Bouquet d’impressions après huit mois d’odyssée
Écrit par Fabienne le 10/04/2022
Ce qui me vient à l’esprit de prime abord, c’est que cette odyssée est un voyage et non des vacances.
Un voyage est une action et non une pause. C’est une découverte de lieux, une rencontre avec des personnes, une coexistence avec des éléments comme l’eau et le vent, une appréhension différente de l’univers, voir une redécouverte de tout cela, pêle-mêle. Je croyais connaître des lieux, des gens et tout s’est révélé de manière différente au fil de l’eau.
C’est aussi un voyage intérieur. Comment vais-je me comporter face à tel danger, dans telle situation ? Suis-je altruiste ou égo centrée ? Peut-on compter sur moi ? Suis-je un apport, une ressource ?
Combien de questions et d’hypothèses n’ai-je pas envisagées avant le départ, imaginant mille situations dans lesquelles je paniquerai, j’aurai peur. J’avais tenté d’ailleurs d’élaborer des solutions assez drastiques pour me maîtriser que j’avais confiées à Vincent comme m’assommer, me ligoter et me réveiller plus tard, me coller devant le hublot des images de montagnes pour me faire croire que je ne suis plus en mer, me faire absorber un somnifère, etc. Le capitaine n’a pas eu besoin de recourir à de telles méthodes et j’ai trouvé les ressources en moi pour faire face.
Un jour et une nuit sans voir la terre, c’est la seule durée de traversée que j’avais expérimentée avant le départ. Ce fut un allongement progressif au cours de ce voyage à nouveau un jour et une nuit, puis quatre jours et trois nuits, puis six jours et cinq nuits, avant de me confronter à la traversée de l’Atlantique qui a duré 17 jours et nuits.
Jamais je n’avais imaginé que je traverserais cet océan. J’étais sûre de vouloir attendre Vincent et le Crazy Flavour sur la plage d’un hôtel à la Barbade, en scrutant l’horizon pour les apercevoir en sirotant un cocktail de fruits. Notre fils Lionel et sa compagne Claude-Aline ont décidé de venir et cela a bouleversé mes plans. Je ne pouvais plus ne pas y prendre part. Était-ce pour calmer mon anxiété, pour les protéger, pour ne pas regretter ? Je ne le saurai jamais. Probablement un peu de tout cela. Puis mon amie Bettina m’a dit que si j’étais partante, elle se sentait prête à relever aussi le défi et à accompagner son mari Robin dans cette aventure.
Je devais être à la hauteur pour ne pas perturber Claude-Aline dans sa relation avec Lionel et pour donner confiance à Bettina qui me suivait dans cette aventure. Que de défis à relever !
Ce qui m’a d’abord étonnée, c’est que cela ne m’a plus du tout dérangée, perturbée ou effrayée de ne plus voir la terre et ce très rapidement. J’ai compris que souvent il est impossible de l’aborder, que s’en approcher simplement peut être dangereux et j’ai totalement intégré cet élément liquide tout autour de nous, sans plus m’en sentir menacée.
Ensuite, j’ai vécu mes pires cauchemars sur l’Atlantique. Le capitaine m’avait vendu des vagues importantes, mais bien formées et tranquilles et nous avons eu en permanence de la houle croisée et une mer agitée, sauf au tout début lorsque nous avons même pu nous baigner au milieu de l’océan avec un bateau presque arrêté.
Il m’avait parlé de doux alizés entre 12 et 15 nœuds et nous n’avons quasiment jamais été en dessous de 20 nœuds de vent. Il n’avait pas cherché à m’entourlouper, mais le climat change partout dans le monde, y compris sur les mers. Notre ami Claude, capitaine de Vitamine, qui effectuait sa treizième traversée de l’Atlantique nous a confié à l’arrivée n’avoir jamais eu de telles conditions de navigation dans ses précédentes traversées. Il fallait que je sois présente à celle-ci….
Quand dans un grain, dans la nuit noire, sans lune, sous la pluie battante, nous avons atteint 45 nœuds de vent, je me suis dite que j’étais folle, que rien, ni personne ne m’avait obligée à venir et que jamais je n’avais envisagé vivre une telle situation dans laquelle nous, petits êtres humains sur notre coquille de noix, étions totalement à la merci des éléments et des forces de la nature en présence.
Je m’imaginais dans un roller coster, impuissante, filant à toute allure sans rien maîtriser. Après cet épisode, j’ai acquis une totale confiance dans notre Crazy Flavour et j’ai identifié que le seul danger désormais pouvait être celui de tomber à l’eau et que notre bateau ne coulerait pas quoiqu’il advienne.
Claude-Aline est toujours en couple avec Lionel et Bettina est restée mon amie. Cette équipe est soudée, chacun a été solidaire et responsable. Tout l’équipage a positivé et s’est montré d’humeur agréable, joyeuse et n’a pas ménagé ses efforts pour la cuisine, le nettoyage et a gardé ses craintes pour lui.
Je vous livre un secret. Robin excelle non seulement comme chirurgien, mais il a de réels talents en cuisine. Lionel a beaucoup soutenu le skipper dans ses écrasantes responsabilités. Une belle expérience humaine.
Je n’ai jamais souffert du mal de mer. Quelle chance et quel avantage ! Je peux cuisiner, manœuvrer, lire par tous les temps.
Avant l’odyssée, je n’aimais pas le vent, même en montagne et j’avais souvent beaucoup de peine à respirer ayant été asthmatique dans mon enfance et souffrant encore ponctuellement de quelques crises d’asthme. J’apprécie désormais cet élément qui permet à mon bateau d’avancer et de surfer sur les vagues et j’exulte de joie de découvrir la vitesse qu’il permet d’atteindre à mon fidèle destrier. Je n’éprouve plus de difficulté respiratoire, même lorsqu’il souffle fort.
J’ai assimilé les divers processus de navigation, l’ordre dans lequel effectuer les étapes des manœuvres et je suis fière lorsque je les réussis à la satisfaction du capitaine.
Quel honneur j’ai ressenti qu’il me confie la barre pour franchir sur deux jours le canal de Panama et qu’il me félicite lorsque nous sommes arrivés dans le Pacifique en ayant gardé mon sang froid lors d’un incident qui aurait pu coûter cher à la structure de notre bateau.
Vous l’avez compris. Je n’en reviens pas, mais j’aime tout cela désormais et j’ai conscience de vivre des moments extraordinaires même en navigation.
L’étude des cas du CCS effectuée avant mon départ pour me préparer ne m’ont servi quasiment à rien, à part la connaissance des principes généraux, tels que la dérive, la déviation magnétique, les courants et le marnage, la signalétique et le droit maritime. Le cours date. Il n’aborde aucunement les nouveaux instruments de bord, l’AIS, les nouvelles technologies etc et c’est bien dommage. Il ne parle pas des migrants en bateau, des changements climatiques, du piratage, des bateaux clandestins de pêche ou trafiquant des substances.
L’auto-hypnose m’a énormément aidée dans les moments de stress intense et de frayeur et j’ai pu être utile à quelques reprises en y recourant pour aider les autres à supporter le mal de mer, notamment pour soulager Ambre et Coralie.
Si je suis partie dans cette odyssée par amour pour Vincent et pour lui permettre de réaliser son rêve, je reconnais que j’aime participer à ce voyage et que je le vis intensément.
Mes amis dans la flottille l’ont remarqué et me taquinent à ce sujet en me disant que si Vincent arrête l’aventure à Tahiti, pour ma part je vais vouloir continuer et finir le tour du monde jusqu’au bout. Je me réjouis effectivement vraiment de retourner à bord pour vivre la suite de cette Odyssée, ce d’autant plus que les étapes suivantes font partie de mes rêves à moi. Les Marquises, la Polynésie…
Par contre, je ne suis pas attirée par l’océan indien auquel j’ai déjà été confrontée par le passé après un tsunami au large de Komodo, entre Bali et Florès. Et puis, c’est trop long encore deux ans, sans vivre auprès des miens, de pouvoir les voir régulièrement, les entendre facilement, les prendre dans mes bras. Un an, c’était déjà bien plus que ce que je pensais pouvoir supporter, moi l’abandonnique.
Nous nous sommes côtoyés Vincent et moi au quotidien ces huit derniers mois dans l’espace de quelques mètres carrés, alors que dans nos vies antérieures, tellement prises par nos activités professionnelles et la vie familiale à organiser au mieux pour le bien et l’intérêt de nos enfants, nous avions peu de têtes à têtes.
Nos tempéraments respectifs sont forts et bien marqués, mais l’alchimie a fonctionné. Nous ne nous sommes pas entretués, nous n’avons même pas eu à nous tolérer, notre couple a fonctionné.
Nous avons beaucoup échangé, dialogué, ri et nous nous sommes complétés. Nous en sortons renforcés. Dans nos points forts, je relève que nous ne manquons jamais d’imagination et de créativité pour trouver des solutions, que j’y ajoute un grain de folie, que nous savons rapidement nous adapter aux circonstances, mais il faut admettre que dans nos points faibles, nous avons chacun deux mains gauches, surtout moi et que nous sommes inaptes au bricolage. Nous concevons intellectuellement des solutions, mais nous ne sommes pas habiles dans leur réalisation.
Voilà. Il est dimanche 10 avril 2022, 17h sous les latitude et longitude genevoise. J’écris depuis ma terrasse au soleil en contemplant le lac qui scintille.
Dans une semaine, je serai dans l’avion qui m’emmène aux Marquises en compagnie de Chantal Bordier.
Ambre et Coralie m’ont quittée après le déjeuner pour se rendre à un concert au Victoria Hall où vont être jouées les quatre saisons de Vivaldi.
Lionel et Claude-Aline ont succombé cette semaine à une attaque d’Omicron, malgré toutes leurs précautions. Ils sont alités.
Au cours de mon séjour en Suisse, j’ai pu célébrer pendant trois jours les 84 ans de Mamita en Valais avec la jubilaire, mon père, mon fils, ma belle-sœur Stany et mon neveu Tom. mon frère Jean-Marc, pilote a dû partir voler sur Miami et mon filleul Eliot était en voyage d’études. Heureusement nous avions partagé avant son départ une soirée en tête à tête.
J’ai pu skier tout d’abord seule au cœur des Quatre vallées, car j’avais l’impression de n’avoir plus de musculature dans les cuisses, puis après avoir retrouvé mes réflexes et mes forces, je me suis lancée sur les pistes en compagnie de Lionel et Claude-Aline, Birgit, Claude-Alain et Patricia ainsi que Sébastien et enfin Laurence.
Sur la piste de l’Ours, j’ai effectué une descente pour Vincent et pour ceux qui m’avaient narguée cet hiver, Xavier et Barbara. J’ai savouré mes descentes à ski dans la neige de printemps et dans nos belles montagnes valaisannes. J’ai moins apprécié la peau de phoque, n’est-ce pas Claude-Aline ? C’est Félix et Christian Gueissaz qui m’ont aidée à refixer mes fixations.
Et je suis rentrée les skis sur l’épaule, traînant les pieds dans l’herbe et la terre sur le chemin de Marcel…
J’ai savouré les paysages grandioses des Alpes et goûté aussi au plaisir de la solitude. J’ai pris un thé à Siviez avec Caroline Sierro et j’ai passé une matinée avec mes voisins Manu et Philippe Pédat. J’ai échangé à plusieurs reprises avec Sandra ma chère restauratrice des Bergers qui lit attentivement le blog et était toute émue de me voir repartir. Son petit ange gardien va à coup sûr me protéger dans la suite de nos aventures.
J’ai gouté aux plaisirs de flâner au marché de Sion et de faire des rencontres. : une ex-collègue, juge des mineurs valaisanne Anne-Catherine Cordonnier, le conseiller d’Etat Fréderic Favre, une ex collaboratrice du PJ de Genève, Mme Calapez.
J’ai fait la connaissance de la fille de Christian et Estelle Pralong, prénommée Myriam, qui travaille chez Inter home à Nendaz et nous avons partagé une après-midi ensemble. Ses parents font aussi le tour du monde en voilier et nous les avons côtoyé à plusieurs reprises sur les mers.
Je me suis rendue aux obsèques de tante Jaqueline, décédée dans sa 101ème année à Neuchâtel avec Ambre et Coralie. J’avais au préalable été informer mon beau-père Olivier dans son EMS de son décès. Lors de mes deux précédentes visites, je lui avais parlé de notre voyage et montré des photos. Il y avait pris beaucoup d’intérêt me disant voyager aussi un peu avec nous ainsi.
La cérémonie préparée par Nicolas était simple, belle et émouvante.
Maxime mon neveu a lu un texte préparé par Lionel, inspiré par ses cousins. Ni Elisa, ni Lionel n’ont pu être présents à cause du Covid. J’ai pu revoir outre Nicolas et Caroline, oncle Pascal et la famille Kistler Claude, François et Bertrand.
J’ai eu la belle surprise d’un apéro festif au TMIn la semaine dernière pour que je puisse revoir les membres de la juridiction et les éducateurs de l’UAP que j’avais quitté en pleine pandémie sans pouvoir prendre congé d’eux autrement que par zoom. Toutes et tous m’attendaient dans la salle du plenum, coiffés d’une casquette violette commandée par Olivier le président et frappée de mes initiales FPJ.
J’ai reçu un beau bouquet de tulipes violettes. Plein de bonnes choses avaient été confectionnées, du sucré et du salé. J’étais très émue de retourner dans cette juridiction où j’ai passé les onze dernières années de ma vie professionnelle qui a compté 27 ans de magistrature dédiée aux enfants et adolescents. Une belle chanson écrite par Nathalie Magnenat a été interprétée par la chorale du TMin et j’ai été très touchée par les paroles de celle-ci qui ont relevé mon engagement pour les filles dont les besoins en institution ont été négligés jusqu’à présent par nos autorités.
Christine Lombard et Nathalie ont promis de poursuivre le combat que j’ai mené et d’appeler le foyer qui sera créé un jour, Proz Jeanneret.
J’ai passé avec Chantal en début de semaine dernière une chouette soirée chez les Bretton qui vont nous rejoindre en mai, puis leur fils Louis, une valeur sure, déjà testée et approuvée à bord. J’ai aussi partagé un lunch avec mes amies Aurélie Conrad Hari, qui viendra à Tahiti avec sa famille nous rejoindre ainsi qu’avec Silvia Tombesi et Claude-Nicole Nardin.
Finalement pour cette dernière semaine, que je passe à Genève, j’ai dû annuler, la mort dans l’âme etpestant contre ce maudit Covid et sa kyrielle de variants, un grand nombre d’activités et de dîners dont je me réjouissais pourtant beaucoup. Je devais éviter que mon test covid prévu samedi prochain ne soit positif ce qui m’empêcherait de prendre l’avion. Je dois de surcroit ne présenter aucun symptôme, tel que toux, rhume, mal de tête, grosse fatigue ou problèmes gastriques pour entrer en Polynésie.
Sacré challenge en ce moment où le temps ne cesse de varier, hésitant entre le retour en hiver et le pas en avant au cœur du printemps.
Je présente encore une fois mes excuses à mes amis à qui j’ai fait défaut et que je me réjouissais tant de revoir, mais qui précisément parce qu’ils sont mes amis, me pardonnent et me comprennent. Ce n’est que partie remise pour cet automne, c’est promis !
J’en revois d’ailleurs un certain nombre à bord dans les semaines qui vont venir avant la fin de l’Odyssée et je les prie aussi d’être précautionneux pour pouvoir nous rejoindre.
Je remercie encore mes chers voisins d’Hermance, Pierre et Mireille pour m’avoir préparé l’appartement pour mon retour, en prendre soin pendant mon absence et m’avoir restaurée lors de mon arrivée en Suisse. Merci à Laurence et à Olivier de m’avoir accueillie à l’aéroport et d’avoir été mes chauffeurs et à Claude-Nicole de s’occuper du jardin.
Enfin je suis reconnaissante à Elsbeth Cunningham et à Bettina de prendre soin de ma santé et de m’avoir confirmée que je suis en pleine forme.
Je repars heureuse et vous embrasse toutes et tous très fort.