Cap au Sud Ouest d’abord
Écrit par Vincent le 02/04/2022
Je vous laisse imaginer ou plutôt concevoir où nous sommes. Dans le plus grand océan du monde et celui le moins peuplé de terres émergeantes. Ensuite, nous sommes quatre sur un bateau de 15 mètres trente de long, qui doit effectuer sans escales 3000 NM, soit environ 5500km. Nous nous relayons la nuit en quarts de deux heures chacun, seul. Nous portons notre gilet et n’avons pas le droit de sortir d’un périmètre sécure sans d’abord réveiller celui qui nous succédera pour le quart suivant. Cet océan n’est pas toujours pacifique. En ce moment, j’écris cet article avec une tablette sur les genoux, depuis le carré extérieur, il est 23.30. J’ai en permanence un œil sur les instruments, car nous filons à vive allure. Environ 9 à10 kn. nous avons toute la toile. Et je dois vérifier en continu que nous ne franchissons pas un seuil au-delà duquel il faudrait réduire la toile. Les vents sont d’ailleurs plutôt en train de se calmer. Notre communication avec le monde externe est limitée à l’iridium qui permet d’envoyer et recevoir des e-mails et SMS brefs, de téléphoner, et de recevoir des cartes météos et routages. Mais nous pouvons aussi charger la carte (que vous avez sur le blog) qui nous permet de voir la position et l’évolution de nos concurrents du GLYWO. Nous sommes « flashés » par un satellite toutes les heures et tout le monde peut donc voir notre vitesse et notre cap réel. Nous avons également sur nos instruments, en temps réel, grâce au GPS, notre position, notre vitesse et notre dérive éventuelle. Enfin nous avons à disposition ce fameux outil qu’est l’AIS qui nous permet, un peu comme un radar, de percevoir à distance les bateaux autour de nous, s’ils sont assez proches et font une route convergente, de sorte à nous permettre de changer de cap ou de vitesse pour éviter une collision. La nuit, nous ne voyons goutte, surtout si comme maintenant, il n’y a pas de lune. Mais le ciel est étoilé, avec quelques nuages. A l’instant j’ai dû déposer ma tablette et vérifier que toutes les écoutilles étaient fermées, car nous venons de prendre un petite pluie pas bien méchante. Nous sommes bien partis, la veille à midi, de Santa Cruz. Tous les monocoques et deux Outremers (Vitamine et nous) ont franchi la ligne de départ par un temps extrêmement calme. Il a fallu ensuite se rendre à l’évidence qu’après une brève brise, le moteur devait être sollicité. Nous étions très proches les uns des autres et cela nous permettait de communiquer entre nous sur le canal 72 de la VHF. Ce matin, le vent a commencé à augmenter et nous avons opté pour une route plus Sud que les autres, ce qui nous a fait faire du près, contre une mer en formation. Le vent apparent de plus en plus fort nous a amené à prendre un ris et mettre la trinquette en lieu et place de notre génois. L’après-midi fut assez confrontant, avec le bateau qui heurtait la vague à 8/9 Kn, ce qui provoque bruit et inconfort. Nous avons pu progressivement ouvrir, car le vent a tourné dans le bon sens, soit vers l’Est. Mais depuis la fin de l’après midi, le vent a diminué et nous avons aussi décidé de viser un peu plus SW, en soirée. C’est plus confortable de descendre dans le sens des vagues et du vent. A bord la vie s’organise entre sommeil, repas, discussions bilatérales ou multilatérales. Il y a une envie forte et générale de consommer les produits frais avant qu’ils ne soient périmés. PIerre fait du pain. Avec des fortunes diverses. Mais cela s’améliore à chaque fournée. On l’encourage. Lorsque le bateau bouge beaucoup, comme ce fut le cas ce jour, le mal de mer peut survenir. Patrick a du limiter son activité, et aller dormir, après prise d’un surgeron. Il ne se sentait pas en forme. Il doit probablement s’amariner davantage au vu des relativement fortes conditions de mer et d’allure. Cette étape a d’emblée été placée sous le signe des incidents techniques. La toilette propriétaire ne se vidait plus et ce subitement. Un grand classique en mer. Christophe et moi avons pu bénéficier d’un apport technique immédiat de Malik, l’employé d’Outremer en charge de la plomberie et des sanitaires. Par change j’avais son portable. On a même pu brancher nos portables en vidéo. Il a pu nous donner le guidage nécessaire qui nous a permis de tout réparer juste après le passage de la ligne de départ. Une bonne chose de faite par temps alors calme et alors que nous avions encore de la 4G. Ensuite pour une raison inexpliquée, nous avons perdu notre balancine. Il faudra évidemment la remplacer à l’étape. Nous avons trouvé le moyen de prendre et d’enlever des ris sans balancine, en utilisant le troisième ris pour tenir la chute de la voile. Voilà, cela ne veut pas dire que l’on s’attende forcément à d’autres incidents. Notre intention est d’arriver le plus vite possible aux Marquises pour y retrouver nos quatre épouses (je vous rassure, une par équipier) qui nous attendent à Hiva Oa. Mais à ce stade, il est difficile de prévoir le temps qu’il nous faudra effectivement. Probablement 17 à 18 jours. Et nous devrons encore rallier Hiva Oa, depuis Nukku Hiva, qui est le seul port d’entrée autorisé pour les Marquises, avec l’entrée en vigueur d’une nouvelle réglementation liée à la Covid. Voilà, je m’abstiens de toute digression philosophique du type réussir sa vie ou droit au bonheur. Cela viendra certainement en cours de traversés. Cette nuit, mon intention était davantage de vous faire vivre ce qui nous entoure, même si le bruit permanent du bateau est sans doute difficile à restituer. Je sais que certains nous envient et d’autres pas, voire pas du tout. C’est le propre de l’homme (et de la femme) de vouloir en permanence repousser ses propres limites. Nous voilà les quatre confrontés à du jamais vécu (par nous). Mais que nous sommes tous prêts à affronter. Et que nous surmonterons. Bonne nuit.