Cuna Islands/ San Blas
Écrit par Vincent le 16/02/2022
Nous sommes aux San Blas…Avec Nathalie et Clarence.
Pourquoi ne pas se l’avouer ? Les San Blas, cela a toujours été un peu un rêve dans le coin secret de mes envies. De très longue date.
D’abord c’est inaccessible. Ou presque. Il faut venir en bateau des îles hollandaises ABC, ou de Colombie. Il n’y a pratiquement pas de liaison terrestre. Et c’est un endroit que peu d’habitants du Panama visitent.
Ensuite c’est un peuple amérindien qui occupe ces confettis jetés de çà et de là, entre ciel et mer. On y recense 340 îles. La comparaison avec les îles suspendues en l’air du film Avatar vient immédiatement à l’esprit. Ce peuple essaie de survivre à l’écart, tout en cédant apparemment progressivement au contact de la civilisation moderne, même s’ils prétendent résister. Leur langue « guna » leur est propre, comme certaines coutumes que l’on retrouve chez d’autres peuples indiens d’Amérique, notamment les Inuits. Ils effectuent des tissages assez réussis et très colorés, nommés Mollas. Dont certains nécessitent plusieurs mois de travail. Ils en font un commerce important avec les gens qui les visitent.
Surtout, c’est probablement un espace en voie de disparition, vu la montée inéluctable des eaux. Il y a urgence à le visiter avant qu’il ne disparaisse… Cela pourrait passer pour indécent ou cynique de le dire de la sorte. Mais vu la lenteur avec laquelle les objectifs climatiques sont mis en œuvre, il n’y a plus grand espoir de sauver ces îles d’un naufrage hélas programmé. Cela donne d’ailleurs à réfléchir sur le sort de dizaines, voire de centaines de millions de personnes qui résident proches du niveau des océans dans le monde et qui devront prochainement déplacer leur habitat.
Enfin, c’est un avant goût de ce qui devrait nous attendre dans le Pacifique. Plages de sable, palmiers, barrières de corail et mouillages de rêve. L’on verra si c’est « comme sur la photo ».
Nous avons « perdu » Jacques Lacour. Il a pris l’avion le 4 février au soir pour Genève, via Amsterdam. Je vous rassure il est bien revenu, à temps pour une importante tâche au sein de son employeur. Il ne devait pas rater son avion. A l’heure où vous lisez ces lignes il déprime déjà sec, back to Geneva.
Ce fidèle ami depuis plus de quarante cinq ans ne m’a pas déçu. Il a été tel que je l’attendais et le pressentais, alors que nous ne nous voyons guère en Suisse. Mais l’amitié reste intacte avec ce type d’amis. Elle revient à la vie dans l’heure qui suit les retrouvailles.
Jacques fut mis à contribution d’emblée. Il a tout revu et réparé. J’avais préparé une to do list. Il l’a amplifiée. Avec le sourire et l’entrain qui le caractérise, il a collé, coupé, ligaturé, bref réparé et remis en état.
J’ai aimé en Martinique ces cinq jours de compagnonnage avec ce grand frère, qui avait au passage beaucoup de choses à exprimer et recherchait la contradiction verbale à ces jaillissements de pensée philosophique, un peu orientée vers la quête du bonheur. J’y reviendrai dans un futur nouveau chapitre, attendu par tous, sur « réussir sa vie ».
Jacques, pendant les huit jours et nuits de navigation qui nous ont amenés au Panama, a toujours eu la banane. Un sourire qu’il est parfois allé jusqu’à cacher derrière un masque « covid » pour éviter de prendre un coup de soleil sur sa peau de rouquin, lorsqu’il était à la barre. J’ai les photos. Je les vendrai au plus offrant. Les enchères sont ouvertes. Jacques tu pourras surenchérir.
Chaque quart de nuit est pour Jacques un moment de plaisir et d’émerveillement, même le fameux quart du zombie qui dure de 1.00 à 3.00 du matin. Il repère les constellations, chante en suivant les paroles sur IPad/karaoké, règle le bateau et s’amuse à chercher des bateaux croisant à proximité sur l’AIS. Bref un enthousiasme en permanence, parfois quasi juvénile, mais qui est en réalité celui d’un très grand sage.
Nous avons quitté la Marina tôt le matin du 5 février, avec le pincement de laisser l’un des nôtres sur le ponton. Très vite les manœuvres nous ont obligés à nous concentrer sur la bonne marche du bateau. Gréer la Grande Voile avec un ris et dérouler la trinquette. L’on va essayer de rallier les San Blas à la voile, sans s’aider au moteur. Par 22kn apparent, à 45 degrés du vent, Crazy Flavour montre qu’il aime se jouer des vagues et qu’il remonte très correctement contre le vent grâce à ses dérives. Il bondit dans la forte houle avec force et agilité. Et il tient un cap qui nous permettra même d’abattre de 10, puis vingt degrés sur la fin. En route nous croisons des voiliers qui font route contraire. Je pense qu’il n’est pas si fréquent que quelqu’un remonte contre le vent depuis notre Marina, ou plus loin, depuis le canal du Panama. La majorité des bateaux vient très probablement de l’étranger et arrive au portant sur ces côtes.
Nous avons pour objectif d’arriver à la Hollandes Cayes, L’une des premières îles de l’archipel en arrivant par l’Ouest. C’est un groupe d’îlots assez éloigné de la côte. Et réputé pratiquement inhabités. Nous y arrivons comme prévu vers 14.30. Et nous nous empressons de nous ancrer, par 17 mètres de fond.
Nous ne manquerons pas de vous narrer l’arrivée et la suite de nos aventures sur ce groupement d’îlots, où l’on a furieusement l’impression d’être déjà tout au bout du monde.
A ce stade, je me dis qu’il est temps de décompresser quelque peu, ce qu’un ami m’a récemment suggéré.
Nous avons accompli un presque demi-Atlantique depuis la Martinique, certes avec un arrêt bienvenu de trois jours à Bonaire. Mais ces périodes de navigation sont malgré tout usantes, même si c’est par de très belles conditions de mer et de vent.
Il n’y a eu qu’une nuit au large de la Colombie où nous avons eu un vent assez fort, avec des pointes à 28 puis 30 kn, mais toujours en vent arrière. Le reste fut extrêmement plaisant et apprécié par tous. Plus nous nous rapprochions du Panama et plus le vent diminuait en intensité.
J’ai vécu, en finale, pendant mon quart un moment d’attente peu avant l’arrivée vers la marina, où j’ai dû nous ralentir à l’extrême, pour ne pas arriver de nuit. J’ai dû baisser la Grande Voile et rouler la moitié de la trinquette pour aller à moins de 3 kn, sur les dix derniers milles. Apprentissage de la lenteur en heure matutinale. Mieux que le slow food, le slow sailing…
Je vous laisse depuis mon quatrième mouillage inouï au milieu d’un archipel incroyable. Je pense à vous dans le froid et l’hiver. Mais je n’insiste pas.
Merci enfin de vos nombreuses réactions suite à l’annonce de la mise en vente de notre fidèle Crazy. Vous avez tous compris notre choix, et les motivations de celui-ci. Ce sera pour cet été. Il nous reste encore quelques milliers de milles à parcourir, jusqu’à la Polynésie. Qui a intérêt à tenir ses promesses. Le San Blas met la barre assez haut….