Ceux qui partent…

Anaho

C’est devenu une tradition sur notre blog de prendre congé de ceux qui nous ont quittés.

Image
Bretton

Claude et Thierry Bretton sont venus à plusieurs reprises sur le Crazy Flavour.

La première fois à Sète, lors de la prise en mains du bateau en mars 2016.

La deuxième fois entre Sicile et Tunisie. La troisième entre Pouilles et îles ioniennes grecques.

La quatrième fut la plus lointaine, la plus longue, la plus exotique et, sans doute, la plus périlleuse.

 

On les a sentis motivés et ouverts à l’inconnu, comme d’habitude.  Nous les avons tous vus vibrer d’emblée de ce qu’ils découvraient à l’arrivée à Nuku Hiva, aux Marquises.

 

Pas le temps de trop paresser ni d’absorber le décalage horaire. Départ direction Anaho, sur la côte N pour une immersion dans un paysage de beauté accélérée. Ils ont tout aimé et nous l’ont dit.

 

Chaque matin, Claude se lève avant l’aube, alors que le soleil va apparaître. Exercices sur le trampoline, ceux qui lui donnent cette forme physique éclatante. Ensuite baignade. Puis mise en place de la table du déjeuner pour tous. Il faut la voir déguster les fruits des Marquises pour comprendre sa soif de nature et saisir son appétit des produits qu’elle génère.

 

Claude n’est jamais dans le show off, mais toujours là, où et quand il faut. Discrète, intelligente et efficace. En sobriété et en amitié. En constance et pas en dents de scie. La réplique est toutefois juste, parfois cinglante.

 

Thierry est celui qui sait apprécier tout ce qui l’entoure. En permanence et en silence. Parfois un sifflement discret qui lui permet de marquer son goût pour l’endroit, pour la situation mais aussi pour l’importance de l’information reçue.

 

Discret lui aussi, il est d’une compétence technique infinie. Pas de doute, il sait réparer. Et s’il ne sait pas, il cherche et trouve la solution et la parade à tout dysfonctionnement. Il est aussi dans le soutien. Et en parfaite harmonie avec Claude. Bel exemple de couple de longue durée.

 

Nos deux amis ont dit avoir apprécié cette aventure en Polynésie, y compris la fin tumultueuse. Elle leur a permis de se dépasser. De se découvrir des forces intérieures insoupçonnées. Et de finir malgré tout sans séquelle ni mauvaise impression. Qu’ils en soient vivement remerciés.

 

Ils auront besoin de temps, de calme et de routine pour se remettre. Mais ils reviendront en Polynésie, c’est sûr.

Image
Bordier

Chantal a surpris tout le monde, y compris elle-même. Elle ne se serait jamais imaginée dépasser tous ses repères, outrepasser toutes ses limites, quitter sa zone de confort et mesurer l’étendue de sa très grande résilience.

 

D’abord en visitant une contrée inconnue. Complètement inconnue, purement maritime et à l’autre bout du monde.

 

Ensuite, en appréhendant pour la première fois de son existence la navigation de nuit sur un catamaran, loin de toute terre. Et pas une seule nuit, mais trois consécutives. Perte de repères. Perte de la maîtrise de son environnement qui ne lui obéit plus, chose dont elle n’est guère familière.

 

Eh bien, je crois pouvoir affirmer, même si elle vous dira peut être le contraire, que Chantal a apprécié ce qui lui arrivait. Aimé ce dépassement, apprécié le fait de renverser la table de ses certitudes et limites.

Surtout elle a découvert en Pierre, son mari de trente ans, un homme de ressources et de défis. Un homme qui savait contredire la fatalité et faire un pied de nez à la météo, tout en gardant son sens de l’humour. J’y reviendrai.

 

Chantal est une personne qui aime parler, commenter, recueillir des confidences et nourrir une discussion. Avec elle, la bonne humeur est au rendez-vous tous les jours, de même que l’intelligence émotionnelle. Alors même qu’elle était parfois en situation d’inconfort, jamais elle n’a blâmé quiconque. Et toujours elle a su lier contact avec les personnes rencontrées, qui ont, nombreuses et souvent, été invitées par le skipper à envahir le bateau et ses quelques mètres carrés de surface.

 

Et puis cette maîtrise permanente de l’inventaire. Le skipper mi-inquiet, mi-rassuré ne pouvait y croire. Comment faisait-elle ? Et cette manière de découper le grapefruit succulent des Marquises, quel talent !

 

Bon Chantal, c’est pour quand le cap Horn et l’Antarctique ? Pierre est partant. Il n’a juste pas encore osé t’en parler.

Image
Pierre

 

Il reste justement à parler de Pierre. Ce sera difficile de restituer trois mois entiers ensemble à co-gérer la progression de Crazy Flavour, de Panama à Tahiti.

 

Parce que, d’abord, il a voulu cette coupure, ce sabbatical, comme personne avant ou après lui sur ce 51 pieds à deux coques.

 

Parce qu’ensuite, Il avait besoin de se ressourcer, de se poser pour jouir de la vue, du feeling du vent dans les voiles, de se sentir avancer vite sur l’eau.

 

De tous ceux qui sont passés sur ce bateau, Pierre est, avec Christophe peut-être, celui qui a le plus aimé barrer, régler, bref faire marcher ce catamaran.

 

Ce bord unique de trois milles NM entre Galápagos et Marquises, il ne l’oubliera jamais. Parce que c’est le rêve de quiconque qui navigue vraiment. Et la performance au final de Crazy Flavour, notamment cette fameuse option Nord, lui doit beaucoup, lui qui a si souvent voulu barrer et faire mieux que le pilote automatique.

 

Pierre c’est le boulanger du bord, jusqu’à ce que Claude lui succède, vers la fin... Opiniâtre volontaire, il a surmonté quelques déceptions initiales, blâmé la farine puis la levure, et finalement il nous a livré des pièces exceptionnelles, notamment des tresses que l’équipage n’oubliera jamais.

 

Je passe sous silence ses blagues à deux balles, surtout parce que je pense qu’il aurait matière à répliquer à l’endroit de son skipper, dont le sens de l’humour est souvent critiqué… on se comprend entre vrais amis.

 

Pierre est un sentimental. Pudique mais réel. Qui apprécie que l’on fonctionne entre mâles, quand la performance est requise et que les nuits en mer se succèdent. Mais qui goûte aussi la présence féminine, lors qu’elle rime avec passage de crique en crique, bref le fameux cabotage… que nos épouses disent tant aimer.

 

Ces navigations de nuit à trois couples lui ont permis de montrer à tous, et surtout à Chantal, la pleine maîtrise qu’il a d’un tel exercice et surtout le plaisir -sans fards- que cela lui procurait...Je pense même que ce bonheur rayonnant fut hautement contagieux.

 

Pierre c’est le second parfait. Celui dont peut rêver tout skipper en mer. Qui prend le relai s’il le faut. Il l‘a fantastiquement fait.

 

Bref, je viens de me rendre compte, alors qu’il est à peine parti, qu’il me manque déjà.

 

Pourvu que leur retour ne soit pas trop difficile à vivre.

 

Voilà, un équipage de rêve à pris le large. Il est retourné en Helvétie. Avant nous.

 

Il faudra comme à chaque fois le remplacer. Former, enseigner, répondre aux questions comme « où se trouve ceci ou cela » ? C’est normal et c’est sain.

 

Mais cette fois, je crois que l’on était proche de la perfection.

 

Adieu les quatre, vous qui avez parcouru ces Marquises, si chères à Jacques Brel, on vous aimait bien………