs, qui plus est sur une houle douce et venant de trois quart arrière. Nous progressons sous grande voile et génois entre 9 et 11 noeuds, sans aucun effort. Le bateau est sur des rails sous pilote, ou barré par qui veut, à tour de rôle. Louis et Tania profitent de cette dernière traversée de 130 milles, soit à peu près la distance de la Corse aux Îles du Levant.

Il nous faut compter sur une arrivée de nuit car la vent n’a pas vraiment faibli au coucher du soleil. Par prudence, nous prenons un ris, histoire de ne pas avoir à batailler de nuit, si les airs augmentent encore en force.

Mais c’est l’inverse qui se produit. Le vent se stabilise autour de 18 noeuds puis diminue à 15 noeuds. Nous lâchons le ris vers 2 heures du matin et, en vue de notre destination à Santa Cruz, nous établissons le Gennaker, le vent ayant chuté à moins de 10 noeuds.

Louis m’a réveillė pour la manœuvre du Gennaker. Nous sommes tombés en dessous de 4 noeuds et nous nous trouvons sur un rail de cargos alors qu’un immense paquebot s’annonce à l’horizon. Mieux vaut mettre le moteur et retrouver 6 noeuds de vitesse pour franchir rapidement ce fichu rail quand un navire comptant deux mille passagers montre la pointe de son étrave. Heureusement notre et son AIS se sont détectés. Il se déroute légèrement pour nous permettre de passer devant lui…

Nous arrivons finalement pile au moment du lever du soleil devant le port de Santa Cruz, au fond duquel se trouve la marina.

Je ne suis pas prêt d’oublier Fabienne qui, écouteurs sans fil sur les oreilles et confortablement installée à la barre nous a gratifiés d’un concert privé lors de son premier quart de 20.00. Je la trouve totalement en symbiose avec cet environnement mais, en plus, heureuse de s’y sentir à l’aise. Sans houle croisée cela va mieux. Et quand l’on barre toutes voiles dehors, au portant, sous les étoiles, en passant d’une île à une autre, à 9/11 noeuds, on aurait sans doute tort de se plaindre. Mais voilà. Ce n’était pas gagné d’avance.

Nous arrivons dans la Marina, en vue du Marinero qui nous guide depuis son dinghy sur une place. Je repère Piedra Libre et vois qu’entre un Swan (qui se révèlera être un magnifique Swan 68 de German Frers) et lui nous pourrions avoir suffisamment de place. Le marinero semble d’accord de tenter le coup. Nous opérons  un amarrage aux forceps, tranquillement et avec méthode. Avec le concours de chacun dans le bateau et sur chaque bateau voisin nous y parvenons en douceur.

C’est le moment de livrer à Denis, un équipier de Piedra Libre ce qui lui revient, en l’absence de son skipper Bertrand, ce dernier ayant été accompagner son ancien équipage à l’aéroport. J’ai eu le mauvais goût d’écrire sur le groupe WhatsApp de la flotte qu’après cette remise, ce serait « Piedra Livré ».

Serdar sur Granma viendra chercher son paquet plus tard.

Nous sommes invités informellement par Denis et son équipier pour un petit déjeuner sur Piedra Libre. C’est un  moment très simple, agréable par sa convivialité et le partage qu’il implique.

Nous comprendrons après coup que Denis n’est autre que Denis Horau, ancien célèbre patron du Vendée Globe, de 1993 à 2016. Chapeau bas devant tant de modestie et d’intelligence. On sent chez lui le leader naturel, mais aussi l’homme resté passionné par la voile et qui vient souvent naviguer sur son bateau à Yvoire.

Et le Vendée Globe reste l’épreuve reine du monde de la régate. 

Nous avons aussi beaucoup apprécié son acolyte Gérard Seibel, qui fut un dirigeant de Fiat France, notamment en charge du tour de France cycliste. Les deux expriment gentillesse et plaisir d’être dans ce rallye, de naviguer après une retraite méritée. 

Ils partiront finalement le lendemain pour Dakar, à trois, pour effectuer 950 milles. Ils rejoindront la flotte après la traversée de l’Atlantique. Bon vent Piedra Libre.

Voilà, c’est le terme de la deuxième étape. La suivante partira le 21 novembre à 9.00 de Santa Cruz, pour rallier la Barbade. Il nous faudra entre 15 et 20 jours pour franchir cet océan.

Le 6 novembre nous décollons de Ténériffe, pour regagner la Suisse l’espace de sept jours. Dur de laisser Crazy Flavour a l’amarre à Santa Cruz. Mais il a été nettoyé de fond en comble et l’on a mis les amarres de telle sorte qu’il ne risque rien, suffisamment à distance du ponton.

Je laisserai Fabienne vous narrer nos deux jours de découvertes terrestres sur Ténériffe et aussi son impression après 6 semaines de mer, avec le concours de deux équipages successifs. 

Ce furent de très très belles rencontres. L’on a apprécié chacun. Et l’on sent chez Tania et Louis qui repartent en avion avec nous une pointe de nostalgie, dont on espère qu’elle n’ira pas trop croissant…..