De la Martinique à Bonaire
Écrit par Vincent le 26/01/2022
L’on sent une certaine agitation sur les pontons ce samedi matin. Nous sommes censés quitter notre place à 8.00 pour permettre aux bateaux de location de prendre leur place. Et tout le monde semble en retard, sauf Biotrek qui part bien avant. Dès lors que nous sommes quatre bateaux ensemble, il va falloir décider qui part le premier. Ce sera JAMS, de nos amis Jörg et Astrid. Puis viendra notre tour, ensuite Sébastien et Valentine, sur Impossible, et enfin Suryia. J’ai un léger stress en découvrant qu’au delà du petit déjeuner il n’y a que deux pains pour une navigation de trois nuits. Nathalie se rend dare dare à la boulangerie dont elle revient en indiquant une queue de 20 personnes qui n’a pas bougé en plusieurs minutes. L’on assure Nathalie que l’on ne partira pas sans elle. Elle y retourne et revient quelques minutes plus tard avec quatre magnifiques pains. Fabienne sait que parmi mes obsessions de stock, il y a le pain et le papier toilettes. Et cela reste un contentieux permanent entre nous.
Je sens que l’équipage est un peu tendu devant cette manœuvre qui devra nous voir glisser entre le quai à tribord et Impossible à bâbord. Surtout que sur ce bateau voisin, je vois Sébastien très remonté contre un voilier qui vient de lui livrer son spi qu’il attendait depuis plusieurs semaines. Or le spi livré ne peut être gréé tel quel sur son bateau. Le voilier repartira avec. Mais Seb exprime une colère très froide. Pas le moment de faire une touchette avec son bateau.
Les amarres sont larguées. L’on glisse parfaitement en toute sérénité entre le quai et Impossible. Et l’on quitte la Marina vers 8h45. Ouf de nombreux catas attendent juste quelques dizaines de mètres plus loin que les places se libèrent.
L’on descend très doucement la baie du Marin et Fabienne en profite pour former l’équipage.
Je sens Nathalie assez anxieuse de ces jours de navigation en haute mer. Nous faisons tout pour banaliser cette première traversée et la rassurer.
Le GLYWO a prévu de nous faire naviguer de concert à la sortie du goulet. Un départ avec une ligne presque parallèle au vent sera ordonné à 10h00 qui nous verra d’abord remonter au vent jusqu’au large de l’îlet cabri, au delà de la plage des Salins, puis passer une bouée en empannant, pour redescendre ensuite vers l’île du Diamant autour de laquelle nous sommes appelés à empanner à nouveau. Ce ne sera pas une régate, mais chacun se sent un peu émoustillé à l’idée d’un départ avec décompte des dix, cinq dernières minutes.
Nous arrivons sur le lieu du départ vers 9h20, pour constater que le vent souffle à 20/22 kn. Bien plus que les 15 kn annoncés la veille. Je fais un rapide calcul de vent apparent au près, près bon plein, pour me rendre compte qu’il faudra partir avec deux ris et trinquette. Surtout qu’il y a et aura des rafales. L’on établit la Grande voile avec deux ris. Je vois le 5X Pom III qui fait des allers retours entre le rivage et la ligne qui est à 45 degrés du vent (?!), les régatiers comprendront ma perplexité. Je comprends qu’il faudra partir lancé, plutôt en haut, car face aux 5X et aux 55, nous ne tiendrons pas longtemps au près bon plein.
Nous ne déroulons la trinquette qu’à deux minutes du départ et je m’élance pour franchir la ligne en premier avec 50 à 100 mètres d’avance sur une meute d’Outremers plus toilés que nous. Ils vont plus vite, mais prennent un peu plus de risques avec les rafales. Bref, on se fait doubler au vent par POM III et passer sous le vent par SAGA et Great Circle, deux Outremer 55. Et puis Speekend un autre Outremer 51 nous passe loin sous le vent en remontant plus que nous. Il n’a pris qu’un ris et a gardé son foc, plus grand que notre trinquette. Mais je ne regrette pas mon choix. Ce n’est vraiment pas le moment d’avoir une avarie de grément.
La descente après empannage est l’occasion de mettre le génois. Mais un pressentiment me pousse à garder nos ris. Or juste après l’empannage autour de l’ile du Diamant, nous prenons un grain de 30/32 kn dans lequel je suis content d’avoir gardé des ris. Jacques me dit que sur le moment il aurait enlevé ces ris au portant. Je lui dis que notre expérience des grains nous a rendus prudents. Il ne peut qu’approuver.
Nous prenons congé les uns des autres par VHF. Certains vont dans les Grenadines. D’autres remontent vers Saint Martin et la République dominicaine. D’autres se rendent aux Roques, et nous sommes trois à faire route directe vers Bonaire.
Nous remercions par VHF également Victor qui a magistralement su organiser cette étape marquée par l’omniprésence de la Covid sur les pontons et dans les têtes, chacun redoutant l’apparition des premiers symptômes.
Nous avons pu bénéficier la veille d’un skipper’s briefing détaillé dans le cadre duquel le passage à venir du canal de Panama a été déjà effleuré. Nous savons qu’aux San Blas, l’approvisionnement en vivres sera très limité. Et aussi qu’entre Panama et Tahiti, il n’y aura plus grand chose pour constituer ce que Loic appelle justement l’épicerie du bateau. Pendant trois mois, il faudra tenir sur nos réserves, avec parfois en sus quelques légumes ou fruits frais.
L’après-midi du 22 se passe fort bien, mais nous empannons à deux reprises pour éviter des grains qui se présentent sous forme de front de nuages gris foncés allant presque jusqu’au ras de l’eau. À leur abord l’on sent des vents plus forts et plus irréguliers. Je constate que Clarence supporte mal la houle qui en résulte et que Nathalie redoute de se retrouver de quart de nuit. Jacques est légèrement nauséeux.
Je décide donc que la première nuit, les quarts se feront à deux. La première soirée en mer, la houle est assez forte et croisée, ce qui rend sportif la confection du souper. Au matin, je vois que nous avons pris une route plus Est que les autres, en particulier Suryia. Impossible, avec lequel nous avions défini la route optimale la veille du départ nous suit, ne pouvant tenir nos moyennes de vitesse. Nous correspondons par SMS via iridium. L’on retrouve le tempo et les feelings de la traversée de l’Atlantique. Mais avec une mer qui dès le deuxième jour se calme et un vent qui s’établît autour de 15 à 20 kn.
A part Clarence qui prend du temps pour s’amariner, tout le monde trouve son tempo et participe activement aux tâches de cuisine et de vaisselle. Chacun prend conscience de la vastitude de cette mer des Caraïbes et de l’infini céleste.
Et puis l’on constate une quantité importante de sargasses, cette algue qui semble proliférer dans cette région. J’ai entendu une émission sur France Inter en étant à la Martinique pour comprendre que des mesures avait permis de constater une augmentation très sensible de ces sargasses. Mais il est difficile d’en attribuer la cause, malgré plusieurs modèles scientifique et analyses.
Notre route est plutôt bonne car nous descendons directement légèrement sur la droite des Roques. L’on les verra même en passant à 10 milles. Puis nous laissons sur notre droite deux autres atolls, pour ensuite empanner et arriver au petit matin du 25 à Bonaire. Le tout avec des courants favorables de plus de 1 kn et surtout une mer plus calme, vu la présence des atolls qui cassent les vagues.
Pourquoi ne pas nous arrêter aux Roques, qui est réputé être un paradis sur terre ? Plusieurs raisons. D’abord notre bateau n’est pas assuré au Venezuela. Nous ne sommes pas prêts à prendre le moindre risque à cet égard.
Ensuite, Bonaire est très strict en matière de lutte contre la COVID. La veille de notre départ, chacun des membres de l’équipage a dû envoyer par courrier mail à Bonaire une copie de ses certificats de vaccination et une copie du résultat du test PCR effectué au Marin. Si l’on s’arrête aux Roques, je crois qu’il faudra tout recommencer. Pas sûr que sur cette île l’on puisse refaire des tests PCR. Donc si l’on veut aller à Bonaire, pas de Roques…
C’est très regrettable, mais c’est la réalité réglementaire qui prédomine désormais dans la séquence des destinations.
Nous avons fêté le 24 nos trente ans de mariage. L’on a trinqué avec une bonne bouteille de champagne et évoqué quelques jalons de notre parcours conjugal. Le temps passe décidément vite. Je compose dans la foulée le blog interview, que Fabienne veut quand même relire, et très légèrement modifier en le complétant, avant parution.
Les deux nuits qui suivent la première, je mets en place des quarts de deux heures, où chacun reste seul sur le pont mais peut réveiller le suivant. Cela permet 8 heures de sommeil. Et tout le monde à bord a apprécié.
Voilà, nous repérons Suryia qui nous a précédé d’une heure dans le mouillage devant Bonaire. Nous prenons contact avec eux par VHF pour savoir s’il reste des bouées disponibles. Jost et son fils descendent sur leur dinghy pour nous aider à prendre nos bouées. Nous sommes très touchés de ce geste. Après une troisième nuit en mer, plutôt que d’aller se coucher, ils viennent nous aider et nous faire gagner du temps. C’est juste touchant et vraiment apprécié.
Voilà le temps d’une brève sieste entre sept heures et neuf heures du matin. Nous irons ensuite dans la Marina puis faire des formalités. Ce que le prochain blog vous narrera.
Encore un mot. Nous avons fait environ 465 milles (depuis le rocher du Diamant ) en deux jours et 18h45. Le modèle météo choisi nous avait pronostiqué 2 jours et 18 heures. Pas mal du tout. Je commence à pouvoir être plus crédible dans mes estimations.
A plus, je vous quitte, devinez pourquoi : la lessive. La marina la fait faire pour nous. Mais je dois la remettre de suite. Décidément j’aime Bonaire…..