De Gibraltar à Cadiz

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Nous sommes arrivés dans la baie de Gibraltar, la nuit d’avant, en provenance de Motril après une longue balade un peu improvisée que j’ai déjà relatée.

La matinée est consacrée à aller chercher du diesel sous douane et à entrer dans la marina. Dans une vie normale, ces choses devraient prendre quelques minutes. Il n’en est rien. Ici tout se passe plus lentement et nécessite patience et temps.

Il faut d’abord lever l’ancre, car nous sommes devant la marina, côté espagnol, et franchir la frontière virtuelle pour gagner Gibraltar. L’endroit est insolite. On est en bout de piste de l’aéroport. Et il faut ensuite contourner le bout de la piste pour la longer jusqu’aux bâtiments des douanes, immédiatement suivis de deux stations services. Le prix du diesel y est à moitié prix du reste de la Méditerranée occidentale. Pas de taxe, apparemment. Il est possible de payer avec une carte de crédit en pounds. Lorsque l’on demande si les deux femmes à bord peuvent débarquer pour éviter de revenir ensuite à pied de la marina, la réponse est claire. Interdit de débarquer depuis ce ponton à Gibraltar. Sous peine d’une sanction pouvant aller jusqu’à 6 mois de prison.

Nous intégrons la marina. Il faut plus de trente minutes de paperasses et de remises de documents pour que la place nous soit attribuée. C’est celle de Vitamine, parti ce matin avec Nop Nop, direction Cadiz. On finirait presque par croire que Lionel et Jeanne prennent la poudre d’escampette chaque fois qu’ils nous voient les rattraper. Nous voilà installés. Les femmes décrètent que ce sera une journée shopping, vu les conditions fiscales indirectes sans concurrence sur la vente de détail. Olivier et Pascal profitent de l’eau à disposition sur le ponton, pour nettoyer l’extérieur du bateau. Il faut savoir que le sel est l’ennemi, des cordages, des surfaces, des chromes etc…. Si l’on veut préserver son bien flottant, il faut après chaque trajet, le rincer, voire le brosser à grandes eaux.

Pendant ce temps, j’essaie de redémarrer mon ordinateur de bord. Rien ne marche plus. Windows n’arrive plus à ouvrir une session. C’est assez grave, surtout que l’on n’arrive pas à y remédier. Je consulte Olivier. On essaie sans résultat diverses stratégies. Il va falloir sans doute remplacer ce PC vieux de plus de 8 ans, dont les programmes n’ont pas tous été modernisés….

L’après-midi est consacrée à la visite de Gibraltar. De la marina située en Espagne, il faut à pied franchir un poste de douane double. C’est bête à dire, mais l’on n’a plus l’habitude de franchir des frontières en passant devant des guérites. Ensuite, il faut prendre un bus, qui traverse la piste d’atterrissage entre deux avions. C’est assez inhabituel. Puis l’on arrive dans cette colonie britannique, dans laquelle plus de 30’000 personnes ont élu domicile, dont une forte majorité pour des raisons fiscales.

La rue centrale, piétonne, aligne les boutiques centrées sur trois types de produit. L’alcool, les fringues et les parfums. On se dirait un peu dans un duty free géant. Il y a certes çà et là quelques pubs irlandais ou écossais, et quelques terasses, mais chaque rez-de-chaussée compte une ou plusieurs échoppes. Et l’on y parle anglais, parfois espagnol, mais surtout toutes les langues véhiculées par les touristes à l’affût d’aubaines. Le Covid a laissé des traces, mais ici c’est surtout la fièvre acheteuse. A laquelle Blanche et Fabienne ont eu quelques difficultés à résister. Diantre, elles n’étaient pas vaccinées.

Le soir approche déjà. Nous nous rendons dans un excellent restaurant relativement proche de la marina, spécialisé dans les grillades sur feux de bois. L’ambiance est très sympa,. C’est déjà plein à 20.30 et ils n’acceptent pas de réservations. Merci à Lionel et Jeanne de cette bonne adresse. On vous pardonne de nous avoir précédés d’un jour sur la route de Cadiz.

La traversée qui s’annonce est réputée délicate dans le monde vélique. Il y a dans ce détroit de Gibraltar, un fort courant qui varie en force et direction en fonction de la marée, donc de l’heure, mais aussi d’autres facteurs. Définir l’heure optimale de départ est mission impossible, car il faut en plus tenir compte du vent, qui risque de ne pas tenir toute la journée, et surtout la soirée. Or il faut compter environ 70 milles, dont une partie contre le courant. Donc si certains partiront à la première heure, vers 8.30, d’autres estiment que les courant seront optimaux vers 17.00.

La météo oscille selon les modèles entre 10/12 et 25 noeuds de vent. Il sera portant. C’est l’essentiel. On s’adaptera en fonction de la force du vent.

Après discussion avec Sébastien, du catamaran Impossible, nous arrivons à la conclusion que notre entrée proprement dite dans le détroit devra intervenir vers 11.00. On aura du courant contraire, mais ce sera jouable.

Surprise le premier tronçon  que nous abordons un peu anxieux, nous voit au moteur avec les voiles et un courant favorable proche de la côte espagnole. Puis soudain, le vent se lève graduellement. Il passe rapidement à 12/13 noeuds et même proche de la côte, le courant contraire se marque, mais seulement entre seulement 0.5 et 1 noeud. Comme le vent est arrière, nous pensons que ce courant ne sera pas vraiment problématique. Mais notre cata ne peut rester plein vent arrière. Il doit garder une angle idéal au vent (réel) de 150 degrés minimum. Ce qui nous oblige à un parcours en zigzag avec des angles de l’ordre de 60 degrés. Nous nous aventurons donc forcément un peu plus au large. Là, le vent monte rapidement à plus de 18 noeuds, et surtout, le courant contraire monte. Notre vitesse surface nous indique 7 à 8 noeuds. Dans le même temps le compteur qui mesure sur la base du GPS notre vitesse sur le fond, nous indique une vitesse de 4.5 à 5.5 noeuds. Pas de doute, nous sommes sur un tapis roulant qui nous pousse vers notre port de départ. Il va falloir maximaliser notre vitesse pour surpasser ce courant contraire.

S’ensuivent de multiples empannages pour essayer de trouver moins de courant contraire à la côte. Et nous nous rapprochons progressivement de Tarifa, qui marque l’entrée Ouest du détroit, qu’il faudra laisser à Tribord pour nous diriger ensuite vers le Nord Ouest. en suivant la côte jusque vers Cadiz. Le problème c’est que vers Tarifa, le courant est à son maximum, probablement autour de trois noeuds, soit près de la moitié de notre vitesse. Toute cette eau qui s’engouffre dans le détroit, crée quelques tourbillons. Et le vent arrière dans un sens opposé crée des vagues plus fortes que celles que l’on aurait avec cette force de vent.

La discussion s’engage. A quel moment empanner vers la fin du détroit, pour passer Tarifa ? Quel angle doit on prendre pour tenir compte du courant ?

Imaginez-vous devant un passage clouté. Vous attendez à un feu pour piétons de passer devant des voitures à l’arrêt au feu, après la moitié du passage piéton.  Imaginez que ce passage piéton cache un tapis roulant, dans le sens de la rue, qui va immanquablement vous pousser contre les voitures lorsque vous traverserez.

Vous allez donc partir le plus haut possible du passage piéton et surtout ne pas ralentir, voire accélérer pendant cette traversée de la chaussée. Si vous choisissez bien votre point de départ et que vous gardez votre vitesse, vous devriez arriver sain et sauf sur le trottoir en face.

En revanche si vous sous-estimez la vitesse du tapis roulant et/ou si vous ralentissez chemin faisant vous finirez sur le pare choc des voitures qui attendent de partir au feu rouge.

Eh bien les pare chocs des voitures c’est Tarifa, et nous, nous attendons d’être certains d’être assez haut pour pouvoir nous engager sur ce passage piéton qui va nous pousser latéralement sur Tarifa.

Nous empannons avec un angle de 90 degrés sur Tarifa, après avoir suivi le conseil de Pascal d’attendre encore quelques centaines de mètres. Fabienne prend la barre. elle comprend parfaitement le jeu subtil qui s’engage…

Si l’on met le cap un peu plus vers le bas du passage piéton, l’on va plus vite, mais on est presque sûr de finir sur Tarifa. Et si l’on va trop dans l’autre sens, l’on perd de la vitesse et le courant nous poussera sur …Tarifa. Il faut donc moyenner et surtout optimiser la course et la vitesse du bateau.

Une demi-heure plus tard, on a l’impression que l’on sort un peu du courant. On le mesure à environ 1.5 noeuds. Cela va être gagné. Ce le sera assez facilement en fait. On évite les pares chocs de Tarifa avec une certaine marge. On aura le courant presque de face après Tarifa. C’est plus facile. Et en plus le vent monte à 24 noeuds. Prudents, nous roulons le génois et établissons peu après un foc, qui devrait nous pour mettre de supporter un vent encore plus fort.

Il est fréquent que dans cette région les vents montent à plus de 30 noeuds. Et que dans le milieu du détroit, l’on dépasse franchement les 35 noeuds.

Bref si l’on a le courant et le vent contre soi, il parait difficile, voire impossible de passer ce fameux détroit de Gibraltar.

Nous continuons de zigzaguer en remontant le long des côtes. Devant nous Manacà et Splendid C. Derrière nous Cachalot, Impossible et Granma. On communique par VHF et par WhatsApp. Cela permet à chacun de mieux comprendre l’évolution des vents et courants sur le plan d’eau.

Nous longeons la baie de Barbate. Les historiens s’accordent pour estimer que c’est dans cette région que les wisigoths d’Alberic et les berbères de Tarit se sont affrontées le 19 juillet 711 dans une bataille dite de Guadalete qui devait décider du sort de cette région d’Espagne. Albéric fut tué et les musulmans allaient envahir et dominer la péninsule ibérique pendant huit cent ans. Tarit avait brulé ses vaisseaux après la prise de Gibraltar, pour faire comprendre à ses hommes qu’il n’y aurait pas de retour possible. Il donnera d’ailleurs son nom au rocher (Jamal = montagne ), Jamal Tarik deviendra graduellement Gibraltar.

C’est aussi dans cette région que l’amiral Nelson entreprit une manœuvre désespérée pour l’emporter dans la bataille marine contre la marine française qui deviendra célèbre sous son appellation de Trafalgar. Il y a décidément sur cette terre des lieux stratégiques qui amènent nécessairement les armées à s’y confronter

Le vent tient jusqu’au coucher du soleil, puis devient insignifiant. Nous finissons au moteur, suivi de près par Cachalot, qui nous double à l’approche finale. Je le remercie, car arriver de nuit à Cadiz n’est pas simple. Or Andrea connaît l’endroit et m’invite à le suivre. Nous rentrons dans la petite marina de Porto American, et sommes accueillis par Jacques qui vient d’arriver une heure avant avec Manacà. La manœuvre est délicate vu le peu de place, mais l’absence de vent la rend aisée.

L’approche de Cadiz par la mer fut magnifique et nous découvrions progressivement les contours du nouveau pont haubanné qui relie cette ville de légende au continent.

Il est 22.30. Nous avons le sentiment d’avoir franchi un passage important de notre itinéraire. Et après avoir aidé Sébastien, arrivé 45 minutes plus tard, à amarrer, je m’endors après minuit, certes fatigué mais avec le sentiment que Cadiz va nous révéler ses trésors d’architecture et son charme.

Ouf, c’est fait. 

PS à tous ceux - mi goguenards, mi impatients- qui s’attendaient à nous voir parler des orques dans cette région…. Point d’orques, ni devant ni derrière. Ils auraient migré. Le net rapporte qu’ils s’en seraient pris, proches du Finistère espagnol, à certains participants à la Mini-Transat, entraînant quelques abandons. Je n’ose m’imaginer sur un bateau de 6.5 mètres face à un orque qui veut faire mumuse….