Au spi, vers la fin
Écrit par Vincent le 23/07/2022
Nous sommes au mouillage devant Faré ce 19 juillet au matin. Antoine nous a quitté la veille et je reçois beaucoup de messages d’encouragement. Tout le monde sent que la fin approche.
Il faut lutter contre le spleen et continuer de découvrir de belles choses. Cap au Sud de l’île de Huahine, dans une baie idyllique où nous mouillons par 8 mètres de fond. On y croise 2Canoes, arrivé le matin tôt. Les Pralong nous rejoignent. Mathieu Louis et Karin vont, avec le Crazy Fabi, faire du snorkeling vers l’extrême sud de l’île.
Le coucher de soleil est de nouveau incroyable et mes amis ne résistent pas à l’appel de la langouste le soir venu dans le restaurant de l’hôtel Le Mahana, dont le cadre est enchanteur.
C’est le premier endroit depuis que je suis en Polynésie où nous sommes sèchement accueillis. Comme si les voileux venaient déranger un service d’abord offert aux hôtes de l’hôtel. Je saurai pour une éventuelle prochaine fois.
Fabienne dans nos échanges m’indique que mes articles sont trop longs et que l’histoire traîne en longueur et épuise le lecteur. Je ne suis pas forcément d’accord, mais il n’est pas exclu que je tente de retenir le temps. J’abrège donc sur nos entretiens du soir et la partie de Scrabble au retour à bord.
Le matin suivant, nous levons l’ancre à 7.00. Nous voulons rejoindre le Nord Ouest de Tahaa où nous attend Impossible. Il faut compter environ 90 minutes au moteur pour rejoindre la passe Sud de Faré et en sortir. On voit par hasard Antoine sur le rivage devant sa pension. Il nous fait de grands gestes. Il nous appelle. Il est heureux de nous voir passer une dernière fois et nous le dit, vibrant, au téléphone…
L’équipage est impatient de hisser notre beau spinnaker avec le logo du bateau.
On commence avec 5/6 Kn de vent au grand largue. Et puis lentement mais sûrement le spi se gonfle, le bateau prend son élan et nous avançons entre 7 et 10 Kn de vitesse, avec un vent oscillant graduellement entre 8 et 12 Kn. L’île de Raiatea grandit devant nous pendant que s’estompe Huahine.
Dieu que c’est doux et agréable de naviguer de la sorte avec une très légère houle arrière. Ce bord sous spi récompense l’équipage, qui n’a, au final, pas beaucoup navigué.
La passe est atteinte vers 12.15. Et l’on affale le Spi pour remonter sous génois toute la façade Ouest de Tahaa, par un vent raisonnable avec une série d’empannages en douceur.
Nous avions informé Impossible, que nous arriverions vers 14.30. À cinq minutes près nous sommes à l’heure. Le lieu du mouillage devant le Tahaa Resort and Spa est assez singulier. Les fonds passent de 8m à 1.4m, sans prévenir. Il faut donc mouiller suffisamment au large pour éviter de voir nos deux safrans trop près du sable. Nous devons nous y reprendre à trois fois pour trouver l’endroit parfait, pas loin de nos amis.
J’envoie une photo du lieu à mon ami Benjamin Borsodi, lui qui y a passé sa lune de miel et qui me dit fort bien s’en souvenir, voire vouloir y retourner. Rita, prépare les bagages !
Il est convenu avec Impossible que l’on se rendra très vite au jardin de Corail pour avoir la joie de nager avec le courant. C’est un vrai plaisir de retrouver nos deux amis qui, sortant de leur « Covid », ne peuvent toutefois être approchés de trop près. Ce ne serait pas idéal de le contracter juste là.
Nous découvrons un banc de mini et petits poissons manifestement habitués aux nageurs. Ils viennent à quelques centimètres de nous, notamment de nos masques, et passent dans tous les sens à nous frôler. Il y a moins de courant que quand nous y étions avec Xavier. Et le parcours se fait plus calmement. On est surpris de découvrir encore des couleurs de poissons jamais décelées jusqu’alors. Mais qu’est-ce que c’est beau ! Les formes et les mélanges de couleurs sont chaque fois lumineuses. Il faut inventorier et tenter de mémoriser toutes ces splendeurs sous-marines.
Le soir, nous nous rendons pour un ultime repas chez Valentine et Sébastien. Beaucoup d’émotions derrière nos mines un peu graves. Je les sens un peu préoccupés par la perspective d’une nouvelle navigation de 10 à 12 jours jusqu’aux Fidji. Valentine n’a pas raté sa tarte Tatin. Quel délice du palais. Fabienne nous rejoint téléphoniquement pour une conversation au milieu de nos retrouvailles. Et Sébastien et moi avons un dernier échange, à deux sur le pont, sur ce qui nous attendra à nos retours respectifs en Europe.
Sébastien est de plus en plus certain qu’il faut prévoir un retour à la terre et, en regroupement organisé, gagner en complète autonomie, tant hydrique, alimentaire qu’énergétique. Il est vrai que les perspectives de réduction des ressources énergétiques que connaît juste maintenant l’Europe, n’apparaissent être qu’un avant goût de ce qui pourrait attendre notre civilisation, coincée entre l’épuisement accéléré des ressources non renouvelables et la revanche climatique due aux émissions de carbone. Il y a clairement matière à réflexion, sachant en plus que le pic de (sur)population est encore devant nous. Je pense que l’on aura d’intéressantes discussions avec Fabienne dans les mois à venir.
Après les canicules records et incendies de cet été qui peut encore douter de l’existence de la modification durable de notre environnement ? Ce qui pourrait devoir remettre tout notre modèle de société en cause, modèle construit sur la dette et la consommation forcenée de nos ressources finies, minières et énergétiques.
Bref, nous savons que nous en re-discuterons avec Sébastien et Valentine. Je les remercie de ces très belles pages du GLYWO, passées ensemble. Sans eux, rien n’aurait été pareil. Je n’ai pas besoin de leur rappeler que je leur dois la vie depuis Apataki. Ils le savent.
Cette fin de voyage devient quelque peu émotionnellement intense.
Nous levons l’ancre à six heures du matin pour nous rendre à la Marina Apooiti. Louis a obtenu un créneau pour plonger sur Raiatea. Voilà que nous longeons cette belle île de Tahaa au lever du soleil. Au moteur cette fois. Cela sent le dernier jalon.
Nous sommes autorisés de prendre un corps-mort devant la Marina. La place à quai un jour peut-être dans quelques jours, selon le patron de la Marina.
Patience.
Et nous commençons le compte à rebours des nettoyages et remise en état. La présence de Mathieu et Louis est très dynamisante. Je peux compter sur leur infatigable et inlassable activité. Ils ne cessent de proposer leurs services pour chaque corvée. Quelle abnégation !
Les voilà qui vont partir ce 22 juillet au soir. L’occasion m’est donnée de les remercier chaleureusement de leur présence, de leur efficacité et de leur amitié. Et de ce qu’ils ont écrit dans le livre d’Or.
Honneur à Louis dont j’ai déjà décrit dans un précédent article de ce blog (vers la fin de l’arrivée aux Canaries) la très grande force morale et physique. Et le plaisir qu’il a de naviguer, lui qui aime la nature, les espèces qui la peuplent, et les étendues, boisées ou non. Louis m’a aussi permis de mieux découvrir sa sensibilité cachée sous un abord en retenue et un langage paradoxalement direct, mais toujours respectueux et amical. Et quiconque l’entendra rire n’oubliera jamais ce pur moment de bonheur, exprimé sans complexe. Il fallait en outre quelqu’un de solide pour tenir tête à Mathieu, son inséparable compère, avec lequel il a eu l’occasion de faire les 400 coups. Ça dézingue sec en expressions fleuries entre ces mousquetaires de l’échange verbal. Et ça continuera, avec un léger avantage pour Louis qui maîtrise l’expression qui fait mouche et parfois tue l’adverse partie.….Mais Mathieu a pour lui le sens de l’esquive, de la réplique et de l’éternel sourire.
Les deux furent de merveilleux compagnons de route pour le sexagénaire qui mesure la différence d’âge qui le sépare de leur jeunesse. J’espère que cela ne s’est pas trop senti.
Alors Mathieu ? Je ne le connaissais pas à son arrivée à Bora Bora. C’est simple, j’ai été séduit par son intelligence, sa vivacité, son énergie et sa façon de toujours rendre service à autrui. C’est hallucinant de le voir ne jamais perdre sa bonne humeur et sa faconde. Il n’y a qu’un domaine où je le soupçonne de ne pas trouver le bonheur intégral, c’est le Scrabble, surtout si son compère Louis le précède au score. Mathieu est un être méga sociable, un amoureux de la vie et de la voile. Il va progressivement être conquis par la navigation sur plus d’une coque, lui qui a été solidement endoctriné dans un monde unicoque, pour ne pas dire univoque. Au fur et à mesure de son séjour, Mathieu a en effet admis que la finesse, la vitesse et le confort d’un Outremer donnaient matière à réflexion. Mais on partait de loin. Si vous le croisez, demandez lui de vous parler des avantages d’un catamaran, on verra si cela aura résisté au temps et au retour à la Nautique, centre, certes lacustre, de la pensée quasi unique.
Voilà, l’on m’a livré mes cartons de déménagement ce matin. Les housses de canapé et linges sont parties à la lessive professionnelle du sous-traitant local des compagnies de charter. Et j’ai booké une demi journée de deux employées qui ripolineront mercredi de la coque au pont ce joyau qu’est et restera Crazy Flavour.
J’ai reçu un e-mail averti de Muriel Andrey Favre, auteure d’un livre que tout tourmondiste possède, « Favre en mer ». Elle et son mari Hervé ont passé trois ans sur un catamaran avec leurs deux enfants. Elle me décrit en peu de mots ce que je vis et vivrai, étant passée par là. Alors pas d’excuses, un peu d’effort, un zeste de motivation, et je franchirai indemne cette dernière étape.
Merci aussi à nos amis du GLYWO (et d’ailleurs) de leur soutien. Je leur rendrai la pareille quand leur tour viendra.
Et je sais que Fabienne/Pénélope m’attend. Avec un semblant de début d’impatience.
Je suis tout autant impatient de la retrouver tout en m’interrogeant. Ne va-t-elle pas être cruellement déçue en comparant la triste réalité de l’arrivant (en décalage horaire) avec celui qui, loin très loin, a forcément toutes les qualités et aucun défaut visible ?