Ambiances

Les platanes sur les petites places de Barcelone ont perdu leurs feuilles. Les rues à l'intérieur de sa vieille ville sont plutôt désertes. Même les ramblas sont vides de touristes. En cette saison et probablement à cause de la pandémie, la cité se languit et son humeur est morose. Il n'y a que le long de sa grande plage où dès le matin, bon nombre de ses habitants courent le long des quais, se musclent et se contorsionnent dans le sable, que l'on ressent encore le pouls de cette ville.
 

Certains offrent sans gêne leur nudité au soleil levant et sortent de la mer en s'ébrouant. D'autres semblent avoir perdu la raison en déambulant dans de loufoques accoutrements en proférant des mantras dont ils sont seuls à percevoir le sens profond.

Quel va être ton destin, Barcelone que je sens en déclin, malgré la gentillesse de tes habitants, la fierté de tes origines catalanes, tes églises, tes cathédrales, ton Palais de la musique et tes délicieux tapas ?

Nous naviguons loin de toi par une belle journée ensoleillée. Il n'y a presque pas de houle, peu de vent et nous oscillons entre tantôt la voile, tantôt le moteur, vu les caprices d'Eole.

Olivier est à la barre et le reste de l'équipage s'adonne à des postures de pilate et de yoga assez ardues compte tenu du fait qu'elles ont lieu sur le trampoline d'un bateau en mouvement. C'est double effort à chaque exercice, force et équilibre.

Nous terminons en méditant et en remerciant le soleil, le vent et la mer pour cette belle journée qui s'achève.

Quand Olivier lâche la barre, son sens de l'observation et son esprit innovateur et créatif se mettent en action. Il met des marques de couleur pour délimiter les dérives lorsqu'elles sont" plat pont", ce que nous ne pouvons voir en étant sous le bimini, ( je vous entend protester), soit le toit qui surplombe le carré arrière du bateau.

Il plante un crochet par ici, un clou par là, propose de combler un vide par une étagère, prévoit des processus, des tableaux Excel et j'en passe. Le capitaine reprend la barre,Olivier se repose. Blanche, Pascal et moi lisons, contemplons la côte au loin et nous laissons caresser par le vent.

Après le repas du soir, je prends le premier quart, seule de 20h à 23 h.Je mets mes écouteurs sur ma tenue de marin et entre autre sur mon bonnet de laine. La lune se reflète dans la mer. Celle-ci est plate ( non, je ne suis pas complotiste) et le ciel brille de mille étoiles. Je plane totalement (je n'ai pas fumé la moquette) et un sentiment de délicieuse volupté me saisit, créée par l' harmonie entre le ciel et la terre. L'air de ce début de nuit est chaud et je chaloupe à la barre sous les airs d'Aretha Franklin. Olivier me rejoint pour la fin de mon quart et nous débattons philosophie, avant qu'un navire que nous n'avions pas vu sur notre écran s'approche nous présentant tout d'abord une lumière rouge seule, puis dix minutes plus tard une lumière verte. Olivier pense qu'il est venu faire un tour de reconnaissance et qu'il s'éloigne désormais de nous.

Je vais me coucher et je m'endors profondément. Quand je dois reprendre mon quart à 3h30, c'est bien moins fun que tout à l'heure. Je ne retrouve pas ma banane qui contient mon cyalume et ma montre balise. Je dois mettre la lumière.
 

Vincent est quelque peu "mécontent" et me houspille. J'ai un peu l'humeur de Barcelone, morose. Heureusement, je retrouve le joli sourire de Blanche avec laquelle je vais passer une partie de ce quart. Nous refaisons le monde. C'est l'heure des questions intimes. Comment et quand a-t'elle rencontré Pascal qui est devenu son mari l'an dernier? Ils se connaissent depuis le collège et malgré des séjours de six mois chacun, pour l'une au Canada et pour l'autre aux USA , ils ne se sont jamais quittés. Ils ont étudié tous deux à Saint-Gall. L'une a fait économie, l'autre le droit. L'une est dans la haute direction d'une grande banque suisse, l'autre est assistant à la faculté de droit à Zurich après avoir obtenu son brevet d'avocat. Le temps passe et c'est la fin du quart. Je regagne ma couchette en étant quasi déjà endormie.

La journée du lendemain est pour moi toute déphasée. C'est déjà les horaires espagnols pour les repas.

Nous arrivons en fin de journée à Valence. Dès le repas du soir, nous sentons les pulsations très fortes de cette ville. Les premières impressions sont confirmées par sa visite le lendemain 3 octobre. Bien que nous soyons dimanche et que nombre de magasins et cafés soient fermés, car le 7ème jour de la Création, Dieu s'est reposé,(n'est-ce pas Vincent ?), les rues sont animées. Toute la population déambule et s'est parée de ses plus beaux atours.

C'est l'été, il fait 26 degrés. Les femmes sont en robe à fleurs, les enfants rient, les petits chiens sont promenés en poussette et les boutiques offrent de l'artisanat local. Blanche et moi ne résistons pas et achetons deux tenues crées localement et les assortissons avec de de jolies boucles d'oreilles. Toutes les places sont en travaux. Les canalisations sont en passe d'être changées partout en vieille ville et les façades des immeubles ont été nettoyées. On sent le renouveau et la préservation d'une magnifique cité.

Nous marchons nos habituels 10-15 km en vieille ville, puis nous savourons une délicieuse paella valenciana sur une place ombragée, rafraîchie par une fontaine, car il fait maintenant 33 degrés.

Nous reprenons ensuite notre ballade sur une des premières voies vertes construites en Europe, sur une rivière qui traversait la ville, qui a été détournée de son cours. Les ponts ont été maintenus. Des arbres et des fleurs nous entourent et nous cheminons ainsi jusqu'au palais de la musique (et oui il en existe un à Valence, contrairement à Genève), puis au palais des Arts et enfin nous arrivons à la cité de la science. L'architecture de tous ces bâtiments est un mélange d'art et de technique d'ingénieurie incroyable et le tout est d'une beauté stupéfiante. Ce chef d'oeuvre est dû à Santiago Calatrava. Les teintes vont du blanc qui prédomine, à l'azur et au mauve. Il y a des fontaines et des bassins d'eau partout. La vision d'ensemble créée une cité du futur, sereine et harmonieuse.

Merci à Tereza Buensod de nous avoir à nouveau informé de ce que nous devions impérativement visiter.

Nous regagnons le bateau en toute fin de journée et allons reprendre la partie de jeux entamée hier soir qui oppose des espions qui livrent progressivement des indices à leurs équipiers sur le terrain. Nous avons bien ri.

Buenas noches.