Ballet des manœuvres de port et retrouvailles

/ballet arrivée Motril

Dans la chaleur implacable de l’après-midi, en arrivant dans le port de Motril, nous apercevons d’emblée deux silhouettes colorées qui agitent les bras dans notre direction au bout d’une jetée. Un chien est à leurs pieds.

Le port est comme endormi. C’est normal, il est 15 heures, heure de la sacro-sainte sieste en Espagne. Il n’y a pas d’autre mouvement. Une autre silhouette nous fait des signes d’une jetée sise non loin de là. Deux personnes l’ont rejointes. Nous comprenons en nous approchant qu’il s’agit d’une bosco et de ses deux acolytes. C’est là où nous allons devoir nous amarrer en présentant la poupe de notre bateau sur le quai.

 

Le ballet savamment orchestré de l’arrivée au port peut démarrer. C’est toujours une chorégraphie intense, car il ne faut pas accidenter notre onze tonnes, ni endommager le quai ou les autres bateaux. Le capitaine à la manœuvre est toujours très concentré et tendu pendant ces moments-là.
 

Le premier mouvement consiste à lancer une corde à terre, comme Pierre de Preux le fait avec son lasso pour capturer un taureau, à un type parfaitement inconnu de ma part dans les minutes auparavant, qui doit la récupérer et qui va me la relancer pour que je fasse un huit dans un taquet pour nous rapprocher du quai.

Je commence la partition. Mon pauvre aide bosco se reçoit la corde lancée avec fougue par mes soins un peu dans la figure, tant je n’ai pas envie qu’elle tombe dans l’eau sombre du port d’où je devrais la récupérer. Malgré notre quelque peu brusque entrée en matière, il me sourit. Pas rancunier le brave gars et il me repasse la corde à bout de bras. Je fais mon huit. Ne croyez pas que j’aie alors le temps de lui faire des salamalecs de politesse, car dans un second mouvement gracieux, il doit tendre une pendille recouverte d’algues (et j’en passe) au valeureux Pascal, prêt à entrer dans le ballet à mes côtés avec une gaffe et qui pique ensuite un cent mètres avec la pendille pour aller l’amener à l’avant du bateau en la tendant à bout de bras pour que nous n’ayons pas trois heures ensuite de nettoyage de notre embarcation.

 

Arrivé à la proue du bateau, Pascal doit se jeter à terre, pour à son tour faire un huit dans un taquet. C’est là que nous entamons le troisième mouvement qui consiste pour Olivier cette fois-ci de l’autre coté du bateau à entrer dans la danse en lançant à l’autre aide bosco sa corde et à Blanche de courir à la proue en sautillant avec une autre pendille aux fins de l’accrocher à son tour.

 

Mince, la pendille récalcitrante et pas coopérative du tout, a décidé de nous jouer un tour en en faisant plusieurs autour de l’hélice du moteur tribord. Nous nous regardons les uns, les autres consternés pour l’acte final du ballet.  La mort …de l’un de nos deux moteurs. Qui sera la victime désignée pour plonger dans l’eau glauque du port pour libérer ce dernier de la pendille ?

Héroïque, le capitaine se dévoue et s’apprête à passer sa combinaison de plongée, quand la bosco en cheffe désigne un de ses deux aides « volontaire ». Ce dernier part s’équiper d’une combinaison de plongée.

Je m’aperçois que Vincent, sur le côté de la scène, pousse un soupir de soulagement.

 

La bosco en cheffe se prénomme Lidia. Je lui dis que je suis ravie de rencontrer pour la première fois en Méditerranée où j’ai déjà pas mal navigué au cours de ces dernières années une femme bosco. Elle est d’ailleurs fort jolie, fine et élancée avec de longs cheveux noirs.

Elle me dit qu’elle est ravie de mon compliment, qu’elle en est fière et qu’elle espère que j’en parlerai ailleurs. Nous levons toutes les deux le poing vers le ciel, accompagnée par Blanche et Véronique qui nous a rejointes et qui vient faire la traduction entre nous. Vive le woman power !
 

Notre plongeur sous-marin ondille sous l’eau, remonte à la surface, tout content, un couteau entre les dents. Il vient de trancher la pendille et c’est l’acte final du ballet, l’apothéose. Je glisse un petit billet dans la main de l’aide bosco qui du coup est tout content et qui s’empresse de partir se doucher. Nous sommes enfin amarrés. Le public applaudit.

Le public ici consiste en Véronique, David et leur chien.  Ce dernier, intrépide, s’élance sur la passerelle qui permet de monter à bord. Certes, Pinceau est intelligent et affectueux, mais il n’applaudit tout de même pas. C’est par contre le coup de foudre entre nous. C’est la réplique en chair et en os du chien en peluche que j’ai trainé durant toute ma petite enfance au bout d’une laisse. C’est un chien d’eau espagnol ou lagotto romagnolo. Il sent d’emblée que je l’ai pris en affection et il vient sans cesse chercher un câlin ou poser sa patte sur mon genou.

C’est ensuite Véronique qui se déchausse sur le quai, comme à la mosquée, avant de monter à bord, usage dans la navigation. Elle nous accueille de son rire clair et joyeux, de sa chaleureuse étreinte et avec un torrent de mots gentils. Elle est suivie par David, tout aussi ému et sympa. Nous nous tombons tous dans les bras. C’est un très chouette moment et nous passons l’après-midi ensemble, à remonter le temps, à nous raconter nos trajectoires de vie, à partager nos souvenirs, à envisager notre futur. C’est comme si nous ne nous étions jamais perdus de vue. C’est cela les vrais liens d’amitié. Le temps n’a aucune prise sur eux.

Nos amis Veenhyus ont une propriété à Almunecar, plus haut dans la montagne. Ils ont fait 40 minutes de trajet pour venir nous rendre visite au port. Ils nous ont apporté de magnifiques mangues ainsi que des chikimoys que nous découvrons pour la première fois. C’est un genre de pommes cannelle, remplies de petits pépins noirs. Leur goût est savoureux. Dans cette région, le climat est sub-tropical et tout pousse. Un vrai jardin d’Eden : oranges, citrons, goyaves, fruits de la passion ainsi que bananes. Les sultans devaient se régaler à Grenade, l’explosive (un peu facile, je vous l’accorde) ou la pulpeuse.

C’est quand Véro et David ont décidé de résider pour une année dans leur propriété en Espagne pour que leurs enfants puissent apprendre l’espagnol et découvrir une autre culture, que nous avons probablement perdu la communication. David rejoignait sa famille le week-end et les enfants étaient scolarisés à l’école du coin. Ils devaient avoir leurs propres fournitures, nous raconte Véro ainsi que dix rouleaux de papier de toilettes chacun.

Charlotte et Arthur maitrisent l’espagnol. Ils sont heureux dans la vie et ont chacun des enfants. Nos amis sont grands-parents pour la cinquième fois.

Nous passons la soirée sur une plage, pieds dans le sable et tête sous des parasols palmiers à déguster de fines crevettes blanches locales, des petits encornets frits et de la mojie, sorte de taboulé local qui se laisse bien déguster, le tout arrosé de cervesas et de sangria.

Olé ! Dans notre enthousiasme et notre soif de rattraper le temps, nous laissons s’écouler l’heure et quand nous voulons regagner leur véhicule pour nos amis et notre bateau en ce qui nous concerne, la grille de la marina est fermée. Nous devons entamer une longue marche et nous présenter à l’entrée principale du port de Motril où les douaniers nous laissent passer en rigolant.

La séparation est empreinte d’émotion, mais nous savons déjà que nous nous reverrons peut-être déjà à Séville dans quelques jours.

Quelle joie de vous avoir retrouvé les amis !

Le lendemain, l’équipage a prévu de quitter le Crazy Flavour et de visiter Grenade. Vale!